Jésus-Christ
Chapitre 19 — Près du puits de Jacob
Ce chapitre est basé sur Jean 4:1-42.
Jésus traversait la Samarie pour se rendre en Galilée. Vers midi, il arriva dans la magnifique vallée de Sichem. Fatigué du voyage, il s’assit à l’entrée, près du puits de Jacob, pour se reposer, tandis que ses disciples iraient acheter des aliments. JC 165.1
Ennemis acharnés, les Juifs et les Samaritains évitaient, autant que possible, tout rapport entre eux. Il est vrai que faire du commerce avec les Samaritains en cas de nécessité passait pour légitime aux yeux des rabbins; mais toute autre relation avec eux était condamnée. Un Juif n’eût rien voulu emprunter à un Samaritain, ni recevoir de lui un présent, fût-ce un morceau de pain ou un verre d’eau. Les disciples, en leur achetant des aliments, agissaient selon la coutume de leur nation. Mais ils n’allaient pas plus loin. Demander une faveur à des Samaritains, ou chercher d’une manière quelconque à leur faire du bien, cette idée ne pouvait entrer dans l’esprit d’un Juif, même s’il était disciple du Christ. JC 165.2
Assis sur la margelle du puits, après un long voyage, effectué depuis le matin, Jésus était affamé et altéré. Le soleil de midi dardait ses rayons sur lui. La sensation de soif s’intensifiait en pensant que se trouvait si près de lui, et cependant inaccessible, l’eau rafraîchissante. Il n’avait ni corde, ni cruche, et le puits était profond. Il partageait le sort de l’humanité, et il dut attendre que quelqu’un vînt pour puiser de l’eau. JC 165.3
Une femme de Samarie s’approcha, et sans paraître le remarquer, elle remplit d’eau sa cruche. Au moment où elle allait partir, Jésus lui demanda à boire. Il s’agissait d’une faveur que personne ne pouvait refuser, en Orient, où l’eau était appelée “le don de Dieu”. Offrir à boire au voyageur assoiffé était un devoir si sacré que les Arabes du désert l’accomplissaient coûte que coûte. La haine qui régnait entre les Juifs et les Samaritains avait empêché la femme d’offrir à Jésus de quoi se désaltérer; mais le Sauveur cherchait la clé de son cœur, et, avec le tact qu’engendre l’amour divin, il sollicita une faveur, au lieu de l’offrir. S’il avait fait un présent, il se fût peut-être heurté à un refus, mais la confiance engendre la confiance. Le Roi du ciel vint auprès de cette âme déshéritée, sollicitant d’elle un service. Celui qui a créé l’océan, et qui commande aux eaux de l’abîme, celui qui a fait jaillir les sources et les cours d’eau, se reposa de sa fatigue près du puits de Jacob, et attendit que l’obligeance d’une personne étrangère apaisât sa soif. JC 165.4
La femme reconnut que Jésus était Juif. Surprise, elle ne pensa pas à lui accorder l’objet de sa requête, mais chercha à en découvrir la raison. “Comment toi qui es Juif, dit-elle, me demandes-tu à boire, à moi qui suis une Samaritaine?” JC 166.1
Jésus répondit: “Si tu connaissais le don de Dieu, et qui est celui qui te dit: Donne-moi à boire! c’est toi qui l’en aurais prié, et il t’aurait donné de l’eau vive.” Tu t’étonnes que je t’aie demandé une faveur aussi banale que celle de me donner une gorgée d’eau puisée dans ce puits. Si tu l’avais désiré, je t’aurais fait boire de l’eau de la vie éternelle. JC 166.2
La femme ne comprit pas les paroles du Christ, mais elle en sentit obscurément la portée solennelle. Sa frivolité habituelle fit place au sérieux. Pensant que Jésus faisait allusion au puits qui se trouvait là, elle dit: “Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond; d’où aurais-tu donc cette eau vive? Es-tu plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits et qui en a bu lui-même?” Elle voyait, devant elle, un voyageur altéré, exténué, couvert de poussière. Son esprit établissait une comparaison entre lui et le vénéré patriarche Jacob. Comme cela est assez naturel, elle caressait l’idée que nul puits n’égalait celui que ses ancêtres avaient creusé. Elle regardait en arrière vers ses aïeux, et en avant vers la venue du Messie, tandis que l’espoir des pères, le Messie lui-même, se tenait près d’elle sans qu’elle le sût. Combien d’âmes assoiffées vivent aujourd’hui tout près de la fontaine des eaux vives, et cherchent au loin les sources de la vie! JC 166.3
