Le Grand Espoir- 3e édition
12 - La Réforme en France
La «protestation” de Spire et la confession d’Augsbourg, qui marquèrent le triomphe de la Réforme en Allemagne, furent suivies d’années de conflits et de ténèbres. Affaibli par les divisions qui régnaient parmi ses partisans et assailli par de puissants ennemis, le protestantisme semblait condamné à être totalement détruit. Des milliers de personnes scellèrent leur témoignage de leur sang. La guerre civile éclata. La cause protestante fut trahie par l’un de ses principaux adhérents. Les plus nobles des princes réformés tombèrent entre les mains de l’empereur et furent traînés de ville en ville, captifs. Mais, au moment de son triomphe apparent, l’empereur rencontra la défaite. Il vit sa proie lui échapper et fut enfin contraint d’accorder la tolérance aux doctrines dont la destruction avait été l’ambition de sa vie. Il avait misé son royaume, ses trésors et sa vie elle-même sur l’écrasement de cette hérésie. Il voyait maintenant ses armées dévastées par les batailles, ses trésors à sec, ses nombreux royaumes menacés de révolte, tandis que la foi qu’il avait vainement tenté de détruire se répandait. Charles Quint s’était attaqué à un pouvoir tout-puissant. Dieu avait dit: « Qu’il y ait de la lumière 1 ”, mais l’empereur avait tenté de faire perdurer les ténèbres. Ses desseins avaient échoué et, prématurément vieilli, usé par ces longues luttes, il abdiqua et se réfugia dans un monastère. GE3 157.1
En Suisse comme en Allemagne, la Réforme connut des jours sombres. Tandis que de nombreux cantons avaient accepté la foi réformée, d’autres se cramponnèrent avec une opiniâtreté aveugle au credo de Rome. La persécution déclenchée contre ceux qui désiraient recevoir la vérité provoqua finalement la guerre civile. Zwingli, ainsi qu’un grand nombre de ceux qui s’étaient joints à lui dans l’œuvre de la Réforme, tombèrent sur le champ de bataille sanglant de Cappel. Œcolampade, accablé par ces terribles désastres, mourut peu après. Rome triompha, et, en de nombreux endroits, sembla sur le point de recouvrer tout ce qu’elle avait perdu. Mais celui dont les desseins sont éternels n’avait abandonné ni sa cause, ni son peuple. Sa main allait lui apporter la délivrance. Dans d’autres pays, il avait suscité des ouvriers pour faire avancer la cause réformée. GE3 157.2
En France, avant que le nom de Luther ait été entendu en tant que réformateur, le jour avait déjà commencé à poindre. L’un des premiers à recevoir la lumière fut Lefèvre, un homme âgé, d’une profonde érudition, professeur à l’Université de Paris et papiste sincère et zélé. Au cours de ses recherches sur les littératures anciennes, son attention avait été attirée sur la Bible, dont il avait introduit l’étude dans le programme de ses étudiants. GE3 157.3
Lefèvre était un adorateur enthousiaste des saints. Il avait entrepris de rédiger une histoire des saints et des martyrs telle qu’on la trouvait dans les légendes de l’Église. C’était une œuvre qui exigeait énormément de travail, mais il était déjà considérablement avancé dans cette œuvre lorsque, pensant trouver une aide utile dans la Bible, il entreprit de l’étudier en vue de cet objectif. Il y trouva des saints, certes, mais pas comme ceux qui figuraient dans le calendrier de l’Église romaine. Des flots de lumière divine éclairèrent son esprit. Étonné et dégoûté en même temps, il abandonna la tâche qu’il s’était imposée et se consacra à la Parole de Dieu. Il se mit bientôt à enseigner aux autres les précieuses vérités qu’il y avait découvertes. GE3 158.1
En 1512, avant que Luther ou Zwingli aient commencé l’œuvre de la Réforme, Lefèvre écrivait: «C’est Dieu qui nous donne, par la foi, cette justice qui, par la grâce seule, justifie pour la vie éternelle 2. » Commentant les mystères de la rédemption, il s’exclamait: « Oh, grandeur indicible de cet échange! Celui qui n’a jamais péché est condamné, et celui qui est coupable est remis en liberté; celui qui était béni est maudit, et celui qui était maudit est béni ; celui qui est la vie meurt, et celui qui était mort vit ; celui qui est la gloire est enveloppé de ténèbres, et celui qui ne connaissait que la honte est revêtu de gloire 3. ” GE3 158.2
Tout en enseignant que la gloire du salut n’appartient qu’à Dieu seul, il déclarait aussi que le devoir d’obéissance est la part de l’homme. « Si tu es membre de l’Église du Christ, disait-il, tu es membre de son corps ; si tu appartiens à son corps, tu es rempli de la nature divine. [...] Oh, si les hommes pouvaient seulement comprendre ce privilège, comme ils vivraient purement, chastement et saintement, et combien ils considéreraient comme méprisable toute la gloire de ce monde, en la comparant à la gloire qui les habite, cette gloire que l’oeil de la chair ne peut voir! 4» GE3 158.3
Certains des étudiants de Lefèvre écoutaient avec avidité ses paroles et, longtemps après que la voix de leur professeur eut été réduite au silence, ils allaient continuer à proclamer la vérité. Parmi eux se trouvait Guillaume Farel. Fils de parents pieux et éduqué à accepter avec une foi implicite les enseignements de l’Église, il aurait pu déclarer en parlant de lui-même, comme l’apôtre Paul : « J’ai vécu en pharisien, selon le parti le plus strict de notre religion 5. » Adepte dévoué de l’Église romaine, il brûlait du zèle de détruire tous ceux qui osaient s’opposer à l’Église. « Je grinçais des dents comme un loup furieux, raconta-t-il plus tard en faisant allusion à cette période de sa vie, lorsque j’entendais quelqu’un parler contre le pape 6. » Il s’était montré inlassable dans sa vénération des saints lorsque, accompagné de Lefèvre, il faisait la tournée des églises de Paris pour adorer devant leurs autels et apporter des offrandes pour la décoration des saints reliquaires. Mais ces actes de dévotion ne purent pas lui apporter la paix de l’âme. La conviction du péché s’empara de lui, et tous les actes de pénitence qu’il pratiquait ne réussirent pas à l’effacer. Comme une voix venue du ciel, il écouta les paroles du réformateur: « Le salut est par grâce. [...] L’Innocent est condamné, et le criminel est acquitté. [...] C’est la croix seule du Christ qui ouvre les portes du ciel et ferme celles de l’enfer 7. ” GE3 158.4
Farel accepta la vérité avec joie. Par une conversion comparable à celle de Paul, il passa de l’esclavage de la tradition à «la liberté glorieuse des enfants de Dieu 8 ». «A la place du cœur meurtrier d’un loup vorace», raconte-t-il, il devint « paisible comme un agneau doux et inoffensif, le cœur totalement retiré au pape et totalement donné à Jésus-Christ 9 ». GE3 159.1
Tandis que Lefèvre continuait à répandre la lumière parmi ses étudiants, Farel, aussi zélé pour la cause du Christ qu’il l’avait été pour celle du pape, entreprit de prêcher la vérité en public. Un dignitaire de l’Église, l’évêque de Meaux, se joignit bientôt à eux. D’autres professeurs, hautement estimés pour leurs capacités et leur érudition, se joignirent aussi à eux pour proclamer l’Évangile, qui gagna des adhérents parmi toutes les classes sociales, du foyer des artisans et des paysans jusqu’au palais du roi. Marguerite de Navarre, la sœur de François Ier, qui régnait alors, accepta la foi réformée. Le roi lui-même, ainsi que la reine mère, semblèrent pendant un temps considérer celle-ci avec faveur ; et, nourrissant de grandes espérances, les réformateurs envisagèrent le moment où la France serait gagnée à la cause de l’Évangile. GE3 159.2
