Jésus-Christ

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Chapitre 22 — Emprisonnement et mort de Jean

Ce chapitre est basé sur Matthieu 11:1-11; Marc 6:17-28; Luc 7:19-28.

Jean-Baptiste avait été le premier à annoncer la venue du royaume du Christ; il en fut aussi le premier martyr. Après avoir joui de l’air libre du désert et avoir vu des foules suspendues à ses lèvres, il était maintenant enfermé derrière les murs d’une cellule au fond d’un cachot. Il était prisonnier dans la forteresse d’Hérode Antipas. La plus grande partie du ministère de Jean s’était effectuée dans le territoire situé à l’est du Jourdain, qui appartenait à Antipas. Hérode lui-même avait écouté le prédicateur. L’appel à la repentance avait fait trembler ce roi corrompu. “Hérode craignait Jean, sachant qu’il était un homme juste et saint, ... et quand il l’avait entendu, il était très perplexe; pourtant il l’écoutait avec plaisir.” Jean dénonça loyalement ses rapports avec Hérodiade, femme de son frère. Hérode avait d’abord tenté de se libérer des chaînes de luxure qui le retenaient captif; mais Hérodiade réussit à le resserrer plus fortement dans ses filets, et pour se venger du Baptiste elle obtint d’Hérode qu’il le jetât en prison. JC 199.1

L’obscurité et l’inaction pesaient lourdement sur le prisonnier habitué à une vie active. Les semaines succédant aux semaines, sans changement, le découragement et le doute s’insinuèrent en lui. Ses disciples ne l’abandonnèrent pas. Ayant accès à la prison, ils lui apportaient des nouvelles au sujet des œuvres de Jésus et de l’affluence des auditeurs; mais ils se demandaient pourquoi ce nouveau maître ne délivrait pas Jean s’il était vraiment le Messie. Comment pouvait-il permettre que son fidèle héraut fût privé de la liberté et peut-être de la vie? JC 199.2

Ces questions produisirent leur effet. Elles suggérèrent à Jean des doutes qui sans cela ne se seraient jamais présentés à son esprit. C’était un sujet de joie pour Satan d’entendre les paroles de ces disciples et de constater à quel point elles meurtrissaient l’âme du messager du Seigneur. Souvent ceux qui se considèrent les meilleurs amis d’un homme et s’empressent de lui témoigner leur fidélité se trouvent être en définitive ses ennemis les plus dangereux. Souvent, au lieu d’affermir sa foi, leurs paroles ont pour effet de le déprimer et de lui ôter tout courage. JC 199.3

Tout comme les disciples du Sauveur, Jean-Baptiste ne comprenait pas la nature du royaume du Christ. Il s’attendait à voir Jésus accéder au trône de David; mais comme le temps s’écoulait sans que le Sauveur revendiquât son autorité royale, Jean finit par être perplexe et troublé. Il avait enseigné que la prophétie d’Esaïe devait s’accomplir pour préparer la voie devant le Seigneur; les montagnes et les collines devaient être abaissées, les hauteurs changées en plaines, les crêtes escarpées en vallons. Il avait pensé que les hauteurs de l’orgueil humain et de la puissance seraient jetées à terre. Il avait montré le Messie comme celui qui tenait son van dans sa main, qui nettoierait son aire et rassemblerait le blé dans ses greniers, puis brûlerait la balle au feu inextinguible. Semblable à Elie, dont il avait apporté à Israël l’esprit et la puissance, il pensait que le Seigneur allait se manifester au milieu du feu. JC 200.1

Dans l’exercice de sa mission, le Baptiste avait dénoncé courageusement l’iniquité devant les grands comme devant les petits. Il avait osé affronter le roi Hérode et lui reprocher son péché. Au risque de sa vie il avait accompli l’œuvre qui lui était assignée. Dans sa prison il songeait maintenant au Lion de la tribu de Juda qui allait, croyait-il, abaisser l’orgueil de l’oppresseur et délivrer le misérable qui criait vers lui. Mais Jésus paraissait vouloir se contenter de grouper des disciples autour de lui tout en guérissant et enseignant le peuple. On le voyait s’asseoir à la table des péagers alors que le joug romain s’appesantissait chaque jour davantage sur Israël, alors qu’Hérode et sa vile maîtresse en faisaient à leur guise tandis que les cris des misérables montaient vers le ciel. JC 200.2

