La Vie de Jésus-Christ

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Chapitre 18 — La guérison du lépreux

Jésus était souvent obligé de cacher sa présence au peuple; car les foules qui se pressaient autour de lui pour être témoin de ses miracles étaient si grandes et leur enthousiasme si exalté, qu'il était nécessaire de prendre des précautions; sinon les prêtres et les gouverneurs auraient pris occasion de ces grandes assemblées pour insinuer aux autorités romaines, qu'une insurrection était à craindre. VJC 184.1

Jamais le monde n'avait vu un temps semblable. Le ciel était descendu sur la terre. Tous ceux qui s'approchaient du Seigneur dans le but de s'instruire comprenaient qu'il était rempli de bonté et de sagesse. Ils recevaient de cette grande source d'intelligence de précieuses leçons et des connaissances toutes divines. Beaucoup d'âmes affamées et altérées qui avaient attendu longtemps la rédemption d'Israël, jouissaient en plein de la grâce libérale d'un Sauveur miséricordieux. Le prophète que l'on attendait était arrivé, et un peuple favorisé vivait à la parfaite splendeur de sa lumière; beaucoup pourtant ne comprenaient pas et se détournaient de son divin éclat avec indifférence ou incrédulité. VJC 184.2

Jésus guérissait de nombreuses maladies corporelles pendant qu'il prêchait et faisait la cure des âmes atteintes de la maladie du péché. Bien des cœurs étaient délivrés de la cruelle servitude du péché. L'incrédulité, le découragement et le désespoir faisaient place à la foi, à l'espérance, au bonheur. Mais quand les malades et les estropiés s'adressaient au Sauveur pour être secourus, il soulageait d'abord le pauvre corps souffrant avant d'entreprendre la cure de l'esprit endurci. Quand il avait adouci la misère corporelle du suppliant, il pouvait mieux amener ses pensées à la lumière et à la vérité. VJC 184.3

La lèpre était la maladie la plus terrible et la plus repoussante de l'Orient. Elle était envisagée avec effroi par toutes les classes de la société, à cause de son caractère contagieux et de ses horribles effets sur ses victimes. On prenait de grandes précautions pour empêcher que cette maladie ne se répandît parmi le peuple. Chez les Hébreux, le lépreux était déclaré impur. Il était isolé de sa famille, privé des avantages de la société, et retranché de la congrégation d'Israël. Il était condamné à ne se joindre qu'à ceux qui, comme lui, étaient affligés de cette maladie. VJC 185.1

Loin de ses amis et de sa parenté, il devait porter la malédiction de son sort. Aucune main affectueuse ne pouvait adoucir sa peine. Il était obligé de publier lui-même sa propre calamité, de déchirer ses vêtements, de sonner l'alarme et d'avertir chacun de fuir loin de son corps souillé et dépérissant. Le cri: souillé! souillé! prononcé d'un ton lugubre par le malheureux banni, était un signal que personne ne pouvait entendre qu'avec crainte et horreur. VJC 185.2

Il y avait, dans la région où Christ exerçait son ministère, plusieurs de ces êtres, objets d'un dégoût général. La nouvelle que le grand Médecin était apparu, leur était parvenue jusque dans leur isolement, et un rayon d'espérance avait lui dans leurs cœurs. S'ils pouvaient arriver en présence de Jésus, il les guérirait, pensaient-ils. Mais comme il leur était interdit d'entrer dans aucune ville ou village, il leur paraissait impossible de s'approcher jamais du grand Médecin dont le ministère principal s'exerçait au milieu du peuple. VJC 185.3

Il y avait là un lépreux qui avait occupé un haut rang dans la société. C'était avec la plus vive douleur que lui et sa famille avaient dû se convaincre qu'il était victime de la fatale maladie. Des médecins éminents avaient été consultés, ils avaient examiné le malade avec soin, ils avaient cherché avec anxiété dans leurs livres dans le but d'obtenir des renseignements plus précis; mais ils furent péniblement obligés de reconnaître que leur habileté était confondue, la maladie était incurable. C'était alors du devoir du prêtre de faire un examen; le résultat montra que le malade était atteint de la lèpre la plus maligne. Ce jugement le condamnait à être comme un mort vivant, séparé de ses amis et de la société au milieu de laquelle il occupait une position si honorable. Et maintenant, ceux qui avaient brigué ses faveurs et accepté son hospitalité fuyaient avec horreur sa présence. Il sortit de sa maison pour quitter la société dont il était banni. VJC 185.4