Mais leurs espoirs ne se réalisèrent pas. Les épreuves et la persécution attendaient ces disciples du Christ. Cependant, cette souffrance avait été miséricordieusement voilée à leurs yeux. Une période de paix leur fut donnée, afin qu’ils puissent prendre des forces pour affronter la tempête, et la cause de la Réforme put faire de rapides progrès. L’évêque de Meaux travailla avec zèle dans son propre diocèse à instruire à la fois le clergé et les paroissiens. Les prêtres ignorants et immoraux furent relevés de leurs fonctions et, autant que possible, remplacés par des hommes instruits et pieux. Cet évêque souhaitait ardemment que ses ouailles puissent avoir accès par eux-mêmes à la Parole de Dieu, ce qui fut bientôt accompli. Lefèvre avait entrepris la traduction du Nouveau Testament. Et, au moment même où la Bible allemande de Luther sortait des presses de Wittenberg, le Nouveau Testament en français fut publié à Meaux. Cet évêque n’épargna aucun effort ni dépense pour assurer sa diffusion dans ses paroisses, et, bientôt, les paysans de Meaux furent en possession des Saintes Écritures. GE3 159.3
C’était comme des voyageurs mourant de soif et qui découvrent avec joie une source d’eau vive que ces âmes reçurent le message du ciel. Les cultivateurs dans les champs et les artisans dans les ateliers s’encourageaient dans leur travail quotidien en parlant des précieuses vérités de la Bible. Le soir, au lieu de se retrouver dans les cabarets, ils se réunissaient les uns chez les autres pour lire la Parole de Dieu et s’unir dans la prière et la louange. Un grand changement se manifesta bientôt dans ces communautés. Bien qu’ils aient appartenu aux classes les plus humbles de la société, à une paysannerie ignorante et laborieuse, la puissance de réforme et de relèvement de la grâce divine se voyait dans leur vie. Humbles, aimants, saints, c’étaient des témoins vivants de ce que l’Évangile réalise dans la vie de ceux qui le reçoivent avec sincérité. GE3 159.4
La lumière allumée à Meaux projetait ses rayons au loin. Le nombre des convertis augmentait chaque jour. La fureur de la hiérarchie fut, pendant un certain temps, tenue en échec par le roi, qui méprisait l’étroite bigoterie des moines; mais les dirigeants de l’Église romaine finirent par l’emporter. On dressa de nouveau des bûchers. L’évêque de Meaux, contraint de choisir entre le bûcher et la rétractation, choisit le chemin le plus facile. Mais malgré la chute du chef, son troupeau demeura ferme. Beaucoup rendirent témoignage à la vérité au milieu des flammes du bûcher. Par leur courage et leur fidélité jusque sur le bûcher, ces humbles chrétiens parlèrent au cœur de milliers de personnes qui n’avaient jamais entendu leur témoignage dans les jours de paix. GE3 159.5
Ce ne furent pas seulement les humbles et les pauvres qui, au milieu des souffrances et du mépris, osèrent rendre témoignage au Christ. Dans les salles somptueuses des châteaux et du palais se trouvaient des âmes royales qui mettaient la vérité au-dessus de la richesse, du rang social ou même de la vie. Des armures royales cachaient souvent un esprit plus élevé et plus ferme que la soutane et la mitre épiscopales. Louis de Berquin était d’origine noble. Chevalier courageux et courtois, il était attaché à l’étude, raffiné dans ses manières et d’une moralité irré-prochable. Un auteur a dit de lui: « C’était un disciple zélé des constitutions papistes, qui fréquentait assidûment les messes et les sermons; [...] il couronnait toutes ses autres vertus en tenant le luthéranisme spécialement en horreur. » Mais, comme tant d’autres, guidé providentiellement vers la Bible, il fut étonné d’y trouver « non pas les doctrines de Rome, mais celles de Luther 10 ». A partir de ce moment, il se consacra avec un dévouement total à la cause de l’Évangile. GE3 160.1
Il était considéré comme « le plus érudit des nobles de France ». Son génie et son éloquence, son courage indomptable, son zèle héroïque et son influence à la cour (car c’était l’un des favoris du roi) le firent considérer par beaucoup comme un homme destiné à devenir le réformateur de son pays. Théodore de Bèze dit de lui : «Berquin aurait été un second Luther s’il avait trouvé en François Ier un second électeur. » « Il est pire que Luther !” s’écriaient les papistes 11. En effet, les partisans de l’Église romaine de France le craignaient encore plus que lui. Ils le jetèrent en prison en tant qu’hérétique, mais le roi le remit en liberté. Cette lutte se poursuivit pendant des années. François r, hésitant entre Rome et la Réforme, tolérait et retenait à tour de rôle le zèle ardent des moines. Les autorités papales emprisonnèrent trois fois Berquin. Le roi le remit en liberté à chaque fois, car il admirait son génie et sa noblesse de caractère et refusait de le sacrifier à la malveillance de la hiérarchie. GE3 160.2
On avertit Berquin à de nombreuses reprises du danger qui le menaçait en France, et on le pressa de suivre les pas de ceux qui avaient trouvé la sécurité dans l’exil volontaire. Érasme, timide et opportuniste, et qui, malgré toute la splendeur de son érudition, manquait de la grandeur morale qui met la vérité au-dessus de la vie et de l’honneur, écrivit ceci à Berquin : « Demandez qu’on vous envoie comme ambassadeur dans quelque pays étranger ; allez et voyagez en Allemagne. Vous connaissez Béda et les gens de son espèce; c’est un monstre à mille têtes, qui crache son venin de tous les côtés. Vos ennemis s’appellent “légion”. Même si votre cause était meilleure que celle de Jésus-Christ, ils ne vous lâcheraient pas jusqu’à ce qu’ils vous aient misérablement détruit. Ne vous fiez pas trop à la protection du roi. En tous cas, ne me compromettez pas auprès de la Faculté de théologie 12 ” GE3 160.3
Cependant, au fur et à mesure que les dangers se faisaient plus menaçants, le zèle de Berquin ne faisait que croître. Bien loin d’adopter le conseil politique et égocentrique d’Érasme, il décida d’adopter des mesures encore plus audacieuses. GE3 160.4
Non seulement il prendrait la défense de la vérité, mais il attaquerait aussi l’erreur. Il renverrait aux partisans de l’Église romaine l’accusation d’hérésie que ceux-ci tentaient de lancer contre lui. Ses adversaires les plus actifs et les plus implacables étaient les savants docteurs et moines de la Faculté de théologie de la grande Université de Paris, l’une des plus hautes autorités ecclésiastiques aussi bien de cette ville que de la nation tout entière. Berquin tira des écrits de ces docteurs douze propositions qu’il déclara publiquement être « contraires à l’enseignement de la Bible et hérétiques ”, et il fit appel au roi pour arbitrer cette controverse. GE3 161.1
Le monarque, auquel l’idée d’établir le contraste entre la puissance et la perspicacité des champions respectifs ne déplaisait pas, et, heureux de trouver l’occasion d’humilier l’orgueil de ces moines hautains, ordonna aux partisans de l’Église romaine de défendre leur cause par la Bible. Cette arme, ils le savaient bien, leur servirait à peu de choses. L’emprisonnement, la torture et le bûcher étaient des instruments qu’ils savaient beaucoup mieux manier. Maintenant, la situation s’était retournée, et ils se virent sur le point de tomber dans la fosse dans laquelle ils avaient espéré plonger Berquin. Dans leur perplexité, ils cherchèrent autour d’eux quelque moyen pour se tirer d’affaire. GE3 161.2