Tout ceci était un mystère insondable pour le prophète du désert. A certains moments les chuchotements des démons torturaient son esprit et une crainte horrible s’emparait de lui. Se pourrait-il que le Libérateur si longtemps attendu ne fût pas encore venu? Mais alors que signifiait le message qu’il s’était vu contraint de proclamer? Jean avait été amèrement désappointé par le résultat de sa mission. Il s’était imaginé que le message divin dont il était porteur aurait le même effet que la lecture de la loi aux jours de Josias et d’Esdras,1 qu’il s’ensuivrait une œuvre profonde de repentance et de retour au Seigneur. Il avait sacrifié sa vie entière pour le succès de sa mission. Etait-ce en vain? JC 201.1

Jean était troublé en voyant que par attachement pour lui ses disciples nourrissaient des doutes au sujet de Jésus. Avait-il travaillé en vain pour eux? Etait-ce parce qu’il avait été infidèle dans l’accomplissement de sa mission que son œuvre avait pris fin? Si le Libérateur promis était venu, si Jean avait été jugé fidèle à sa vocation, Jésus n’allait-il pas détrôner l’oppresseur et libérer le précurseur? JC 201.2

Néanmoins le Baptiste ne renonça pas à sa foi au Christ. Le souvenir de la voix céleste et de la colombe descendue sur Jésus, la pureté immaculée du Christ, la puissance du Saint-Esprit qui avait accompagné Jean alors qu’il se trouvait en présence du Sauveur, le témoignage des Ecritures prophétiques, tout cela attestait que Jésus de Nazareth était celui qui avait été promis. JC 201.3

Jean ne voulait pas discuter ses doutes et ses sujets d’anxiété avec ses compagnons. Il préféra s’enquérir auprès de Jésus. Il confia donc un message à deux de ses disciples, dans l’espoir qu’une entrevue avec le Sauveur confirmerait leur foi et donnerait une assurance à leurs frères. Il désirait ardemment un mot du Christ à son intention. JC 201.4

Les disciples se présentèrent à Jésus avec leur message: “Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre?” JC 201.5

Peu de temps s’était écoulé depuis que le Baptiste avait dit, en désignant Jésus: “Voici l’Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde! ... C’est lui qui vient après moi, lui qui m’a précédé.”2 Or maintenant la question était posée: “Es-tu celui qui doit venir?” Combien la nature humaine est décevante! Si Jean, le fidèle précurseur, ne parvenait pas à discerner la mission du Christ, que pouvait-on attendre de la multitude égoïste? JC 201.6

Le Sauveur ne répondit pas immédiatement à la question des disciples. Etonnés par son silence, ils voyaient venir à lui les malades et les infirmes, désireux d’être guéris. Les aveugles se frayaient un chemin à travers la foule, en tâtonnant; des malades de toute espèce, les uns s’approchant par leurs propres moyens, d’autres portés par des amis, se pressaient avidement autour de Jésus. La voix du puissant Guérisseur pénétrait dans l’oreille des sourds. Un mot, un attouchement permettaient aux aveugles de voir la lumière du jour, de contempler les beautés de la nature, le visage des amis, celui du Libérateur. Jésus réprimait la maladie et chassait la fièvre. Sa voix parvenait aux oreilles des moribonds, leur rendant santé et vigueur. Des démoniaques paralysés obéissaient à sa parole; guéris de leur folie, ils l’adoraient. Tout en guérissant les malades il enseignait la foule. De pauvres paysans, de pauvres ouvriers, évités comme impurs par les rabbins, se tenaient tout près de lui et recevaient de lui les paroles de la vie éternelle. JC 202.1

La journée s’écoula ainsi, les disciples de Jean voyant et entendant tout cela. Enfin Jésus les appela et leur dit de retourner auprès de Jean pour lui raconter ce qu’ils avaient vu, ajoutant: “Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute!”3 Il venait d’attester sa divinité en pourvoyant aux besoins d’une humanité souffrante. Il manifestait sa gloire en condescendant à s’abaisser à notre niveau. JC 202.2

