Don De Prophétie: Une Réflexion Biblique Et Historique

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Limites du don de prophétie

Malgré son importance et son lien manifeste avec la tradition prophétique de l’Ancien Testament, Paul affirme clairement que le don de prophétie a des limites 652. DDP 213.1

Les messages de prophètes ? ils seront abolis. [...] Car c’est partiellement que nous connaissons, c’est partiellement que nous parlons en prophètes ; mais quand viendra l’accomplissement, ce qui est partiel sera aboli. Lorsque j’étais tout petit, je parlais comme un tout-petit, je pensais comme un tout-petit, je raisonnais comme un tout-petit ; lorsque je suis devenu un homme, j’ai aboli ce qui était propre au tout-petit. Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière confuse, mais alors ce sera face à face. Aujourd’hui je connais partiellement, mais alors je connaîtrai comme je suis connu. (1 Corinthiens 13.8-12) DDP 213.2

La connaissance qui est révélée grâce au don de prophétie est au mieux partielle - un faible reflet dans le miroir du trésor inépuisable des réalités divines, à la fois aujourd’hui et dans le futur. Il s’agit d’une énigme (ainigmati) 653. Cette énigme est associée aux limites relatives au fait que nous voyons Dieu au moyen d’un miroir en attendant de le voir directement et clairement - «face à face 654». Dans le cadre d’une prophétie, on ne voit pas la chose elle-même, mais seulement son image au moyen d’un intermédiaire. Une nouvelle orientation est souvent nécessaire pour pouvoir saisir le sens d’une prophétie - comme lorsque, après sa mort et sa résurrection, Jésus expliqua aux deux disciples sur le chemin d’Emmaüs les prophéties concernant le Messie (Luc 24.25,44,45). Ainsi, les prophètes eux-mêmes ne savaient pas toujours quel était le sens de leurs prophéties 655. Ils n’étaient pas non plus toujours capables de saisir le sens des déclarations d’un autre prophète 656. Cependant, cet aspect indirect et énigmatique n’amoindrissait en aucun cas l’authenticité de l’expérience des prophètes ni l’intégrité du Saint-Esprit, qui est «l’Esprit de la vérité 657». En fait, c’était «une lampe qui brille dans un lieu obscur» (2 Pierre 1.19). DDP 213.3

De plus, les prophéties doivent être évaluées, et par conséquent triées, c’est- à-dire acceptées ou rejetées : Quant aux prophètes, que deux ou trois parlent, et que les autres jugent. (1 Corinthiens 14.29) Le mot traduit par «jugent» est diakrinetōsan, qui signifie évaluer, juger, faire une distinction entre. Ce verbe a différentes significations dans les écrits de Paul 658, mais dans ce contexte précis, diakrinō veut dire «faire une distinction entre les différentes paroles prophétiques» - et donc entre les prophètes. En utilisant la même terminologie, Paul fait le lien entre le don de prophétie et le don accordé du Saint-Esprit consistant à faire preuve de discernement concernant les prophéties : Le Saint- Esprit donne à un autre [...], la capacité de parler en prophète ; à un autre, le discernement des esprits. (1 Corinthiens 12.10) 659 Ce discernement des esprits est intrinsèquement lié aux prophéties 660, puisqu’elles doivent être évaluées 661. Dans un autre contexte où la valeur des prophéties était soit remise en question soit sous-estimée, Paul plaide en faveur d’une évaluation minutieuse : N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les messages de prophètes, examinez tout, retenez ce qui est bien. (1 Thessaloniciens 5.19-21) 662. DDP 214.1