«Juste à ce moment, une image de la Vierge, placée à l’angle de l’une des rues, fut mutilée. » Ceci produisit un profond émoi dans la ville. Des foules s’assemblèrent à cet endroit pour exprimer leur deuil et leur indignation. Le roi, lui aussi, fut profondément ému. C’était un avantage que les moines pouvaient utiliser en leur faveur, et ils ne tardèrent pas à le faire. «Voilà les fruits de la doctrine de Berquin, s’écrièrent-ils. Cette conspiration luthérienne va tout renverser : la religion, les lois, et le trône lui-même 13 ” GE3 161.3
Berquin fut de nouveau appréhendé. Le roi avait quitté Paris, et les moines eurent ainsi la liberté d’agir à leur guise. Le réformateur fut jugé et condamné à mort. Et, de peur que François r ne s’interpose encore une fois pour lui sauver la vie, la sentence fut exécutée le jour même où elle fut prononcée. A midi, Berquin fut conduit à son lieu d’exécution. Une immense foule se rassembla pour assister à cet événement, et beaucoup d’entre eux se rendirent compte avec étonnement et appréhension qu’on avait choisi la victime parmi les meilleurs et les plus courageux au sein des familles nobles de France. La stupeur, l’indignation, le mépris et la haine se lisaient sur les visages de cette foule houleuse. Cependant, il y en avait un sur lequel ne planait aucune ombre : les pensées du martyr étaient très éloignées de cette scène de tumulte; il n’était conscient que de la présence de son Seigneur. GE3 161.4
Il n’accordait aucune attention à la misérable charrette qui le transportait, ni à la mine renfrognée de ses persécuteurs, ni à la mort horrible qui l’attendait. Celui qui a dit «Je suis mort, mais je suis vivant à tout jamais, et j’ai les clefs de la mort et du séjour des morts 14» se tenait à ses côtés. Le visage de Berquin était illuminé de la lumière et de la paix célestes. Il s’était habillé élégamment et portait « un manteau de velours, un pourpoint de satin et de damas et des chausses dorées 15» Il allait rendre témoignage de sa foi en présence du Roi des rois et de l’univers qui le regardait, et aucun signe de deuil ne devait contredire sa joie. GE3 161.5
Pendant que ce cortège traversait lentement les rues remplies de monde, les gens du peuple remarquaient avec étonnement la paix sans nuage, le joyeux triomphe de son expression et de son comportement. « Il est, disaient-ils, comme quelqu’un qui est assis dans un temple et médite sur les choses sacrées 16 » GE3 162.1
Arrivé au bûcher, Berquin tenta d’adresser quelques mots à la foule. Mais les moines, redoutant les effets de son discours, se mirent à pousser des cris, et les soldats à entrechoquer leurs armes, et cette clameur couvrit la voix du martyr. C’est ainsi qu’en 1529, les plus hautes autorités littéraires et ecclésiastiques de Paris, la ville la plus cultivée, « donnèrent à la populace de 1793 le vil exemple d’étouffer sur l’échafaud les paroles sacrées des mourants 17. » GE3 162.2
Berquin fut étranglé, et son corps livré aux flammes. La nouvelle de sa mort causa un profond chagrin aux amis de la Réforme dans toute la France. Mais son exemple ne fut pas perdu. « Nous sommes aussi prêts, dirent ces témoins de la vérité, à faire face à la mort avec joie en fixant les yeux sur la vie à venir 18. ” GE3 162.3
Pendant la persécution à Meaux, les professeurs de la foi réformée furent dépossédés de leur droit de prêcher et durent partir vers d’autres champs de travail. Au bout d’un certain temps, Lefèvre se rendit en Allemagne. Farel retourna dans sa ville natale, dans l’Est de la France, pour répandre la lumière dans la région de son enfance. Des nouvelles de ce qui se passait à Meaux y étaient déjà parvenues, et la vérité, qu’il prêchait avec un zèle intrépide, trouva des auditeurs. Bientôt, les autorités s’émurent, le firent taire et le bannirent de la ville. Bien que n’ayant plus la possibilité de travailler en public, il parcourut les plaines et les villages, enseignant dans des maisons privées et des prairies retirées et trouvant refuge dans les forêts et les cavernes rocheuses qui avaient été ses terrains de jeu pendant son enfance. Dieu le préparait pour des épreuves encore plus grandes. « Les croix, les persécutions et les machinations de Satan, dont j’ai été averti, n’ont pas manqué, dit-il; elles sont même beaucoup plus sévères que ce que j’aurais pu supporter par moi-même ; mais Dieu est mon Père; il m’a accordé, et m’accordera toujours, la force dont j’ai besoin 19. » GE3 162.4
Comme à l’époque apostolique, la persécution « a plutôt contribué aux progrès de la bonne nouvelle 20 ». Chassés de Paris et de Meaux, « ceux qui avaient été dispersés annonçaient la Parole, comme une bonne nouvelle 21 ». C’est ainsi que la lumière pénétra dans de nombreuses provinces reculées de France. GE3 162.5
Mais Dieu préparait d’autres ouvriers pour étendre sa cause. Dans l’un des établissements d’enseignement de Paris se trouvait un jeune homme réfléchi et tranquille, qui donnait déjà les signes d’un esprit puissant et pénétrant, tout aussi remarquable par la pureté de sa vie que par son ardeur intellectuelle et sa piété. Son génie et son application en firent bientôt la fierté de son établissement d’enseignement, et on s’attendait avec confiance à ce que Jean Calvin devienne l’un des défenseurs les plus capables et les plus honorés de l’Église. Mais un rayon de la lumière divine pénétra à l’intérieur même des murs de la scolastique et de la superstition dans lesquels était enfermé Calvin. Il entendit parler des nouvelles doctrines avec effroi, ne doutant pas que ces hérétiques méritaient bien le feu auquel on les livrait. Cependant, tout à fait sans l’avoir voulu, il fut amené à se confronter à l’hérésie et forcé de mettre à l’épreuve la puissance de la théologie romaine face aux enseignements protestants. GE3 162.6
Un cousin de Calvin, qui s’était joint aux réformateurs, était à Paris. Les deux cousins se rencontraient souvent et discutaient de ce qui perturbait la chrétienté. « Il n’existe que deux religions dans le monde, disait Olivétan, le protestant. Dans la première classe se trouvent celles que les hommes ont inventées, toutes professant que l’homme parvient au salut par des rituels et des bonnes œuvres; l’autre est la seule religion révélée dans la Bible; elle enseigne à l’homme à chercher le salut uniquement dans le don gratuit de la grâce de Dieu. » GE3 163.1
« Je n’ai rien à faire de tes nouvelles doctrines, s’exclama Calvin. T’imagines-tu que j’ai vécu toute ma vie dans l’erreur 22?» GE3 163.2
Mais cette conversation avait suscité dans son esprit des pensées qu’il ne pouvait pas bannir à volonté. Seul dans sa chambre, il réfléchit aux paroles de son cousin. La conviction du péché s’empara de lui; il se vit, sans intercesseur, en présence d’un juge saint et juste. La médiation des saints, les bonnes œuvres, les cérémonies de l’Église furent toutes impuissantes pour expier son péché. Il ne pouvait voir devant lui que les ténèbres d’un désespoir éternel. C’est en vain que les docteurs de l’Église s’efforcèrent d’apporter un soulagement à sa souffrance, en vain qu’il eut recours à la confession et à la pénitence. Elles ne purent réconcilier son âme avec Dieu. GE3 163.3
Tout en s’adonnant encore à ces luttes stériles, Calvin se trouva un jour par hasard dans une place publique et y assista à l’exécution d’un hérétique. Il fut frappé par l’expression de paix écrite sur le visage de ce martyr. Au milieu des tortures de cette mort horrible, et sous la condamnation encore plus terrible de l’Église, celui-ci manifestait une foi et un courage que le jeune étudiant fit douloureusement contraster avec son propre désespoir et les ténèbres qui l’enveloppaient, alors qu’il vivait dans la plus stricte obéissance aux ordres de l’Église. C’est sur la Bible, il le savait, que les hérétiques faisaient reposer leur foi. Il décida de l’étudier et de découvrir, s’il le pouvait, le secret de leur joie. GE3 163.4