Les disciples apportèrent leur message et cela suffit. Cette prophétie messianique revint à la mémoire de Jean: “L’Eternel m’a oint pour porter la bonne nouvelle aux humbles. Il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, pour annoncer aux captifs la liberté et aux prisonniers l’ouverture de leurs prisons; pour proclamer, de la part de l’Eternel, une année de grâce.”4 Les œuvres du Christ attestaient sa messianité et indiquaient en même temps la manière dont son royaume serait établi. Jean comprit la même vérité qui avait été révélée à Elie au désert, quand “il s’éleva un vent fort et violent qui fendait les montagnes et brisait les rochers devant l’Eternel; mais l’Eternel n’était pas dans ce vent. Après le vent, il y eut un tremblement de terre; mais l’Eternel n’était pas dans ce tremblement de terre. Après le tremblement de terre, un feu; mais l’Eternel n’était pas dans ce feu”.5 Après le feu, Dieu parla au prophète dans “le frémissement d’un subtil murmure”. C’est ainsi que Jésus allait accomplir son œuvre; non dans le fracas des armes ou le renversement des trônes et des royaumes, mais en s’adressant aux cœurs humains par une vie de miséricorde et de sacrifice. JC 202.3

Le principe de renoncement qui avait été à la base de la vie du Baptiste était aussi le principe du royaume messianique. Jean savait combien tout ceci était éloigné des principes et des espoirs des chefs israélites. Ce qui constituait pour lui une preuve convaincante de la divinité du Christ ne leur apportait aucune lumière. Ils attendaient un Messie différent de celui qui avait été promis. Jean comprit que la mission du Sauveur ne pouvait que susciter la haine et la condamnation. Lui, le précurseur, devait goûter à la coupe que le Christ allait devoir vider. JC 203.1

Les paroles du Sauveur: “Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute!” comportaient un léger reproche à l’adresse de Jean. L’effet n’en fut pas perdu. Comprenant mieux, maintenant, la nature de la mission du Christ, il s’abandonna entre les mains de Dieu pour la vie ou pour la mort, uniquement soucieux de servir la cause qu’il aimait. JC 203.2

Après le départ des messagers, Jésus dit à la foule ce qu’il pensait de Jean. Le cœur du Sauveur éprouvait une vive sympathie pour le fidèle témoin enseveli dans le cachot d’Hérode. On ne devait pas s’imaginer que Dieu avait délaissé Jean, ou que la foi de celui-ci avait défailli au jour de l’épreuve. “Qu’êtes-vous allés contempler au désert?” demanda le Christ. “Un roseau agité par le vent?” JC 203.3

Les longs roseaux qui croissaient au bord du Jourdain, ployant sous l’effet de la brise, pouvaient bien servir à représenter les rabbins qui s’étaient érigés en juges de la mission du Baptiste. Ils étaient portés de côté et d’autre par les vents de l’opinion populaire. Ils ne voulaient pas s’humilier au point de recevoir le message pénétrant du Baptiste; seule la crainte du peuple les avait empêchés de s’opposer ouvertement à son œuvre. Le messager de Dieu était exempt d’une telle lâcheté. Les foules rassemblées autour du Christ avaient vu l’œuvre de Jean. Ils l’avaient entendu dénoncer le péché avec vigueur. Jean avait parlé ouvertement devant les pharisiens propre-justes, les prêtres du parti sadducéen, le roi Hérode et sa cour, princes et soldats, péagers et paysans. Il n’était pas un roseau tremblant, agité par les vents de la flatterie humaine ou du préjugé. En prison il faisait preuve de la même loyauté à l’égard de Dieu, du même zèle pour sa justice que lorsqu’il prêchait au désert le message divin. Il restait fidèle au principe, ferme comme le roc. JC 204.1

Jésus poursuivit: “Mais qu’êtes-vous allés voir? Un homme vêtu somptueusement? Mais ceux qui portent des habits somptueux se trouvent dans les palais des rois.” Jean avait été appelé à condamner les péchés et les excès de son temps; la simplicité de son vêtement et sa vie de renoncement étaient en harmonie avec le caractère de sa mission. De riches parures et des habitudes luxueuses ne sont pas l’apanage des serviteurs de Dieu, mais de ceux qui vivent à la cour des rois, les dominateurs de ce monde, maîtres du pouvoir et des richesses. Jésus signalait le contraste existant entre le vêtement de Jean et celui des prêtres et des chefs. Ces fonctionnaires étaient richement vêtus et portaient des ornements de prix. Ils cherchaient à éblouir par l’étalage de leurs richesses et à commander le respect. Ils étaient plus préoccupés de gagner l’admiration des hommes que d’obtenir la pureté de cœur qui leur assurerait l’approbation divine. Ils montraient par là qu’ils se croyaient tenus d’obéir aux royaumes de ce monde plutôt qu’à Dieu. JC 204.2