Jésus enseignait alors près du lac, hors des limites de la ville, et une foule s'était rassemblée pour entendre ses paroles. Le lépreux1 qui avait entendu parler de ses œuvres puissantes, sortit pour le voir, et s'approcha autant qu'il lui était permis. Depuis son exil, la maladie avait fait de terribles ravages sur lui. Sa vue était un spectacle repoussant; son corps en décomposition était horrible à voir. Se tenant éloigné, il entendit quelques-unes des paroles de Jésus, et le vit poser ses mains sur des malades pour les guérir. Il vit avec surprise les boiteux, les aveugles, les paralytiques et ceux qui se mouraient de diverses maladies, se lever à la parole du Sauveur, rendus à la santé et louant Dieu de leur délivrance. Il regarda son corps misérable, et se demanda si ce grand Médecin ne pourrait point le guérir lui aussi. Plus il entendait, plus il voyait, plus il était convaincu que c'était bien là le Sauveur du monde promis par les prophètes, auquel toutes choses étaient possibles. Personne ne pouvait accomplir de tels miracles, sinon celui à qui il aurait été donné de Dieu, et il tardait au lépreux d'arriver en sa présence pour être guéri. VJC 186.1

Il n'avait pas l'intention de s'approcher si près qu'il pût nuire au peuple; mais dans ce moment, sa pensée était tellement absorbée qu'il oublia les restrictions auxquelles il était lié, la sûreté du peuple et l'horreur avec laquelle on le regardait. Il ne pensait plus qu'à l'espérance bénie qui était en lui, que la puissance de Jésus pouvait le délivrer de son infirmité. Sa foi saisissait le Sauveur, et il se précipita étourdiment en avant, sans souci de la multitude effrayée qui reculait à son approche et se précipitait en arrière afin de ne point le toucher. VJC 186.2

Quelques-uns voulurent l'empêcher d'approcher de Jésus, mais leurs efforts furent vains. Il ne les voyait ni ne les entendait. Il n'apercevait pas l'expression de dégoût et les regards pleins d'horreur qu'on jetait sur lui de tous côtés. Il ne voyait que le Fils de Dieu, il n'entendait que la voix qui donnait la santé et le bonheur aux souffrants et aux malheureux. Lorsqu'il arriva devant Jésus, ses sentiments refoulés dans son cœur débordèrent, et, se prosternant devant lui, il s'écria: “Seigneur, si tu le veux, tu peux me nettoyer.” Il ne prononça que quelques paroles, mais elles exprimaient la profondeur de sa détresse. Il crut que Jésus pouvait lui donner vie et santé. VJC 187.1

Jésus ne s'éloigna point de lui; au contraire, il s'en rapprocha. Le peuple reculait et même les disciples se sentaient remplis d'horreur, et auraient volontiers empêché leur Maître de le toucher; car suivant la loi de Moïse, celui qui touchait un lépreux était lui-même impur. Mais Jésus, avec calme et sang-froid, plaça sa main sur le malheureux et répondit à sa prière par ces paroles magiques: “Sois nettoyé!” VJC 187.2

A peine ces paroles vivifiantes furent-elles prononcées, que l'on vit se transformer ce corps en décomposition. La chair devint saine; les nerfs devinrent sensibles, et les muscles se raffermirent. Cette peau rude, fendillée, particulière aux lépreux, avait disparu, et une peau douce et lisse, semblable à celle d'un petit enfant, l'avait remplacée. La multitude alarmée perdit instantanément sa crainte, et s'approcha pour contempler cette nouvelle manifestation de la puissance divine. VJC 187.3

Jésus recommanda au lépreux de ne pas publier ce qui avait été fait pour lui, disant: “Garde-toi d'en rien dire à personne; mais va-t'en, et montre-toi au sacrificateur, et offre pour ta purification ce que Moïse a commandé, afin que cela leur serve de témoignage.” Conformément à ces paroles, l'homme heureux s'en alla trouver le même sacrificateur dont la décision l'avait banni loin de sa famille et de ses amis. VJC 187.4