C’est dans la Bible qu’il découvrit le Christ. « Ô Père, s’écria-t-il, son sacrifice a apaisé ta colère; son sang m’a lavé de mes impuretés; sa croix a porté ma malédiction; sa mort a fait l’expiation pour moi. Nous nous étions inventé bien des folies inutiles; mais tu as mis ta Parole devant moi comme un flambeau, et tu as touché mon cœur pour que je puisse avoir en abomination tous les autres mérites sinon ceux de Jésus 23. ” GE3 163.5
Calvin avait été éduqué pour la prêtrise. Âgé de seulement douze ans, il avait été nommé aumônier d’une petite église, et l’évêque lui avait fait apposer la tonsure selon les canons de l’Église. Il n’avait pas reçu l’ordination et ne remplissait pas les fonctions sacerdotales, mais était devenu membre du clergé, avec un titre et une allocation régulière. GE3 163.6
Maintenant, se rendant compte qu’il ne pourrait jamais devenir prêtre, il se tourna pendant quelque temps vers l’étude du droit, mais abandonna finalement cette voie et décida de consacrer sa vie à l’Évangile. Mais il hésitait à enseigner en public. Il avait une nature craintive et se sentait écrasé par le sentiment des lourdes responsabilités de cette fonction. Il désirait se consacrer encore à l’étude. Les vives exhortations de ses amis l’amenèrent cependant à accepter. « C’est merveilleux, dit-il, qu’une personne de si humble origine puisse être exaltée à une si haute dignité 24. ” GE3 163.7
Calvin entreprit calmement son œuvre, et ses paroles étaient comme la rosée qui tombe pour rafraîchir la terre. Il avait quitté Paris et se trouvait maintenant dans une ville de province sous la protection de la princesse Marguerite de Navarre, qui aimait l’Évangile et accordait sa protection à ses disciples. Calvin était encore un jeune homme, au comportement doux et modeste. Il commença son œuvre en visitant les maisons des gens du peuple. Entouré des membres de la famille, il leur lisait la Bible à haute voix et leur présentait les vérités du salut. Ceux qui entendaient ce message apportaient à d’autres la Bonne Nouvelle. Et bientôt, le professeur dépassa les limites de cette ville pour visiter les villages et hameaux environnants. La porte des châteaux comme celle des cabanes lui était ouverte, et il allait de l’avant, posant les fondations d’églises qui allaient produire des témoins intrépides pour la vérité. GE3 164.1
Quelques mois plus tard, il se trouva de nouveau à Paris. Il régnait une agitation inaccoutumée dans le milieu des savants et des érudits. L’étude des langues anciennes avait amené des hommes à découvrir la Bible, et beaucoup d’entre eux, dont le cœur n’avait pas été touché par les vérités qu’elle contenait, les discutaient âprement et livraient même bataille aux champions de l’Église romaine. Calvin, bien qu’étant un combattant très capable dans les champs de la controverse théologique, avait une mission plus élevée à accomplir que celle de ces bruyants docteurs. Les esprits des hommes étaient agités, et le moment était venu de leur présenter la vérité. Tandis que les salles de classe des universités retentissaient de la clameur des controverses théologiques, Calvin allait de maison en maison, présentant le message de la Bible aux gens du peuple et leur parlant de « Jésus-Christ — Jésus-Christ crucifié 25». GE3 164.2
Par la providence de Dieu, Paris allait recevoir une autre invitation à accepter l’Évangile. L’appel de Lefèvre et de Farel avait été rejeté, mais le message allait de nouveau se faire entendre dans cette grande capitale auprès de toutes les classes de la société. Le roi, influencé par des considérations politiques, n’avait pas encore pris position pleinement pour Rome et contre la Réforme. La princesse Marguerite de Navarre se cramponnait encore à l’espoir que le protestantisme puisse triompher en France. Elle décida que la foi réformée serait prêchée à Paris. Pendant l’absence du roi, elle ordonna à un prédicateur protestant de prêcher dans les églises de la ville. Les dignitaires de l’Église romaine l’ayant interdit, la princesse ouvrit le palais royal à la prédication. Une pièce fut aménagée en chapelle, et on annonça que chaque jour, à l’heure indiquée, un sermon y serait prêché et que les personnes de tous rangs et de toutes conditions sociales étaient invitées à y assister. Des foules accoururent à ce service religieux. Non seulement cette chapelle, mais aussi les antichambres et les couloirs furent remplis de monde. Chaque jour, des milliers de personnes s’assemblaient: nobles, hommes d’État, avocats, marchands et artisans. Le roi, loin d’interdire ces assemblées, ordonna que deux des églises de Paris soient ouvertes à cette prédication. Jamais encore cette ville n’avait été aussi remuée par la Parole de Dieu. Un esprit de vie venant du ciel semblait souffler sur le peuple. GE3 164.3
L’ ivrognerie, la licence, la discorde et l’oisiveté avaient fait place à la tempérance, à la pureté, à l’ordre et à l’assiduité au travail. GE3 165.1
Mais la hiérarchie ne resta pas sans rien faire. Le roi refusant encore d’intervenir pour faire cesser cette prédication, elle se tourna vers la populace. Aucun moyen ne fut épargné pour exciter les craintes, les préjugés et le fanatisme de ces foules ignorantes et superstitieuses. On aurait pu dire de Paris, qui avait cédé aveuglément à ces faux docteurs, comme de la Jérusalem d’autrefois : «Tu n’as pas reconnu le temps de l’intervention divine 26»; « Si toi aussi tu avais su, en ce jour, comment trouver la paix 27 ! » Pendant deux ans, la Parole de Dieu fut prêchée dans la capitale ; mais, bien que de nombreuses personnes aient accepté l’Évangile, la majorité de la population le rejeta. François r n’avait accordé qu’un semblant de tolérance, uniquement pour servir ses propres intérêts, et les papistes réussirent à reprendre le dessus. Les églises furent de nouveau fermées à cette prédication, et les bûchers furent de nouveau dressés. GE3 165.2
Calvin était encore à Paris, se préparant par l’étude, la méditation et la prière à ses futurs travaux, et continuant à répandre la lumière. Cependant, les soupçons se concentrèrent enfin sur lui. Les autorités décidèrent de l’envoyer au bûcher. Vivant dans la solitude, il se croyait en sécurité et ne pensait pas au danger. Mais des amis vinrent précipitamment chez lui l’avertir que des officiers de police étaient en route pour l’arrêter. À l’instant même, on entendit frapper violemment à la porte extérieure. Il n’y avait pas un moment à perdre. Quelques-uns de ses amis retinrent les officiers de police à la porte pendant que d’autres aidaient le réformateur à sortir par une fenêtre. Il se dirigea rapidement vers les banlieues de la ville. Il trouva refuge dans la chaumière d’un ouvrier ami de la Réforme se déguisa en empruntant les vêtements de son hôte, et, une houe sur l’épaule, se mit en route. En se dirigeant vers le Sud, il trouva de nouveau asile dans les domaines de la princesse Marguerite de Navarre 28. GE3 165.3
