La Vie de Jésus-Christ

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Chapitre 40 — Les pharisiens accuses par Jésus

Le commun peuple écoutait Jésus avec joie, et accourait autour de lui dans le temple pour entendre ses enseignements. Jamais auparavant on n'avait vu une telle scène. Le jeune Galiléen qui se tenait au milieu d'eux, ne portait ni honneur terrestre, ni insigne royal. Ses vêtements étaient grossiers et souillés de la poussière du voyage. Autour de lui, on voyait les sacrificateurs dans leurs habits pompeux; les principaux dont les robes et les insignes indiquaient leur haute position, et les scribes tenant entre leurs mains des rouleaux de parchemin qu'on les voyait souvent consulter. Pourtant Jésus était là, une dignité calme et royale empreinte sur ses traits, revêtu d'une autorité céleste, et regardant sans soureiller des adversaires qui avaient méprisé et rejeté ses avertissements, et qui cherchaient depuis longtemps un prétexte pour le faire mourir. Ils étaient maintenant venus en grand nombre, avec la résolution de le pousser à dire des paroles par lesquelles ils pussent le prendre au piége et le condamner. Mais leurs questions n'avaient d'autre effet que de donner à Jésus l'occasion de leur exposer leur condition réelle et la terrible rétribution qui les attendait, s'ils continuaient à provoquer Dieu par leurs graves et nombreux péchés. VJC 403.1

L'intérêt du peuple allait croissant, à mesure que Jésus répondait hardiment aux attaques des pharisiens, et présentait la vérité pure et claire en contraste avec les ténèbres et les erreurs de ses adversaires. Il était charmé de la doctrine qu'il enseignait; mais il se trouvait dans une triste perplexité. Il avait jusque-là respecté ceux qui étaient reconnus comme docteurs en Israël, à cause de leur intelligence et de leur apparente piété. Il s'était toujours soumis implicitement à leur autorité dans toutes les affaires religieuses. Et maintenant, il voyait ces mêmes hommes s'efforcer de discréditer Jésus, un docteur dont la vertu et la sagesse brillaient d'un plus vif éclat, à chaque assaut de ses adversaires. Sur les visages assombris des sacrificateurs et des anciens, le peuple voyait la déconfiture et la confusion. Il s'étonnait de ce que les principaux ne voulussent point croire en Jésus, lorsque ses enseignements étaient si clairs et si simples. Aussi le peuple ne savait-il que faire, et surveillait-il avec une vive inquiétude la conduite de ceux dont il avait toujours suivi les conseils. VJC 403.2

Les paraboles que Jésus prononçait avaient pour but d'avertir et de condamner les principaux, comme aussi d'instruire ceux qui désiraient réellement connaître la vérité. Mais afin de briser les chaînes qui liaient les hommes du peuple aux coutumes et aux traditions, et d'ébranler leur foi aveugle en une sacrificature dégradée, il dévoilait plus entièrement qu'il ne l'avait jamais fait auparavant, le caractère des principaux et des anciens. C'était le dernier jour où il dût enseigner dans le temple, et ses paroles ne s'adressaient point seulement aux auditeurs qui étaient devant lui, mais elles devaient se faire entendre d'âge en âge, jusqu'à la fin des temps, dans toutes langues, et à tous les peuples. VJC 404.1

Les semences de vérité qui tombaient de ses lèvres, dans ce jour mémorable, s'implantaient dans le cœur de beaucoup de ceux qui étaient présents. Une nouvelle histoire commençait pour eux; de nouvelles pensées naissaient dans leur cœur, et de nouvelles aspirations se réveillaient en eux. Après la crucifixion et la résurrection de Christ, ces personnes devaient proclamer hardiment leur foi, et remplir leur mission avec une sagesse et un zèle correspondant à la grandeur de l'œuvre. Leur parole devait pénétrer le cœur et l'esprit des hommes, et affaiblir les anciennes superstitions qui, depuis si longtemps, avaient ravalé des milliers d'existences. En face de leur témoignage, les théories, les philosophies et les raisonnements humains ne paraîtraient plus que de vaines fables. Ils devaient être puissants les résultats qui suivraient les paroles que l'humble Galiléen adressait, dans le grand temple de Jérusalem, à la foule étonnée et saisie de crainte. VJC 404.2