“Qu’êtes-vous donc allés faire? Voir un prophète? Oui, vous dis-je, et plus qu’un prophète. C’est celui dont il est écrit: Voici j’envoie devant toi mon messager, pour frayer ton chemin devant toi. En vérité, je vous le dis, parmi ceux qui sont nés de femmes, il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean-Baptiste.” L’ange qui avait annoncé à Zacharie la naissance de Jean avait dit: “Il sera grand devant le Seigneur.”6 Qu’est-ce qui fait la grandeur aux veux du ciel? — Non pas ce qui fait la grandeur selon l’estimation du monde; ni la richesse, ni le rang, ni la noblesse, ni les dons intellectuels, considérés en eux-mêmes. Si l’on doit prendre en considération la grandeur intellectuelle, indépendamment de toute considération supérieure, alors Satan est digne de nos hommages, lui dont les capacités intellectuelles n’ont jamais été égalées par aucun homme. Quand un don est mis au service du moi, plus il est grand, plus grande sera la malédiction qu’il pourra devenir. Dieu n’estime que la valeur morale. Il apprécie surtout la charité et la pureté. Jean était grand aux yeux du Seigneur dès lors qu’en présence des envoyés du sanhédrin, du peuple et de ses propres disciples, il s’était abstenu de rechercher des honneurs pour sa personne et avait montré à tous Jésus en qualité de Messie promis. Sa joie désintéressée en rapport avec le ministère du Christ dénotait la plus haute noblesse accessible à l’homme. JC 205.1

Ceux qui avaient entendu le témoignage de Jésus lui ont à leur tour rendu témoignage en ces termes, après sa mort: “Jean n’a fait aucun miracle; mais tout ce que Jean a dit de cet homme était vrai.”7 Il ne fut pas donné à Jean de faire descendre le feu du ciel, ou de ressusciter un mort, comme l’avait fait Elie, ni de brandir la verge du pouvoir de Moïse, au nom de Dieu. Il avait été chargé d’annoncer la venue du Sauveur et d’inviter à se préparer en vue de cet avènement. Il avait accompli si fidèlement sa mission que ceux qui se rappelaient ce qu’il leur avait enseigné au sujet de Jésus pouvaient dire: “Tout ce que Jean a dit de cet homme était vrai.” Tout disciple du Maître est tenu de rendre un témoignage semblable. JC 205.2

En tant que précurseur du Messie, Jean est “plus qu’un prophète”. Alors que les prophètes avaient vu de loin l’avènement du Christ, il fut donné à Jean de le contempler, d’entendre le témoignage céleste rendu à sa messianité, et de le présenter à Israël comme l’Envoyé de Dieu. Cependant Jésus a pu dire: “Le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui.” JC 206.1

Le prophète Jean a été le trait d’union entre les deux dispensations. En tant que représentant de Dieu il s’est levé pour montrer le rapport existant entre la loi et les prophètes d’une part, la dispensation chrétienne de l’autre. Il était une petite lumière qui en précédait une plus grande. Le Saint-Esprit avait éclairé l’esprit de Jean pour lui permettre de répandre la lumière sur son peuple; mais aucune lumière n’a jamais brillé, ou ne brillera à l’avenir sur l’homme déchu, qui puisse être comparée à celle qui émane de l’enseignement et de l’exemple de Jésus. Les sacrifices n’avaient que faiblement symbolisé le Christ et sa mission. Jean lui-même n’avait pas compris parfaitement la vie future, immortelle, manifestée par le Sauveur. JC 206.2