“Ne dis pas en ton cœur: Qui montera au ciel? c’est en faire descendre Christ; ou: Qui descendra dans l’abîme? c’est faire remonter Christ d’entre les morts. ... La parole est près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur. ... Si tu confesses de ta bouche le Seigneur Jésus, et si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé.”1 JC 167.1
Au lieu de répondre immédiatement à la question qui le concernait, Jésus dit d’un ton imposant: “Quiconque boit de cette eau aura encore soif; mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai, n’aura jamais soif, et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle.” JC 167.2
Il aura toujours soif, celui qui cherche à se désaltérer aux sources de ce monde. Les hommes ont tous des besoins insatisfaits. Ils soupirent après quelque chose qui puisse rassasier leur âme. Un seul peut répondre à ce besoin. C’est de Christ, “le Désiré de toutes les nations”, que le monde a besoin. La grâce divine qu’il peut seul dispenser est pour l’âme une eau vive qui purifie, rafraîchit et fortifie. JC 167.3
Jésus ne voulait pas dire qu’une simple gorgée d’eau de la vie pourrait suffire. Celui qui a goûté à l’amour du Christ en voudra toujours davantage; seulement, il ne cherchera pas autre chose. Il ne sera pas attiré par les richesses, les honneurs et les plaisirs du monde. Son cœur criera toujours: Encore davantage de toi. Celui qui dévoile à l’âme ses besoins n’attend que l’occasion de pouvoir assouvir sa faim et sa soif. Toutes les ressources humaines s’épuiseront, les citernes se videront, les étangs se dessécheront; mais notre Rédempteur est une source intarissable. On peut boire, boire encore, sans jamais l’épuiser. Celui en qui le Christ demeure a, au-dedans de lui, une source de bénédiction, — “une source d’eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle”. A cette source il peut puiser force et grâce pour tous ses besoins. JC 167.4
Quand Jésus eut parlé de l’eau vive, la femme le considéra avec la plus vive curiosité. Il éveillait son intérêt, et faisait naître en elle le désir d’obtenir le don auquel il faisait allusion. Elle voyait bien qu’il ne pensait pas à l’eau du puits de Jacob; car elle en buvait continuellement, sans apaiser sa soif. “Seigneur, dit-elle, donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif et que je ne vienne plus puiser ici.” JC 167.5
Jésus change brusquement de conversation. Avant d’être à même de recevoir le don qu’il est impatient de lui communiquer, cette âme a besoin de reconnaître son péché et son Sauveur. Aussi lui dit-il: “Va, appelle ton mari, et reviens ici.” Elle répond: “Je n’ai pas de mari.” Elle espère, par là, mettre fin à des questions gênantes. Mais le Sauveur poursuit: “Tu as bien fait de dire: Je n’ai pas de mari. Car tu as eu cinq maris, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari. En cela tu as dit vrai.” JC 168.1
La femme est saisie d’un tremblement. Une main mystérieuse tourne les pages de sa vie, mettant au jour ce qu’elle a cru pouvoir garder caché. Qui est celui-ci qui lit ainsi les secrets de sa vie? Elle songe à l’éternité, au jugement à venir, qui manifestera tout ce qui est scellé. A cette lumière, sa conscience s’éveille. JC 168.2
Elle ne peut pas nier; elle essaye pourtant d’éviter un sujet aussi scabreux. Elle dit donc avec beaucoup de respect: “Seigneur, je vois que tu es prophète.” Puis, pour faire taire ses remords, elle entame une controverse religieuse. Si cet homme est un prophète, il pourra sûrement lui donner la solution des problèmes si longtemps discutés. JC 168.3