Si notre analyse du don de prophétie dans 1 Corinthiens 12 à 14 est exacte, alors l’évaluation que Paul préconise concerne le discernement entre les véritables prophéties et les fausses prophéties et, par conséquent, les véritables prophètes et les faux prophètes. De quelle source une prétendue manifestation prophétique vient-elle? Du Saint-Esprit, de l’esprit humain (elle serait alors autosuggérée) ou d’un esprit mauvais 663 ? Paul ne fait pas de recommandation particulière au sujet des faux prophètes, si ce n’est en parlant de façon positive du don de prophétie, mais les faux prophètes faisaient néanmoins partie du paysage spirituel du Ier siècle et Paul y fait allusion tacitement en parlant d’évaluation 664. Des esprits mauvais étaient à l’œuvre dans les congrégations du Nouveau Testament 665. L’évaluation telle que Paul la concevait concernait vraiment la distinction entre le véritable don de prophétie et le faux don de prophétie, et il ne s’agissait pas d’une sorte d’évaluation différente d’une sorte de don de prophétie différent. Il n’y avait pas à Corinthe de phénomène relatif à un don de prophétie ordinaire et congrégationaliste «selon lequel il y aurait des éléments exacts et d’autres éléments inexacts dans chaque prophétie qui seraient donc évalués et triés en fonction de leur valeur », ou selon lequel une prophétie «serait simplement relatée en termes humains pour rapporter ce que Dieu susciterait à l’esprit 666». DDP 214.2

Cette conclusion doit être nuancée par le lien étroit qui existe entre le don de prophétie et la révélation (1 Corinthiens 14.6). La révélation engendrée par le Saint-Esprit précède la prophétie, et pourtant la révélation ne prend forme que grâce à la prophétie 667. Elles sont inséparables ; simultanées, et pourtant consécutives. Le don de prophétie est basé sur la réception d’une révélation 668. Un prophète ne reçoit peut-être pas une révélation à chaque instant et à chaque occasion, mais il dépend toujours de l’action du Saint-Esprit 669. Une prophétie authentique inspirée par l’Esprit n’est pas le reflet d’une initiative ou de connaissances humaines 670. Contrairement au don des langues, qui était manifestement accordé «une fois pour toutes» et pouvait être utilisé quand on le voulait 671, les prophètes ne possédaient pas ainsi le don de prophétie dans le sens où ils pouvaient l’employer quand ils le voulaient 672. Ils dépendaient sans cesse de la révélation du Saint-Esprit. Comme nous l’avons souligné ci- dessus, cette révélation, bien que partielle et énigmatique, n’amoindrissait en aucune façon l’authenticité totale des prophéties ou l’intégrité du Saint-Esprit, «l’Esprit de la vérité 673». DDP 215.1

Une fois encore, il n’est pas question ici d’un don de prophétie congrégationaliste qui produirait des prophéties comportant à la fois des éléments exacts et d’autres éléments inexacts, ou qui pousserait le prophète à partager en des termes humains ce que Dieu ferait venir à son esprit. Si le Saint- Esprit facilite la révélation, alors les prophéties sont authentiques (1 Corinthiens 12.11). Cependant, même lorsqu’une prophétie était authentique, il s’avérait nécessaire de l’évaluer - non parce qu’elle comportait des inexactitudes, mais en raison de la présence de faux prophètes. DDP 216.1

Comme nous l’avons déjà noté, les faux prophètes étaient une réalité dans la société de l’époque et ils étaient également présents dans l’Église. Dans la communauté de Corinthe, certaines personnes se considéraient manifestement comme des prophètes ou des êtres spirituels (1 Corinthiens 14.37) 674. Cela ne signifiait pas qu’il s’agissait de véritables prophètes. Le contexte semble indiquer que ces soi-disant prophètes parlaient de leur propre initiative et pour des motifs égoïstes plutôt que pour transmettre une révélation accordée par le Saint-Esprit. Le fait qu’il y ait dans une congrégation des prophètes agités, en compétition les uns avec les autres, faisant tout leur possible pour attirer l’attention, ainsi que des membres orgueilleux refusant d’écouter ce que les autres ont à dire, ne signifie pas qu’un processus de révélation prophétique authentique soit à l’œuvre ou que Dieu y soit présent (verset 25) 675. DDP 216.2

Les prophètes authentiques du Nouveau Testament faisaient autorité, mais ils étaient malgré tout soumis à des critères objectifs permettant de confirmer leur authenticité et leur autorité, à savoir l’Ancien Testament et les écrits des apôtres : Est-ce de chez vous que la parole de Dieu est sortie ? Ou bien est- ce à vous seuls qu’elle est parvenue ? Si quelqu’un se considère comme un prophète ou un être spirituel, qu’il reconnaisse dans ce que je vous écris un commandement du Seigneur. Et si quelqu’un ne le reconnaît pas, c’est qu’il n’est pas reconnu. (versets 36-38) DDP 216.3