A part les joies que sa mission lui avait procurées, la vie de Jean avait été toute de souffrance et de solitude. Sa voix n’avait guère été entendue hors du désert. Il ne lui avait pas été donné de voir le résultat de ses travaux. Il n’avait pas eu le privilège d’accompagner le Christ et d’assister aux manifestations de la puissance divine qui étaient le produit de la lumière plus grande. Il n’avait pu voir les aveugles recouvrant la vue, les malades guéris, les morts ramenés à la vie. Il n’avait pu contempler la lumière qui resplendissait dans chaque parole du Christ, faisant éclater la gloire des promesses prophétiques. Le plus petit parmi les disciples qui ont vu les œuvres puissantes du Christ et ont entendu ses paroles a été plus favorisé, à certains égards, que Jean-Baptiste: il peut donc être dit plus grand que lui. JC 206.3

Les foules nombreuses qui avaient écouté la prédication de Jean répandirent sa renommée dans tout le pays. On se demandait avec anxiété comment finirait sa captivité. Sa vie sans tache et la vénération dont il était entouré faisaient espérer qu’aucune violence ne lui serait faite. JC 206.4

Hérode voyait en Jean un prophète et il se proposait de le libérer. Par crainte d’Hérodiade il différa son projet. JC 207.1

Hérodiade se rendait compte qu’elle n’arriverait pas à arracher à Hérode la condamnation à mort de Jean par des moyens ordinaires; elle eut recours à un stratagème. A l’occasion de l’anniversaire du roi une fête fut organisée en l’honneur des fonctionnaires de l’Etat et des nobles de la cour. On prévoyait bombance et ivresse. Hérode perdrait ses moyens et serait amené à céder à l’influence de cette femme. JC 207.2

Le grand jour arrivé, tandis que le roi et ses seigneurs festoyaient et buvaient, Hérodiade envoya sa fille dans la salle du banquet pour y amuser les hôtes par ses danses. Salomé était dans la fleur de sa jeunesse; sa beauté voluptueuse captiva les sens des joyeux convives. Il n’était pas dans les usages que les dames de la cour se fissent voir dans les festins; un compliment flatteur fut offert à Hérode quand cette fille des prêtres et des princes d’Israël dansa pour le divertissement des convives. JC 207.3

Le roi était pris de vin. La passion troubla et détrôna sa raison. Il ne vit plus que la salle du festin, avec ses noceurs, la table du banquet, le vin qui coulait et l’éclat des lumières, et la jeune fille dansant devant lui. Dans l’insouciance du moment il voulut s’exhiber devant les grands de son royaume. Il promit avec serment de donner à la fille d’Hérodiade tout ce qu’elle pourrait demander, fût-ce la moitié du royaume. JC 207.4

Salomé s’empressa d’aller consulter sa mère. La réponse était toute prête: la tête de Jean-Baptiste. Salomé, qui ignorait la soif de vengeance qui tourmentait le cœur de sa mère, hésitait à présenter cette requête; la volonté d’Hérodiade prévalut. La jeune fille revint avec cette horrible demande: “Je veux que tu me donnes tout de suite, sur un plat, la tête de Jean-Baptiste.”8 JC 207.5

Hérode fut étonné et confus. La gaieté tumultueuse cessa, un silence angoissant descendit sur cette scène d’orgie. Le roi était saisi d’horreur à la pensée d’ôter la vie à Jean. Mais il avait engagé sa parole et ne voulait pas passer pour irrésolu ou étourdi. Le serment avait été pris en l’honneur des convives; si l’un d’eux avait proposé de ne pas tenir compte de la promesse faite, Hérode aurait volontiers épargné le prophète. L’occasion leur était donnée de prendre la défense du prisonnier. Ils avaient parcouru de longues distances pour l’entendre prêcher et ils connaissaient Jean comme un homme innocent, un vrai serviteur de Dieu. Quoique choqués par la demande de la jeune fille, ils étaient trop hébétés pour tenter une remontrance. Personne n’éleva la voix pour sauver la vie du messager envoyé par le ciel. Ces hommes qui occupaient des postes de confiance dans la nation et portaient de lourdes responsabilités s’étaient livrés au plaisir et à l’ivresse, si bien que leur sensibilité était engourdie. La musique et la danse les avaient étourdis et avaient endormi leurs consciences. Leur silence fut la sentence de mort prononcée sur le prophète de Dieu pour satisfaire l’esprit de vengeance d’une femme perdue. JC 207.6