Patiemment Jésus consent à la suivre sur ce nouveau terrain. Mais il n’attend que l’occasion de revenir à la vérité essentielle. “Nos pères ont adoré sur cette montagne, dit-elle; et vous dites, vous, que l’endroit où il faut adorer est à Jérusalem.” La montagne de Garizim se profile à l’horizon. De son temple en ruines, seul l’autel reste debout. Des querelles se sont élevées entre les Juifs et les Samaritains au sujet du vrai lieu de culte. Une partie des ancêtres des Samaritains avaient appartenu autrefois au peuple d’Israël; mais à la suite de leurs péchés, le Seigneur permit qu’ils fussent vaincus par une nation idolâtre. Mêlés aux païens pendant plusieurs générations, leur religion en fut graduellement contaminée. Ils prétendaient, il est vrai, que leurs idoles servaient à leur rappeler le Dieu vivant, le Maître de l’univers; néanmoins le peuple se laissait aller à honorer des images taillées. JC 168.4
A l’époque d’Esdras, quand le temple de Jérusalem fut rebâti, les Samaritains avaient désiré participer avec les Juifs à son érection. Ce privilège leur fut refusé, et il en résulta beaucoup d’animosité entre les deux peuples. Les Samaritains construisirent un temple rival sur la montagne de Garizim. Là, ils adorèrent selon le rituel mosaïque, sans toutefois renoncer entièrement à l’idolâtrie. Ils eurent à subir des désastres, leur temple fut détruit par des ennemis, et ils parurent être sous le coup d’une malédiction; cependant ils restèrent attachés à leurs traditions et aux formes de leur culte. Ils ne voulaient ni reconnaître le temple de Jérusalem comme étant la maison de Dieu, ni admettre la supériorité de la religion des Juifs. JC 169.1
Jésus répond à la femme: “Crois-moi, l’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne, ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. Vous adorez ce que vous ne connaissez pas; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs.” Jésus s’est montré libre de tout préjugé à l’égard des Samaritains. Il cherche maintenant à renverser le parti pris que cette femme entretient contre les Juifs. Tout en signalant le fait que la foi des Samaritains est corrompue par l’idolâtrie, il déclare que les grandes vérités de la rédemption ont été confiées aux Juifs, et que c’est du milieu d’eux que le Messie devait paraître. Les Ecrits sacrés leur offrent une révélation claire concernant le caractère de Dieu et les principes de son gouvernement. Jésus se classe parmi les Juifs, auxquels Dieu s’est fait connaître. JC 169.2
Il veut élever les pensées de celle qui l’écoute, au-dessus des questions de formes et de cérémonies, ou de controverse. “L’heure vient, dit-il — et c’est maintenant — où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité; car ce sont de tels adorateurs que le Père recherche. Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité.” JC 169.3
Ici est mise en évidence la même vérité que Jésus avait révélée à Nicodème quand il lui dit: “Si un homme ne naît d’en haut, il ne peut voir le royaume de Dieu.”2 Ce n’est pas en se rendant sur un mont sacré ou dans un saint temple que les hommes ont accès à la communion avec le ciel. La religion ne doit pas se limiter à des formes extérieures et à des cérémonies. Seule la religion procédant de Dieu peut conduire à lui. On ne peut le servir convenablement que si l’on est né de l’Esprit divin. C’est ainsi seulement que le cœur peut être purifié, l’esprit renouvelé, et que l’on devient apte à connaître et à aimer Dieu. Alors seulement on obéit volontairement à toutes ses exigences, ce qui est le vrai culte. Tel est le fruit de l’opération du Saint-Esprit. Toute prière sincère est inspirée par l’Esprit et devient dès lors acceptable à Dieu. Partout où une âme se met à la recherche de Dieu l’action de l’Esprit est manifeste et Dieu se fait connaître à l’âme. De tels adorateurs sont demandés par lui. Il les attend, prêt à les recevoir, à faire d’eux des fils et des filles. JC 170.1