C’est là qu’il passa quelques mois en sécurité sous la protection d’amis puissants, occupé comme auparavant à étudier. Mais son cœur était attaché à l’évangélisation de la France, et il ne put pas rester longtemps inactif. Dès que la tempête fut un peu calmée, il chercha un nouveau champ de travail à Poitiers, où se trouvait une université, et où les nouvelles idées avaient déjà été accueillies favorablement. Des personnes de toutes les classes sociales écoutèrent l’Évangile avec joie. Il ne fit pas de prédication publique; mais, soit chez le premier magistrat, soit chez lui, et parfois dans un jardin public, Calvin présenta les « paroles de vie éternelle 29 » à ceux qui désiraient les entendre. Au bout d’un certain temps, le nombre des auditeurs augmentant, il parut plus sûr de s’assembler en dehors de la ville. On choisit comme lieu de réunion une caverne située dans le flanc d’une gorge profonde et étroite, rendue encore plus inaccessible par les arbres et les rochers qui la surplombaient. Des petits groupes, sortant de la ville en suivant divers itinéraires, s’y retrouvaient. C’est dans cet endroit retiré que la Bible était lue à haute voix et commentée. C’est là que la Sainte Cène fut célébrée pour la première fois par les protestants de France. Cette petite église produisit plusieurs évangélistes fidèles. GE3 165.4
Calvin retourna à Paris une fois de plus. Même alors, il ne pouvait abandonner l’espoir que la France en tant que nation accepterait la Réforme. Mais il trouva presque toutes les portes fermées à son travail. Enseigner l’Évangile, c’était prendre le chemin direct pour le bûcher. Il se décida enfin à partir pour l’Allemagne. Il avait à peine quitté la France qu’une tempête se déchaîna contre les protestants. S’il était resté, celle-ci l’aurait certainement impliqué dans la ruine générale. GE3 166.1
Les réformateurs français, désireux de voir leur pays marcher au même pas que l’Allemagne et la Suisse, avaient décidé de frapper un grand coup contre les superstitions de Rome, pour réveiller la nation tout entière. Une même nuit, des écriteaux attaquant la messe furent placardés dans toute la France. Cependant, au lieu de faire progresser la cause de la Réforme, cette initiative zélée, mais inconsidérée, attira la ruine non seulement sur ses auteurs, mais aussi sur les amis de la foi réformée dans toute la France. Elle donna aux partisans de l’Église romaine ce qu’ils cherchaient depuis longtemps : un prétexte pour exiger la destruction totale des hérétiques, considérés comme des agitateurs dangereux pour la stabilité du trône et pour la paix de la nation. GE3 166.2
Une main inconnue (celle d’un ami imprudent, ou celle d’un ennemi rusé, on ne le sut jamais) accrocha l’un de ces écriteaux à la porte de la chambre privée du roi. Le monarque fut horrifié. Cet écriteau attaquait sans pitié des superstitions qui avaient été vénérées pendant des siècles. L’audace sans précédent d’introduire ces déclarations directes et choquantes en présence même du roi suscita la colère de celui-ci. Stupéfait, il resta quelques instants tremblant et sans voix. Puis sa fureur se manifesta par ces paroles terribles: « Que tous ceux qui sont suspects de cette hérésie luthérienne soient appréhendés sans distinction. Je veux tous les exterminer 30. » Les dés étaient jetés. Le roi avait décidé de se ranger totalement du côté de Rome. GE3 166.3
Des mesures furent prises immédiatement pour l’arrestation de tous les luthériens de Paris. Un pauvre artisan, adhérent de la foi réformée, qui était chargé d’appeler les croyants à leurs assemblées secrètes, fut saisi et menacé de mort immédiate sur le bûcher s’il ne conduisait pas l’émissaire du pape au domicile de chaque protestant de la ville. Il recula d’horreur devant cette vile proposition, mais la crainte du bûcher l’emporta enfin, et il consentit à trahir ses frères. Précédé par l’hostie et entouré d’une procession de prêtres, de porteurs d’encensoirs, de moines et de soldats, Morin, le détective royal, accompagné du traître, parcourut lentement et silencieusement les rues de la ville. Cette procession était faite, soi-disant, en l’honneur du Saint-Sacrement et destinée à expier l’insulte faite à la messe par les protestants. Mais sous cette marche se cachait un dessein mortel. En arrivant devant la maison d’un luthérien, le traître faisait un signe, sans prononcer une parole. La procession s’arrêtait, on pénétrait dans cette maison, la famille était traînée à l’extérieur et enchaînée, et ce terrible cortège poursuivait son chemin à la recherche de nouvelles victimes. Ils « n’épargnèrent aucune maison, grande ou petite, pas même les collèges de l’Université de Paris. [...] Morin fit trembler toute la ville. [...] C’était le règne de la terreur 31 » GE3 166.4
Les victimes furent mises à mort au milieu de cruelles tortures. On avait spécialement ordonné de modérer l’ardeur du feu afin de prolonger leur agonie. Mais elles moururent en conquérants. Leur constance resta inébranlable, leur paix sans nuages. Leurs persécuteurs, incapables d’ébranler leur inflexible fermeté, se sentirent battus. « Les échafauds avaient été dressés dans tous les quartiers de Paris, et les exécutions se succédèrent les jours suivants, afin de répandre la peur de l’hérésie en multipliant les exécutions. Cependant, l’avantage resta finalement à la cause de l’Évangile. Tout Paris eut l’occasion de voir quelle sorte d’hommes ces nouvelles idées pouvaient produire. Il n’y a pas de meilleure chaire que le bûcher d’un martyr. La joie sereine qui illuminait le visage de ces hommes pendant qu’on les emmenait ...] sur le lieu de leur exécution, leur héroïsme au milieu des flammes, leur pardon accordé avec douceur à leurs persécuteurs, transformèrent, dans de nombreux cas, la colère en pitié et la haine en amour, et plaidèrent avec une éloquence irrésistible en faveur de l’Évangile 32. ” GE3 166.5
Les prêtres, décidés à maintenir la fureur populaire à son maximum, firent circuler les accusations les plus terribles contre les protestants. On les accusa de comploter le massacre des catholiques, de renverser le gouvernement et d’assassiner le roi. On ne put apporter l’ombre d’une preuve pour soutenir ces accusations. Néanmoins, ces prophéties de malheurs allaient s’accomplir un jour, mais en des circonstances très différentes et pour des causes de caractère opposé. Les actes de cruauté infligés aux protestants innocents par les catholiques s’accumulèrent, préparant une lourde rétribution, qui, au bout de plusieurs siècles, produisirent le destin même qui avait été prédit au le roi, à son gouvernement et à ses sujets. Mais les responsables de cette catastrophe furent les incrédules et les partisans du pape. Ce ne fut pas l’instauration du protestantisme, mais sa suppression qui, trois cents ans plus tard, allait attirer sur la France ces affreuses calamités. GE3 167.1
Les soupçons, la méfiance et la terreur s’étendirent alors sur toutes les classes de la société. Au milieu de l’inquiétude générale, on put se rendre compte à quel point les enseignements de Luther avaient marqué l’esprit des hommes les plus haut placés par leur science, leur influence et l’excellence de leur caractère. Des postes de confiance et d’honneur se trouvèrent soudainement vacants. Des artisans, des imprimeurs, des érudits, des professeurs d’université, des auteurs et même des courtisans disparurent. Des centaines de personnes durent s’enfuir de Paris, s’exilant volontairement de leur pays natal et, dans de nombreux cas, révélant ainsi pour la première fois qu’elles étaient en faveur de la foi réformée. Les papistes regardèrent autour d’eux avec étonnement en constatant le nombre d’hérétiques insoupçonnés qu’on avait tolérés parmi eux. Leur fureur se tourna contre les foules de victimes plus humbles qui se trouvaient en leur pouvoir. Les prisons étaient pleines à craquer, et l’atmosphère elle-même semblait assombrie par la fumée des bûchers allumés pour brûler les confesseurs de l’Évangile. GE3 167.2