Après avoir en vain espéré d’être dégagé de son serment, Hérode consentit à regret à l’exécution du prophète. La tête de Jean ne tarda pas à être apportée devant le roi et ses hôtes. Désormais, les lèvres qui avaient fidèlement conjuré Hérode de renoncer à sa vie de péché étaient réduites au silence. Plus jamais on n’entendrait cette voix invitant les hommes à se repentir. Les orgies d’une nuit avaient coûté la vie à l’un des plus grands prophètes. JC 208.1

Combien de fois une vie innocente n’a-t-elle pas été sacrifiée à cause de l’intempérance des gardiens de la justice! Celui qui trempe ses lèvres dans la coupe enivrante assume la responsabilité de tout acte d’injustice dont il pourra se rendre coupable sous son influence étourdissante; en engourdissant sa sensibilité il se met dans l’incapacité de juger avec calme et de discerner clairement ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Il donne à Satan l’occasion de se servir de lui pour opprimer et détruire l’innocent. “Moqueur est le vin, bruyante la boisson fermentée: qui s’en laisse troubler manque de sens.” “Le jugement est repoussé en arrière, ... et celui qui se retire du mal devient une proie.”9 Ceux qui disposent de la vie de leurs semblables deviennent criminels quand ils se laissent aller à la boisson. Ceux qui sont chargés d’appliquer les lois devraient les observer. Ils devraient avoir la maîtrise d’eux-mêmes. Ils devraient rester en pleine possession de leurs énergies physiques, mentales et morales, et employer leur intelligence avec un sens élevé de justice. JC 208.2

La tête de Jean-Baptiste ayant été apportée à Hérodiade, elle la reçut avec une satisfaction diabolique. Sa vengeance la comblait de joie, à la pensée que désormais la conscience d’Hérode ne serait plus troublée. Cependant son crime ne lui apporta aucun bonheur. Son nom fut voué à l’infamie et Hérode fut plus troublé par le remords qu’il ne l’avait été par les avertissements du prophète. Quant à l’influence de Jean, loin d’avoir été réduite au silence, elle s’étend d’une génération à l’autre jusqu’à la fin des temps. JC 209.1

Obsédé par le souvenir de son péché, Hérode cherchait constamment à se soustraire aux accusations de sa conscience coupable. La confiance qu’il avait accordée à Jean persistait. Il n’avait aucun repos, se souvenant toujours de la vie pleine de renoncement que Jean avait vécue, ainsi que de ses appels solennels, émouvants, de ses conseils judicieux, et de sa mort tragique. Occupé aux affaires de l’Etat, entouré d’honneurs, il affichait le sourire et se donnait une apparence digne alors qu’il dissimulait un cœur anxieux, redoutant toujours une malédiction. JC 209.2

Jean avait dit à Hérode que rien n’est caché à Dieu, et ses paroles avaient fait une profonde impression sur lui. Il savait donc que Dieu est présent partout, qu’il avait été témoin des orgies auxquelles on s’était livré dans la salle du banquet, qu’il avait entendu l’ordre donné au sujet de la décapitation de Jean, qu’il avait vu les transports de joie d’Hérodiade et les traitements injurieux qu’elle avait fait subir à la tête de son censeur. Bien des choses entendues des lèvres du prophète parlaient maintenant à sa conscience avec plus de force que lorsqu’il prêchait au désert. JC 209.3

Ayant entendu parler des œuvres du Christ, Hérode fut profondément troublé. Il se demandait si Dieu n’avait pas ramené Jean d’entre les morts avec mission de condamner le péché avec plus de force que jamais. Il vivait dans une crainte continuelle, à la pensée que Jean pourrait venger sa mort en le condamnant, lui et sa maison. Hérode récoltait les conséquences d’une vie de péché, selon ce que Dieu a dit: “Un cœur tremblant, des yeux qui s’éteignent et une âme languissante. Ton existence sera comme en suspens devant toi; tu seras dans l’effroi nuit et jour et tu ne seras point assuré de ta vie. Le matin tu diras: Que ne suis-je au soir! et le soir tu diras: Que ne suis-je au matin! à cause de l’effroi dont ton cœur sera rempli et à cause du spectacle dont tes yeux seront les témoins.”10 Le pécheur est accusé par ses propres pensées; il n’est pas de torture plus aiguë que l’aiguillon d’une conscience coupable, ne laissant de repos ni jour ni nuit. JC 210.1