La femme est impressionnée par les paroles de Jésus. Elle n’avait jamais entendu exprimer de tels sentiments par les prêtres de son peuple, ni par les Juifs. Quand son passé a été déployé devant elle, elle a été rendue consciente de sa grande indigence. Elle éprouve cette soif de l’âme que les eaux du puits de Sychar ne pourraient jamais étancher. Rien de ce qu’elle a connu jusque là n’a créé chez elle un désir aussi ardent. Jésus lui a montré qu’il est capable de lire les secrets de sa vie; néanmoins elle sent qu’elle a en lui un ami compatissant, plein d’amour. Bien que la pureté de sa présence suffise à condamner son péché, il n’a prononcé aucune parole de condamnation; au contraire, il lui a parlé de sa grâce, capable de renouveler son âme. Elle commence à deviner son caractère. Cette question traverse son esprit: Celui-ci ne serait-il pas le Messie si longtemps attendu? Elle lui dit: “Je sais que le Messie doit venir — celui qu’on appelle Christ. Quand il sera venu, il nous annoncera tout.” Jésus répondit: “Je le suis, moi qui te parle.” JC 170.2
Ces paroles déclenchèrent la foi dans le cœur de cette femme. Elle accepta, des lèvres du divin Maître, cette déclaration étonnante. JC 171.1
Cette femme était prête à accueillir les plus hautes révélations; car elle s’intéressait aux Ecritures, et le Saint-Esprit avait préparé son cœur à recevoir plus de lumière. Elle avait médité sur la promesse de l’Ancien Testament: “L’Eternel, ton Dieu, te suscitera un prophète comme moi, sorti de tes rangs, parmi tes frères; vous l’écouterez.”3 Elle avait un vif désir de mieux comprendre cette prophétie. Déjà la clarté commençait à se faire dans son esprit. Déjà l’eau vive, la vie spirituelle que le Christ communique à toute âme altérée, avait commencé de sourdre en elle. L’Esprit du Seigneur agissait sur elle. JC 171.2
Si le Christ avait parlé aux Juifs propres-justes au sujet de son caractère messianique, il n’aurait pu s’exprimer avec la même franchise qu’en parlant à cette femme. Avec eux il se montrait beaucoup plus réservé. Ce qu’il s’abstint de dire aux Juifs, et ce sur quoi il enjoignit aux disciples de garder le secret, il le révéla à la Samaritaine, prévoyant qu’elle se servirait de cette connaissance pour amener d’autres âmes à jouir de sa grâce. JC 171.3
Les disciples, à leur retour, furent étonnés de voir leur Maître parlant à une femme. Il n’avait pas songé à étancher sa soif, et il ne prit pas le temps de toucher aux aliments que les disciples avaient apportés. La femme étant partie, les disciples l’engagèrent à manger. Ils le voyaient silencieux, absorbé, et le visage resplendissant de lumière, comme ravi dans sa méditation. Ils craignaient de troubler sa communion avec le ciel. Cependant, le sachant affaibli et fatigué, ils jugèrent de leur devoir de le rappeler au sentiment de ses besoins physiques. Jésus fut touché par leur intérêt sympathique, mais il dit: “J’ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas.” JC 171.4
Les disciples se demandaient qui pouvait lui avoir apporté des aliments. Il s’expliqua: “Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre.” Jésus se réjouissait d’avoir réussi, par ses paroles, à réveiller la conscience de cette femme. Il la voyait buvant de l’eau de la vie, et il en oubliait sa propre faim et sa propre soif. L’accomplissement de sa mission sur la terre fortifiait le Sauveur pour ses labeurs, et le plaçait au-dessus des besoins humains. Aider une âme affamée et assoiffée de la vérité lui était plus agréable que manger ou boire. C’était pour lui une consolation, un rafraîchissement. Car la bonté était la vie de son âme. JC 171.5