Il offrit joyeusement le don aux sacrificateurs, et magnifia le nom de Jésus qui lui avait rendu la santé. Ce témoignage irréfutable convainquit les sacrificateurs de la puissance divine de Jésus, quoiqu'ils refusassent encore de le reconnaître comme le Messie. Les pharisiens avaient dit que ses enseignements étaient diamétralement opposés à ceux de Moïse et qu'il se glorifiait lui-même; mais les directions spéciales qu'il donna au lépreux guéri, d'aller, suivant la loi de Moïse, offrir un don au sacrificateur, prouvaient le contraire. VJC 187.5

Il n'était pas permis aux sacrificateurs d'accepter un don de quelqu'un qui avait été affligé de la lèpre, avant de l'avoir d'abord bien examiné, et d'avoir proclamé au peuple qu'il était entièrement net de cette maladie contagieuse, qu'il était en santé, et pouvait de nouveau rejoindre sa famille et ses amis sans leur nuire. Quelque répugnance qu'eût le sacrificateur à attribuer cette cure merveilleuse à Jésus, il ne pouvait se refuser à examiner l'homme rendu à la santé et à lui donner la déclaration de sa guérison. La multitude était impatiente d'apprendre le résultat de cet examen, et lorsqu'il fut déclaré libre de toute maladie, et qu'il lui fut permis de retourner auprès de sa famille et de ses amis, l'excitation fut très grande. On n'avait jamais vu une telle chose auparavant. VJC 188.1

Mais malgré l'ordre de Jésus au lépreux, celui-ci publia la chose partout. Pensant que ce n'était qu'à cause de sa grande modestie que Jésus lui avait fait ces défenses, il s'en alla proclamer au large la grande puissance de celui qui l'avait guéri. Il ne comprenait pas que chaque nouvelle manifestation de la puissance divine de Jésus affermissait la résolution qu'avaient formée les sacrificateurs et les anciens du peuple de le tuer. L'homme qui avait été guéri éprouvait combien le don de la santé était précieux. Le sang pur qui circulait dans ses veines excitait dans son être tout entier une nouvelle et délicieuse animation. Il se réjouissait de sa vigueur nouvelle et de son rétablissement au milieu de sa famille, de ses amis et de la société. Il se sentait incapable de réprimer le désir qu'il avait de donner gloire au Médecin qui lui avait tout rendu. VJC 188.2

La publicité de ce miracle causa une telle excitation que Jésus fut obligé de s'éloigner de la ville. “Et de toutes parts on venait à lui.” Ces miracles n'étaient pas accomplis pour faire parade; les actes de Jésus étaient en parfait contraste avec ceux des pharisiens dont la grande ambition était d'attirer sur eux la louange et l'honneur des hommes. Jésus savait bien que si la nouvelle de la guérison du lépreux était répandue au large, ceux qui étaient atteints de la même maladie seraient désireux d'obtenir la même guérison. Cela ferait répandre le bruit que le peuple était souillé par le contact de cette maladie contagieuse. Ses ennemis saisiraient une telle occasion pour l'accuser et le condamner. VJC 188.3

Jésus savait que beaucoup de lépreux qui le rechercheraient n'étaient pas dignes du don de la santé, et qu'ils ne s'en serviraient pas à l'honneur et à la gloire de Dieu s'ils l'obtenaient. Ils n'avaient ni foi réelle, ni principes, mais simplement un grand désir d'être délivrés du sort certain qui les menaçait. Le Sauveur savait aussi que ses ennemis cherchaient sans cesse à limiter son œuvre et à détourner le peuple de lui. S'ils pouvaient se servir dans ce but de la guérison du lépreux, ils ne manqueraient pas de le faire. Mais en envoyant l'homme guéri présenter son don au sacrificateur, comme l'ordonnait la loi judaïque, Jésus voulait les convaincre, s'ils étaient tant soit peu susceptibles de l'être, qu'il n'était point opposé à la loi de Moïse. VJC 189.1