Deux points méritent d’être mentionnés. Tout d’abord, les prophètes du Nouveau Testament agissaient en fonction de la place qui était la leur dans l’histoire de la «Parole de Dieu» - l’Évangile du Christ 676. L’Ancien Testament ainsi que les écrits ultérieurs des apôtres dévoilant le mystère de l’Évangile annoncé précédemment étaient donc des critères bibliques et objectifs 677. Les paroles révélées et inspirées étaient évaluées dans le cadre plus large d’une révélation historique cohérente et faisant autorité. Le passé servait à évaluer ce qui venait plus tard. L’horizon herméneutique est exclusivement relatif au canon biblique. DDP 216.4

Deuxièmement, dans une certaine mesure, les prophètes - du moins à Corinthe - œuvraient dans le contexte de la supervision des apôtres. Paul pensa- t-il à cela en écrivant que Dieu avait placé dans l’Église premièrement des apôtres, et deuxièmement des prophètes (1 Corinthiens 12.28) ? Y avait-il une forme d’obligation mutuelle entre les apôtres et les prophètes - non pour savoir lesquels étaient les plus importants, ou lesquels faisaient davantage autorité, mais parce que les apôtres avaient une forme de précédence sur les prophètes dans la mesure où ils avaient fondé et établi l’Église et où ils confirmaient les critères bibliques (notamment dans leurs écrits) permettant d’évaluer la véracité et l’autorité des prophètes 678 ? Le texte n’est pas clair. Cependant, nous savons que même les véritables prophètes devaient être évalués. Nous savons également que Paul remit en question les prophètes de Corinthe et définit des critères concernant leur rôle dans le domaine de l’adoration. DDP 217.1

Les propos de Paul concernant les prophètes ne signifient pas que pour lui il y avait différentes sortes de don de prophétie avec différents niveaux d’autorité 679. Si le Saint-Esprit inspirait les prophètes et les apôtres, alors il n’y avait pas de hiérarchie ni de degré d’inspiration et de révélation. Cependant, il y avait peut-être une hiérarchie d’ordre pratique, à savoir que les apôtres et certains prophètes veillaient sur l’Église et le mouvement missionnaire en général, alors que d’autres prophètes s’attachaient à nourrir l’Église sur un plan plus régional 680. S’il y avait en effet une diversité des rôles, cela ne modifierait en rien la hiérarchie herméneutique des sources inspirées antérieures des Écritures hébraïques auxquelles les apôtres eux-mêmes faisaient référence. Cela ne modifierait pas non plus la façon dont les apôtres eux-mêmes s’investissaient alors dans la constitution du Nouveau Testament. Le fait qu’un apôtre pouvait contester un prophète est peut-être la raison pour laquelle, dans sa seconde épître aux Corinthiens, Paul évoque des apôtres de mensonge, des ouvriers trompeurs, qui se transforment en apôtres du Christ (2 Corinthiens 11.13 ; voir Apocalypse 2.2). Être un prophète ne suffisait pas si Paul gardait à l’esprit la recommandation du Christ (1 Corinthiens 14.37). Une fois encore, le texte n’est pas clair concernant une limite possible du don de prophétie. DDP 217.2

Enfin, même si le don de prophétie est potentiellement accessible à tous parce que tous les croyants reçoivent le Saint-Esprit 681, seuls quelques-uns seront appelés à l’exercer. C’est la nature des dons spirituels. Tout le monde ne reçoit pas le don de prophétie (1 Corinthiens 12.29). Que signifie alors la phrase : Vous pouvez tous parler en prophètes, un par un 682 ? Le mot «tous» ne signifie pas que tout le monde ait ce don. Ce verset fait plutôt référence à (1) ceux qui ont ce don de prophétie et à la façon dont ils sont appelés à se conduire dans le cadre de la communauté de foi (à savoir vis-à-vis de leurs semblables exerçant la fonction d’apôtres, par exemple) ; ou (2) une situation hypothétique dans la mesure où Paul montre simplement que, même si tout le monde avait ce don - et il invite tous les croyants à y aspirer 683 - tout doit être fait de façon ordonnée et pour l’édification du corps du Christ. Le fait que certains pensaient à tort avoir le don de prophétie montre que tout le monde ne le possédait pas, même si certains pensaient l’avoir (voir 1 Corinthiens 14.36-38). DDP 218.1