Notre Rédempteur désire être reconnu. Il a besoin de la sympathie et de l’amour de ceux qu’il a rachetés par son sang. Il éprouve un désir inexprimable de les voir venir à lui pour avoir la vie. Comme la mère attend le sourire par lequel son petit enfant montre qu’il la reconnaît, et qui annonce l’éveil de l’intelligence, ainsi le Christ attend l’expression d’amour reconnaissant indiquant que la vie spirituelle a pris naissance dans une âme. JC 172.1
La femme, remplie de joie en écoutant les paroles du Christ, peut à peine supporter cette merveilleuse révélation. Abandonnant sa cruche, elle retourne à la ville pour porter le message à d’autres. Jésus sait ce qu’elle va faire. L’abandon de sa cruche attestait l’effet de ses paroles. Dans son désir ardent d’obtenir l’eau de la vie, elle a oublié ce qu’elle est venue chercher au puits; elle a même oublié la soif du Sauveur, qu’elle s’était proposé d’étancher. Le cœur débordant de joie, elle se hâte de communiquer à d’autres la précieuse lumière qu’elle a reçue. JC 172.2
“Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait”, dit-elle aux gens de l’endroit. “Ne serait-ce pas le Christ?” Les cœurs sont touchés par ses paroles. Son visage a une nouvelle expression, tout son aspect est changé. Ils ont le désir de voir Jésus. Alors “ils sortirent de la ville et vinrent vers lui”. JC 172.3
Toujours assis au bord du puits, Jésus contemplait les champs de blé s’étendant devant lui, les tiges vertes caressées par les rayons du soleil. Montrant ce tableau aux disciples, il se servit d’une image: “Ne dites-vous pas qu’il y a encore quatre mois jusqu’à la moisson? Voici, je vous le dis, levez les yeux et regardez les champs qui sont blancs pour la moisson.” Ce disant, il considérait les groupes de personnes qui arrivaient auprès du puits. Quatre mois devaient encore s’écouler jusqu’à la moisson des blés, mais il y avait ici une moisson toute prête pour la faucille des moissonneurs. JC 172.4
“Déjà le moissonneur, dit-il, reçoit un salaire et amasse du fruit pour la vie éternelle, afin que le semeur et le moissonneur se réjouissent ensemble. Car en ceci, ce qu’on dit est vrai: L’un sème et un autre moissonne.” Par ces paroles le Christ montre quel service sacré doivent à Dieu ceux qui ont reçu l’Evangile. Ils sont appelés à devenir ses instruments vivants. Il demande leur service personnel. Soit que nous semions, soit que nous moissonnions, nous travaillons pour Dieu. L’un répand la semence; l’autre rassemble les gerbes; le semeur, comme le moissonneur, reçoit son salaire. Ils se réjouissent ensemble du fruit de leur travail. JC 173.1
Jésus dit à ses disciples: “Je vous ai envoyés moissonner ce qui ne vous a coûté aucun travail; d’autres ont travaillé, et c’est dans leur travail que vous êtes entrés.” Le Sauveur pensait en ce moment à la grande moisson qui allait avoir lieu à la Pentecôte. Les disciples ne devaient pas y voir le résultat de leurs propres efforts. Ils entraient dans le travail d’autres ouvriers. Depuis la chute d’Adam, le Christ a chargé des serviteurs choisis par lui de jeter dans les cœurs humains la semence de la parole à eux confiée. Une force invisible, toute-puissante, avait agi silencieusement pour produire une moisson. La rosée, la pluie et la lumière solaire de la grâce divine avaient été données pour rafraîchir et nourrir la semence de la vérité. Le Christ allait arroser de son propre sang cette semence. A ses disciples était accordé le privilège d’être les collaborateurs de Dieu, co-ouvriers du Christ et des saints hommes des temps anciens. Grâce à l’effusion du Saint-Esprit accordée à la Pentecôte, des milliers de personnes furent converties en un jour. C’était le résultat des semailles opérées par le Christ, la moisson fruit de son travail. JC 173.2