François Ier s’était glorifié d’avoir été un pionnier dans le grand mouvement pour le réveil de l’érudition qui avait marqué le commencement du XVIe siècle. Il avait pris plaisir à rassembler à la cour des hommes de lettres de tous les pays. C’est à son amour de l’érudition et à son mépris pour l’ignorance et la superstition des moines qu’était due, au moins en partie, la mesure de tolérance qui avait été accordée à la Réforme. Mais, poussé par son zèle pour étouffer l’hérésie, ce patron de l’érudition avait promulgué un édit interdisant l’imprimerie dans toute la France ! François Ier est un exemple dans l’histoire, parmi tant d’autres, qui montre que la culture intellectuelle n’est pas une sauvegarde contre l’intolérance et la persécution dans le domaine religieux. GE3 167.3
La France, par une cérémonie solennelle et publique, allait se consacrer totalement à la destruction du protestantisme. Les prêtres exigèrent que l’affront fait au ciel par la condamnation de la messe soit lavé dans le sang et que le roi, au nom de son peuple, sanctionne publiquement cette œuvre horrible. GE3 168.1
Cette terrible cérémonie fut fixée au 21 janvier 1535. Les craintes superstitieuses et la haine bigote de toute la nation avaient été éveillées. Les rues de Paris étaient remplies de foules venues de toute la campagne environnante. Cette journée devait être inaugurée par une procession nombreuse et imposante. « Les maisons situées sur le passage de la procession étaient couvertes de draperies noires, et des autels avaient été dressés par intervalles. » Devant chaque maison était allumée une torche en honneur du Saint-Sacrement. Avant le lever du jour, le cortège se forma devant le palais royal. « En tête venaient les bannières et les croix des différentes paroisses ; puis venaient les citoyens, marchant deux par deux et portant des torches. » Les quatre ordres monastiques suivaient, chacun revêtu de son vêtement particulier. Puis venait une vaste collection de reliques célèbres. Ensuite chevauchaient des ecclésiastiques de haut rang dans leurs soutanes pourpres et écarlates ornées de bijoux; un déploiement magnifique et rutilant. GE3 168.2
« C’est l’évêque de Paris qui portait l’hostie sous un dais magnifique, [...] soutenu par quatre princes du sang. [...] Derrière l’hostie venait le roi. [...] François Ier, en ce jour, ne portait ni couronne, ni robe d’apparat. [...] Tête nue, les yeux baissés vers le sol, tenant à la main un cierge allumé ”, le roi de France « avait l’air d’un pénitent 33». Devant chaque autel, il s’inclinait avec humilité, non pour les vices qui souillaient son âme, ni pour le sang innocent qui souillait ses mains, mais pour le péché mortel de ses sujets qui avaient osé condamner la messe. Derrière lui venaient la reine et les dignitaires de l’État, marchant aussi deux par deux, chacun portant une torche allumée. GE3 168.3
Au nombre des activités de ce jour, le monarque lui-même s’adressa aux grands du royaume dans la grande salle du palais épiscopal. La mine contrite, il se présenta devant eux et, par des paroles éloquentes et émouvantes, déplora « le crime, le blasphème, le jour de chagrin et de disgrâce » qui s’était abattu sur la nation. Il invita tous ses loyaux sujets à contribuer à extirper l’hérésie pestilentielle qui menaçait la France de ruine. «Aussi vrai, Messieurs, que je suis votre roi, dit-il, si je savais qu’un de mes propres membres était taché ou infecté de cette détestable pourriture, je vous le donnerais à couper. [...] Bien plus, si je voyais un de mes enfants qui en était souillé, je ne l’épargnerais pas. [...] Je le livrerais moi-même et le sacrifierais à Dieu. » Les larmes étranglaient sa voix ; toute l’assemblée se mit à pleurer et s’exclama d’un commun accord: « Nous voulons vivre et mourir pour la religion catholique 34 ! » GE3 168.4
Les ténèbres qui enveloppaient cette nation qui avait rejeté la lumière de la vérité étaient terribles. La « grâce de Dieu, source de salut 35» s’était manifestée; mais la France, après en avoir contemplé la puissance et la sainteté, après que des milliers de personnes eurent été attirées par sa divine beauté, et après que des villes et des hameaux eurent été illuminés par son éclat, s’était détournée, parce qu’elle avait « aimé les ténèbres plus que la lumière 36. » Ses habitants avaient refusé le don céleste lorsque celui-ci leur avait été offert. Ils avaient appelé « le mauvais bon et le bon mauvais 37 ”, jusqu’à ce qu’ils soient victimes de leurs propres tromperies délibérées. Or, même s’ils pouvaient réellement croire qu’ils servaient Dieu en persécutant son peuple, leur sincérité ne faisait pas d’eux des innocents. Ils avaient délibérément rejeté la lumière qui les aurait sauvés de la tromperie et leur aurait évité de souiller leur âme par le crime. GE3 168.5
Un engagement solennel d’extirper l’hérésie fut pris dans la grande cathédrale dans laquelle, près de trois siècles plus tard, la déesse de la raison allait être intronisée par une nation qui avait oublié le Dieu vivant. De nouveau, une procession se forma, et les représentants de la France entreprirent l’œuvre qu’ils avaient juré d’accomplir. « Des bûchers avaient été dressés à courte distance l’un de l’autre, sur lesquels devaient être brûlés vifs certains chrétiens protestants. On s’était arrangé pour que les fagots soient allumés au moment où le roi approcherait afin que la procession s’arrête pour assister à l’exécution 38.” Les détails des tortures endurées par ces témoins du Christ sont trop horribles pour être rapportés, mais aucune victime ne céda. L’une d’elle, qu’on exhortait à se rétracter, répondit: «Je ne crois que ce que les prophètes et les apôtres d’autrefois ont prêché, et ce que toute la compagnie des saints a cru. Ma foi a en Dieu une confiance qui résistera à toutes les puissances de l’enfer 39. » GE3 169.1
À de nombreuses reprises, la procession s’arrêta sur les lieux de torture. Lorsqu’elle atteignit son point de départ devant le palais royal, la foule se dispersa; le roi et les prélats se retirèrent, très satisfaits des activités de cette journée et se félicitant de ce que l’œuvre commencée ce jour-là se poursuivrait jusqu’à la destruction complète de l’hérésie. GE3 169.2
L’Évangile de paix que la France avait rejeté n’allait être extirpé que trop sûrement, et les conséquences allaient en être terribles. Le 21 janvier 1793, exactement deux cent cinquante huit ans après ce jour qui engagea pleinement ce pays dans la persécution des réformateurs, un autre cortège, ayant un but totalement différent, traversa les rues de Paris. « Le roi en était de nouveau le personnage principal; de nouveau, il y eut du tumulte et des cris ; de nouveau, on entendit réclamer de nouvelles victimes ; de nouveau, on dressa de noirs échafauds ; et de nouveau, les scènes de la journée furent clôturées par d’horribles exécutions. Louis XVI, se débattant entre les mains de ses geôliers et de ses bourreaux, fut traîné jusqu’au bloc et main-tenu de vive force jusqu’à ce que le couperet tombe et décolle sa tête, qui roula sur l’échafaud 40.” Le roi ne fut pas la seule victime; près de ce même lieu, deux mille huit cents êtres humains périrent par la guillotine pendant ces jours sanglants du règne de la Terreur. GE3 169.3