Aux yeux d’un grand nombre de personnes un mystère plane sur le sort de Jean-Baptiste. On se demande pourquoi il a dû languir et mourir en prison. Si le mystère d’une providence obscure est impénétrable à l’œil humain, il ne saurait ébranler notre confiance en Dieu, pourvu que nous nous souvenions d’une chose: Jean n’a fait que participer aux souffrances du Christ. Quiconque veut suivre le Christ doit accepter la couronne du sacrifice. On sera méconnu par des hommes égoïstes; on sera en butte aux terribles assauts de Satan. Son royaume se propose justement de détruire ce principe de sacrifice de soi-même; aussi luttera-t-il contre lui partout où il le rencontrera. JC 210.2

La fermeté de caractère avait distingué l’enfance, la jeunesse et l’âge mûr de Jean. Satan fut inquiet pour la sécurité de son royaume quand sa voix se fit entendre au désert disant: “Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez ses sentiers.”11 Le caractère détestable du péché fut révélé de telle manière que les hommes en tremblèrent. Beaucoup de ceux qui avaient été sous la domination de Satan se virent libérés. Il avait vainement tenté, par des efforts persévérants, d’arracher le Baptiste à une vie d’entière soumission à Dieu. Il n’avait pas réussi à vaincre Jésus. Satan avait essuyé une défaite, lors de la tentation au désert, et il en éprouvait une rage très grande. Il tentait maintenant d’affliger Jésus en frappant Jean. Il voulait au moins faire souffrir celui qu’il n’avait pu induire au péché. JC 210.3

Jésus n’intervint pas pour délivrer son serviteur. Il savait Jean capable d’endurer l’épreuve. Le Sauveur eût bien volontiers visité Jean dans son cachot, qu’il aurait éclairé de sa présence. Mais il ne devait pas se livrer à ses ennemis et compromettre sa propre mission. Il eût volontiers délivré son fidèle serviteur. Dans l’intérêt de milliers de personnes qui allaient subir la prison et la mort à l’avenir, Jean devait boire à la coupe du martyre. Quand il arriverait à des disciples du Christ de languir dans une cellule solitaire, ou de périr par l’épée, le gibet ou le bûcher, apparemment abandonnés de Dieu et des hommes, quelle consolation ne puiseraient-ils pas dans la pensée que Jean-Baptiste avait connu une expérience semblable, lui à qui le Christ avait rendu un si beau témoignage. JC 211.1

Satan eut la permission de retrancher la vie terrestre du messager de Dieu; cependant la vie “cachée avec le Christ en Dieu”12 était hors de l’atteinte du destructeur. Celui-ci se réjouissait de la douleur qu’il occasionnait au Christ, mais Jean avait échappé à sa conquête. D’ailleurs la mort allait le soustraire pour toujours au pouvoir de la tentation. Dans cette guerre, Satan faisait connaître son vrai caractère. Tout l’univers était témoin de sa haine contre Dieu et contre l’homme. JC 211.2

Bien que Jean n’ait pas eu la faveur d’une délivrance miraculeuse, il ne fut pas abandonné. Il avait joui constamment de la présence des anges célestes qui lui rappelaient les prophéties relatives au Christ et les promesses de l’Ecriture. C’était là son appui et celui du peuple de Dieu à travers les âges. Jean-Baptiste reçut l’assurance donnée à ceux qui l’ont suivi: “Voici, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde.”13 JC 211.3

Dieu ne conduit jamais ses enfants autrement qu’ils ne voudraient être conduits s’ils pouvaient voir la fin dès le commencement et discerner la gloire du dessein qu’ils servent en qualité de collaborateurs de Dieu. Ni Enoch, transféré au ciel, ni Elie, qui monta dans un chariot de feu, n’a été plus grand ou plus honoré que Jean-Baptiste, qui périt dans une prison. “Il vous a été fait la grâce non seulement de croire en Christ, mais encore de souffrir pour lui.”14 De tous les dons que le ciel peut dispenser à des hommes, celui de communier avec le Christ dans ses souffrances est le dépôt le plus précieux, l’honneur suprême. JC 211.4