Les paroles dites à la femme près du puits étaient une bonne semence, qui n’avait pas tardé à lever. Les Samaritains entendirent Jésus, et ils crurent en lui. L’entourant, ils le pressèrent de questions, et reçurent avec joie les explications qu’il leur donnait sur quantité de choses qui, jusque là, leur avaient paru obscures. En l’écoutant, ils voyaient se dissiper leurs perplexités. Ils étaient pareils à un peuple plongé dans les ténèbres qui suivrait un rayon de lumière brillant soudain et annonçant le jour. Mais ce court entretien ne leur suffit pas. Ils voulaient en savoir davantage; leurs amis aussi devaient avoir l’occasion d’entendre ce Maître admirable. Ils l’invitèrent dans leur ville, et le supplièrent d’y rester. Il consentit à s’arrêter deux jours en Samarie, et un grand nombre de personnes crurent en lui. JC 173.3
La simplicité de Jésus inspirait du mépris aux pharisiens. Méconnaissant ses miracles, ils demandaient un signe prouvant qu’il était le Fils de Dieu. Mais les Samaritains ne demandèrent aucun signe, et Jésus n’accomplit point de miracle au milieu d’eux, si ce n’est d’avoir révélé les secrets de la vie de la femme près du puits. Néanmoins beaucoup le reçurent, et dans la joie qu’ils éprouvaient, ils disaient à la femme: “Ce n’est plus à cause de ta déclaration que nous croyons; car nous l’avons entendu nous-mêmes, et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde.” JC 174.1
Les Samaritains attendaient un Messie qui serait le Rédempteur du monde, et non des Juifs seulement. Par l’intermédiaire de Moïse, le Saint-Esprit l’avait annoncé comme un prophète envoyé de Dieu. Par Jacob il avait été dit que les peuples lui obéiraient; par Abraham, que toutes les familles de la terre seraient bénies en lui. Ces passages de l’Ecriture fondaient la foi au Messie des habitants de la Samarie. Du fait que les Juifs, par une fausse interprétation des prophètes subséquents, avaient attribué au premier avènement la gloire de la seconde venue du Christ, les Samaritains avaient été amenés à n’accepter comme écrits sacrés que ceux de Moïse. Quand le Sauveur eut donné un coup de balai à ces fausses interprétations, plusieurs acceptèrent les prophéties plus récentes ainsi que l’enseignement du Christ concernant le royaume de Dieu. JC 174.2
Jésus avait commencé de s’attaquer au mur de séparation qui se dressait entre Juifs et païens, et de prêcher le salut du monde. Quoique Juif, il frayait librement avec les Samaritains, sans tenir aucun compte des coutumes pharisiennes. En dépit des préjugés, il acceptait l’hospitalité d’un peuple méprisé. Il dormit sous leur toit, mangea à leur table, prenant des aliments préparés et servis par eux; il enseigna dans leurs rues et se montra plein de bonté et de courtoisie. JC 174.3
Dans le temple de Jérusalem un petit mur séparait le parvis extérieur des autres parties de l’édifice sacré. Ce mur portait des inscriptions en diverses langues avertissant que les Juifs seuls étaient autorisés à dépasser cette limite. Un Gentil qui eût présomptueusement franchi la clôture aurait profané le temple et payé de sa vie cet acte. Jésus, lui, qui était à l’origine du temple et de ses services, attirait à lui les Gentils par le lien de la sympathie humaine, tandis que la grâce divine leur apportait le salut rejeté par les Juifs. JC 175.1
Le séjour de Jésus en Samarie devait être une occasion de bénédiction pour ses disciples encore sous l’influence du fanatisme juif. Ils considéraient comme un devoir de loyalisme envers leur nation de cultiver la haine des Samaritains. La conduite de Jésus les étonnait. Ils ne pouvaient refuser de suivre son exemple; aussi leurs préjugés furent-ils refrénés pendant les deux jours qu’ils passèrent en Samarie, par égard pour lui; mais leurs cœurs n’étaient pas gagnés. Ils avaient de la peine à comprendre que le mépris et la haine devaient faire place à la pitié et à la sympathie. Ce n’est qu’après l’ascension que les leçons du Sauveur prirent une nouvelle signification pour eux. Après l’effusion du Saint-Esprit, ils se souvinrent des regards du Sauveur, de ses paroles, du respect mêlé de tendresse qu’il avait manifesté à l’égard de ces étrangers méprisés. Les mêmes sentiments accompagnèrent Pierre quand il alla prêcher en Samarie. Quand Jean fut appelé à se rendre à Ephèse et à Smyrne, il se souvint de l’expérience de Sichem et fut rempli de gratitude envers le divin Maître qui, prévoyant les difficultés auxquelles ils devraient faire face, les avait aidés de son exemple. JC 175.2