La Réforme avait présenté au monde une Bible ouverte, descellant les préceptes de la loi de Dieu et invitant la conscience des hommes à accepter ses exigences. L’Amour Infini avait révélé aux humains les statuts et les principes du ciel. Dieu avait dit : « Vous les observerez et vous les mettrez en pratique ; ce sera là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples qui entendront parler de toutes ces prescriptions ; ils diront : Cette grande nation est vraiment un peuple sage et intelligent 41 ! » Lorsque la France rejeta le don du ciel, elle répandit les semences de l’anarchie et de la ruine. Le résultat inévitable de cause à effet fut la Révolution et le règne de la Terreur. GE3 169.4
Longtemps avant la persécution provoquée par les écriteaux, l’audacieux et ardent Farel avait été forcé de fuir son pays natal. Il se rendit en Suisse, et, en secondant l’œuvre de Zwingli par ses travaux, il contribua à faire pencher la balance en faveur de la Réforme. C’est là qu’il allait passer ses dernières années. Cependant, il continua à exercer une influence décisive sur le mouvement en France. Au cours des premières années de son exil, il concentra spécialement ses efforts sur la diffusion de l’Évangile dans son pays natal: il consacra énormément de temps à prêcher parmi ses compatriotes près de la frontière, d’où il observa le conflit avec une vigilance inlassable et apporta son aide par ses paroles d’encouragement et ses conseils. Avec l’aide d’autres exilés, les écrits des réformateurs allemands furent traduits et, en même temps que la Bible en français, imprimés en grandes quantités. C’est par des colporteurs que ces livres furent vendus en grands nombres en France. On les fournissait à bas prix à ces colporteurs, de sorte que les bénéfices des ventes leur permettent de poursuivre cette œuvre. GE3 170.1
Farel commença son travail en Suisse sous l’humble apparence d’un instituteur. Se rendant dans une paroisse retirée, il se consacra à l’instruction des enfants. Outre les branches d’enseignement habituelles, il présentait avec précaution les vérités de la Bible, dans l’espoir d’atteindre les parents par l’intermédiaire des enfants. Certaines personnes crurent, mais les prêtres s’interposèrent pour mettre fin à cette œuvre. Ils excitèrent ces campagnards superstitieux pour les amener à s’opposer à son œuvre. « Cela ne peut pas être l’Évangile du Christ, faisaient valoir les prêtres, car sa prédication n’apporte pas la paix, mais la guerre 42. » GE3 170.2
Comme les premiers disciples, lorsqu’il était persécuté dans une ville, il fuyait dans une autre. Il allait de village en village et de ville en ville, voyageant à pied, endurant la faim, le froid et la fatigue, en danger de mort partout. Il prêchait sur les places du marché, dans les églises, et à l’occasion, du haut de la chaire des cathédrales. Parfois, il trouvait l’église vide de tout auditeur ; d’autres fois, sa prédication était interrompue par des cris et des moqueries; d’autres fois encore, on le faisait descendre de la chaire avec violence. Plus d’une fois, il fut saisi par la populace et battu presque à mort. Cependant, il allait de l’avant. Bien que souvent repoussé, il repartait à l’attaque avec une persistance inlassable; et, l’une après l’autre, il vit des villes et des cités qui avaient été des forteresses du papisme ouvrir leurs portes à l’Évangile. La petite paroisse dans laquelle il avait commencé son travail accepta bientôt la foi réformée. Les villes de Morat et de Neuchâtel renoncèrent aussi aux rites de l’Église romaine et ôtèrent les images idolâtres de leurs chapelles. GE3 170.3
Farel désirait depuis longtemps planter l’étendard du protestantisme à Genève. Si cette ville pouvait être gagnée à sa cause, elle deviendrait un centre de la Réforme pour la France, la Suisse et l’Italie. Gardant cet objectif en vue, il continua son œuvre jusqu’à ce que de nombreuses villes et hameaux avoisinants aient été gagnés. Puis, suivi d’un seul compagnon, il pénétra dans Genève. Mais il ne put y prêcher que deux sermons. Les prêtres, ayant vainement tenté d’obtenir sa condamnation par les autorités civiles, le convoquèrent devant un conseil ecclésiastique, devant lequel ils se présentèrent en dissimulant des armes sous leurs soutanes, décidés à lui ôter la vie. En dehors de la salle, une foule furieuse armée de gourdins et d’épées s’était rassemblée pour le tuer s’il réussissait à échapper au conseil. Cependant, ce fut la présence de magistrats et d’hommes en armes qui lui sauva la vie. Tôt le lendemain matin, son compagnon et lui furent conduits en lieu sûr de l’autre côté du lac. C’est ainsi que se termina sa première tentative pour évangéliser Genève. GE3 170.4
Pour la deuxième tentative, c’est un instrument encore plus modeste que Dieu choisit: un jeune homme d’apparence si humble que même ceux qui se prétendaient amis de la Réforme le traitaient avec froideur. Que pourrait faire un tel homme là où Farel avait été rejeté? Comment un homme faible en courage et en expérience pourrait-il résister à la tempête devant laquelle les plus forts et les plus courageux avaient été forcés de fuir ? « Ce n’est pas par la puissance, ce n’est pas par la force, mais c’est par mon souffle, dit le Seigneur des Armées 43. » « Dieu a choisi ce qui est faible dans le monde pour faire honte à ce qui est fort 44. » « Car la folie de Dieu est plus sage que les humains, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les humains 45 ” GE3 171.1
Froment commença son œuvre comme instituteur. Ses élèves répétaient chez eux les vérités qu’il leur enseignait à l’école. Bientôt, les parents vinrent écouter l’explication de la Bible, jusqu’à ce que l’école soit remplie d’auditeurs attentifs. Des Nouveaux Testaments et des traités étaient distribués gratuitement et atteignaient de nombreuses personnes qui n’osaient pas venir ouvertement écouter les nouvelles doctrines. Au bout d’un certain temps, cet ouvrier fut aussi forcé de fuir; mais les vérités qu’il avait enseignées s’étaient enracinées dans l’esprit des gens du peuple. La Réforme avait été implantée, et elle continua de se fortifier et de s’étendre. Les prédicateurs purent revenir, et, grâce à leurs travaux, le culte protestant fut finalement instauré à Genève. GE3 171.2
Cette ville avait déjà pris position pour la Réforme lorsque Calvin, après diverses pérégrinations et vicissitudes, franchit ses portes. Revenant d’une dernière visite à sa ville natale, il était en chemin pour Bâle, lorsque, découvrant que la route directe était occupée par les armées de Charles Quint, il fut contraint de suivre un itinéraire détourné passant par Genève. GE3 171.3
Dans cette visite, Farel reconnut la main de Dieu. Bien que Genève ait accepté la foi réformée, il restait encore une grande œuvre à y accomplir. Ce n’est pas collectivement, mais individuellement qu’on se convertit à Dieu; l’œuvre de la régénération doit être réalisée dans le cœur et dans la conscience par la puissance du Saint-Esprit, et non par les décrets des assemblées. Bien que les habitants de Genève aient rejeté l’autorité de Rome, ils n’étaient pas pour autant disposés à abandonner les vices qui avaient régné sous la domination de celle-ci. Y instaurer les purs principes de l’Évangile et préparer ses habitants à jouer dignement le rôle auquel la Providence semblait les appeler n’étaient pas des tâches faciles. GE3 171.4
Farel était certain d’avoir trouvé en Calvin quelqu’un qui pourrait s’associer à lui dans cette œuvre. Au nom du Seigneur, il adjura solennellement le jeune évangéliste d’y rester et d’y travailler. Calvin recula, effrayé. Craintif et pacifique, il redoutait le contact avec l’esprit audacieux, indépendant et même violent des Genevois. La faiblesse de sa santé, ainsi que ses habitudes studieuses, le poussaient à vivre retiré. Pensant que c’est par sa plume qu’il pourrait le mieux servir la cause de la Réforme, il désirait trouver une retraite tranquille pour étudier, et de là, par l’intermédiaire de la presse, instruire et édifier les Églises. Mais l’appel solennel de GE3 171.5