Le Sauveur poursuit toujours la même œuvre qu’au moment où il offrait à la Samaritaine l’eau de la vie. Il peut arriver à ceux qui se disent ses disciples de mépriser et de fuir les parias de la société; mais aucune circonstance de naissance ou de nationalité, aucune condition de vie ne peut détourner son amour des enfants des hommes. Jésus dit à toute âme, quels que soient ses péchés: “Si tu me l’avais demandé, je t’aurais donné de l’eau vive.” JC 175.3
L’appel évangélique ne doit pas être rétréci et présenté uniquement à un petit nombre de personnes choisies que l’on supposerait prêtes à nous faire l’honneur de l’accepter. Le message doit être donné à tous. Partout où des cœurs s’ouvrent à la vérité, le Christ est prêt à les instruire. Il leur fait connaître le Père et le culte agréable à celui qui lit dans les cœurs. A de telles personnes il ne parle pas en paraboles. Il leur dit, comme à la femme auprès du puits: “Je le suis, moi qui te parle.” JC 176.1
Quand Jésus s’assit pour se reposer sur la margelle du puits de Jacob, il venait de Judée, où son ministère n’avait produit que peu de fruits. Il avait été rejeté par les prêtres et les rabbins; et ceux qui se disaient ses disciples n’avaient pas reconnu son caractère divin. Il se sentait las; néanmoins il ne négligea pas l’occasion qui s’offrait de parler à une femme pécheresse et étrangère. JC 176.2
Le Sauveur n’attendait pas qu’un vaste auditoire fût rassemblé. Souvent il commençait à enseigner quelques personnes réunies autour de lui; les passants s’arrêtaient alors, l’un après l’autre, pour écouter, si bien qu’une multitude ne tardait pas à entendre avec étonnement et révérence les paroles divines prononcées par le Maître envoyé du ciel. Celui qui travaille pour le Christ ne doit pas éprouver moins de ferveur en parlant à un petit nombre d’auditeurs. Il se peut qu’une seule personne se trouve présente pour écouter le message; mais qui peut dire jusqu’où s’étendra son influence? Même aux yeux des disciples, l’entretien du Sauveur avec une femme de Samarie paraissait chose insignifiante. Mais il argumenta avec elle avec plus de zèle et d’éloquence que s’il s’était trouvé en présence de rois, de magistrats, ou de grands prêtres. Les leçons qu’il donna à cette femme ont été répétées jusqu’aux extrêmes limites de la terre. JC 176.3
Dès qu’elle eut trouvé le Sauveur, la Samaritaine lui amena des âmes. Elle se montra animée d’un esprit missionnaire plus efficace que celui des disciples. Ceux-ci ne voyaient rien en Samarie qui leur semblât un champ d’action favorable. Leurs pensées étaient fixées sur une grande œuvre à accomplir dans l’avenir. Ils n’apercevaient pas, tout près d’eux, les champs mûrs pour la moisson. Grâce à une femme pour laquelle ils n’éprouvaient que du mépris, toute la population d’une cité eut l’occasion d’entendre le Sauveur. Elle porta immédiatement la lumière aux gens de sa contrée. JC 177.1
Cette femme montre par son exemple comment agit une foi réelle ayant le Christ pour objet. Tout vrai disciple devient un missionnaire, dès son entrée dans le royaume de Dieu. Celui qui a bu des eaux de la vie devient lui-même une source de vie. Dès qu’il a reçu, il commence à donner. La grâce du Christ dans une âme est comme une source dans le désert, jaillissant pour rafraîchir tous les passants, donnant à ceux qui allaient périr le désir de boire des eaux de la vie. JC 177.2