Farel lui parut être un appel du ciel, et il n’osa pas refuser. Il lui sembla, dit-il, « que la main de Dieu s’étendait depuis le ciel, qu’elle s’emparait de lui et le plaçait irrévocablement à l’endroit qu’il était si impatient de quitter 46 » GE3 172.1
À cette époque, de grands périls entouraient la cause protestante. Les anathèmes du pape tonnaient contre Genève, et de puissantes nations la menaçaient de destruction. Comment cette petite cité allait-elle résister à la puissante hiérarchie qui avait si souvent obligé des rois et des empereurs à se soumettre ? Comment tiendrait-elle contre les armées des grands conquérants de ce monde? GE3 172.2
Dans toute la chrétienté, le protestantisme était menacé par de formidables ennemis. Une fois passés les premiers triomphes de la Réforme, Rome avait rassemblé de nouvelles forces, espérant réaliser la destruction de celle-ci. C’est à cette époque que fut créé l’ordre des Jésuites, le plus cruel, le plus dénué de scrupules et le plus puissant de tous les champions du papisme. Affranchis de tout lien terrestre et de tout intérêt humain, morts aux droits de l’affection naturelle, la raison et la conscience totalement réduites au silence, ceux-ci ne connaissaient d’autres règles ni d’autres liens que ceux de leur ordre, ni d’autre devoir que celui d’en accroître la puissance 47. GE3 172.3
L’Évangile du Christ avait permis à ses adhérents de braver le danger et d’endurer la souffrance sans se laisser décourager par le froid, la faim, le dur labeur et la pauvreté, pour exalter l’étendard de la vérité face au chevalet, au cachot et au bûcher. Pour combattre ces forces, le jésuitisme inspirait à ses disciples un fanatisme qui leur permettait d’affronter des dangers semblables et d’opposer à la puissance de la vérité toutes les armes de la tromperie. Pour eux, aucun crime n’était trop grave, aucune tromperie trop vile, aucun déguisement trop difficile à assumer. Ayant fait vœu de pauvreté et d’humilité perpétuelles, ils avaient pour objectif délibéré d’acquérir les richesses et le pouvoir, et de se consacrer à la destruction du protestantisme et à la restauration de la suprématie papale. GE3 172.4
Lorsqu’ils se présentaient comme membres de leur ordre, ils revêtaient une apparence de sainteté : ils visitaient les prisons et les hôpitaux, s’occupaient des malades et des pauvres, faisaient profession d’avoir renoncé au monde et de porter le nom sacré de Jésus, « qui, là où il passait, faisait du bien 48 ». Mais, sous cet extérieur sans tache se cachaient souvent les desseins les plus criminels et les plus mortels. C’était l’un des principes fondamentaux de leur ordre que «la fin justifie les moyens ». D’après ce code moral, le mensonge, le vol, le parjure, le meurtre étaient non seulement pardonnables, mais recommandables lorsqu’ils servaient les intérêts de l’Église. Sous divers déguisements, les Jésuites s’infiltraient dans les postes de l’État, allant jusqu’à devenir conseillers des rois et à modeler la politique des nations. Ils devenaient serviteurs pour pouvoir espionner leurs maîtres. Ils ouvraient des établissements d’enseignement supérieur pour les fils des princes et des nobles, et des écoles primaires pour les gens du peuple. Ainsi, les enfants de parents protestants étaient amenés à observer les rites du papisme. Toute la pompe extérieure et l’ostentation du culte de l’Église romaine étaient utilisées pour confondre l’esprit et éblouir et captiver l’imagination. C’est ainsi que la liberté pour laquelle les pères avaient travaillé et versé leur sang était trahie par les fils. Les Jésuites se répandirent rapidement dans toute l’Europe, et partout où ils allaient se manifestait un réveil du papisme. GE3 172.5
Pour leur conférer encore plus de puissance, une bulle fut publiée, rétablissant l’Inquisition 49. Malgré l’horreur générale avec laquelle on le considérait, même dans les pays catholiques, ce terrible tribunal fut de nouveau mis en place par les dirigeants de l’Église papiste, et des atrocités trop horribles pour être rapportées furent répétées dans ses cachots secrets. Dans de nombreux pays, des milliers et des milliers de personnes, la fine fleur de la nation — les plus purs et les plus nobles, les plus intellectuels et les plus instruits, les pasteurs les plus pieux et les plus consacrés, ainsi que les citoyens les plus industrieux et les plus patriotes, les érudits les plus brillants, les artistes les plus talentueux et les artisans les plus habiles — furent mises à mort ou contraintes de s’enfuir vers d’autres pays. GE3 173.1
Tels étaient les moyens utilisés par Rome pour étouffer la lumière de la Réforme, pour ôter la Bible aux hommes et pour rétablir l’ignorance et la superstition du Moyen Âge. Mais, sous la bénédiction de Dieu et grâce aux travaux de ces nobles hommes qu’il avait suscités pour succéder à Luther, le protestantisme ne fut pas détruit. Ce n’est pas à la faveur des princes ni à leurs armes qu’il devait sa force. Les pays les plus petits, les nations les plus humbles et les moins puissantes devinrent ses forteresses. Ce fut la petite Genève, entourée d’ennemis puissants qui complotaient de la détruire; ce fut la Hollande, sur ses bancs de sable de la mer du Nord, luttant contre la tyrannie de l’Espagne — le royaume le plus grand et le plus opulent de l’époque — ; ce fut la Suède, désolée et stérile; tels furent les pays qui remportèrent des victoires pour la Réforme. GE3 173.2
Calvin travailla à Genève pendant près de trente ans, d’abord pour y mettre sur pied une Église qui adhère à la moralité de la Bible, puis pour l’avancement de la Réforme dans toute l’Europe. Sa ligne de conduite comme chef public ne fut pas sans défauts, ni ses doctrines exemptes d’erreurs; mais il fut un instrument pour proclamer des vérités qui avaient une importance particulière à son époque, afin de maintenir les principes du protestantisme face à la marée du papisme qui revenait rapidement, et promouvoir dans les Églises réformées la simplicité et la pureté de la vie au lieu de l’orgueil et de la corruption que les enseignements de l’Église romaine avaient favorisés. GE3 173.3
C’est depuis Genève que des publications et des professeurs rayonnaient pour diffuser les doctrines réformées. C’est vers elle que se tournaient les persécutés de tous les pays pour y trouver instruction, conseils et encouragement. La cité de Calvin devint un refuge pour les réformateurs pourchassés dans toute l’Europe occidentale. En fuyant les terribles tempêtes qui se poursuivirent pendant des siècles, les fugitifs arrivaient aux portes de Genève. Mourant de faim, blessés, ayant perdu leur foyer et leur famille, ils étaient chaleureusement accueillis et traités avec tendresse. Ils y trouvaient un nouveau foyer et apportaient une bénédiction à leur cité d’adoption par leurs techniques professionnelles, leur érudition et leur piété. Beaucoup de ceux qui s’y étaient réfugiés retournaient dans leur pays d’origine pour résister à la tyrannie de Rome. John Knox, le courageux réformateur de l’Écosse, de nombreux puritains anglais, les protestants de Hollande et d’Espagne et les huguenots de France emportèrent de Genève le flambeau de la vérité pour dissiper les ténèbres qui enveloppaient leur pays natal. GE3 173.4