Remarquant les sentiments contraires qui agitaient le peuple, et l'anxiété avec laquelle il observait ses conducteurs et ses docteurs, Jésus continua de l'éclairer, disant: “Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse. Observez donc et faites tout ce qu'ils vous diront d'observer; mais ne faites pas comme ils font, parce qu'ils disent et ne font pas.”1 Les scribes et les pharisiens prétendaient être revêtus d'une autorité divine, semblable à celle de Moïse. Ils prétendaient prendre sa place comme interprètes de la loi et juges du peuple. Comme tels, ils réclamaient du peuple respect et obéissance. Mais Jésus exhorte ses auditeurs à faire ce que les sacrificateurs leur enseignaient suivant la loi; mais de ne point suivre leur exemple, car ils négligeaient les devoirs qu'ils enseignaient aux autres. VJC 405.1

Il leur dit encore: “Ils lient des fardeaux pesants et insupportables, et les mettent sur les épaules des hommes; mais ils ne voudraient pas les remuer du doigt.” Les pharisiens imposaient au peuple une foule de règles minutieuses, n'ayant pour fondement que la tradition, et entravant sans raison l'action et la liberté personnelles. Ils interprétaient strictement certaines portions de la loi, exigeant du peuple des observances et des cérémonies rigoureuses qu'ils négligeaient eux-mêmes secrètement; et lorsqu'on découvrait leurs inconséquences, ils prétendaient ne pas être sous l'obligation de les observer comme le reste du peuple. VJC 405.2

Les dénonciations les plus sévères qui tombèrent jamais de la bouche du Sauveur, furent dirigées contre ceux qui, tout en faisant une grande profession de piété, vivaient secrètement dans le péché. La religion des sacrificateurs, des scribes et des gouverneurs consistait principalement en cérémonies extérieures, et était dépourvue de piété pratique. Dieu avait dit à Moïse de lier les commandements de l'Eternel comme un signe sur ses mains et comme des fronteaux entre ses yeux. Les Juifs faisaient de ces paroles un ordre de porter les préceptes de l'Ecriture sur leurs personnes. En conséquence, ils brodaient sur des bandes d'étoffe, et d'une manière apparente, des passages bibliques qu'ils s'attachaient autour de la tête et des poignets. Mais ces préceptes, ainsi portés, ne répondaient pas au but pour lequel Dieu les avaient donnés: de graver sa loi plus profondément dans leur esprit, et d'y soumettre leur cœur. Ces préceptes, qui étaient destinés à sanctifier leur vie et à les porter à la droiture et à des actes de bonté et de miséricorde, étaient portés comme des insignes pour attirer les regards. Cela donnait à ceux qui les portaient un air de piété et de dévotion qui leur valait le respect de ceux qui les voyaient. Jésus porta par ces paroles, à toute cette vaine démonstration de religion, un coup fatal: VJC 405.3

“Et ils font toutes leurs actions afin que les hommes les voient; car ils portent de larges phylactères, et ils ont de plus longues franges à leurs habits. Ils aiment à avoir les premières places dans les festins, et les premiers siéges dans les synagogues, et à être salués dans les places publiques, et à être appelés par les hommes: Maître! maître! Mais vous, ne vous faites point appeler: Maître; car vous n'avez qu'un Maître, qui est le Christ; et pour vous, vous êtes tous frères. Et n'appelez personne sur la terre votre père; car vous n'avez qu'un seul Père, savoir, celui qui est dans les cieux. Et ne vous faites point appeler docteurs; car vous n'avez qu'un seul Docteur, qui est le Christ.” Voilà en quelles paroles incisives le Sauveur démasquait l'ambition égoïste des pharisiens, toujours à la recherche de puissance et d'honneur, faisant parade d'une fausse humilité, tandis que leur cœur était rempli d'envie et d'avarice. Lorsque des personnes étaient invitées à un festin, les convives étaient assis suivant leur rang et leur position; ceux auxquels on donnait les places les plus honorables obtenaient les premiers l'attention, et devenaient les objets des faveurs les plus spéciales. Les pharisiens recherchaient toujours avec avidité ces honneurs. VJC 406.1

Jésus dévoila aussi leur sotte vanité d'aimer à se faire appeler des hommes: Rabbi, c'est-à-dire, maître. Il déclara qu'un tel titre n'appartient point aux hommes, mais à Christ seulement. Les sacrificateurs, les scribes et les gouverneurs, interprètes de la loi et ses administrateurs, étaient tous frères, enfants du même Dieu. Jésus voulait faire comprendre au peuple qu'ils ne devaient donner à aucun homme un titre honorifique indiquant qu'il avait le droit de commander à leur conscience ou à leur foi. VJC 406.2

Si aujourd'hui Christ était sur la terre, entouré des conducteurs spirituels qui portent actuellement, dans l'Eglise catholique, les titres de Monseigneur et d'Excellence, ne répéterait-il point ce qu'il a dit aux pharisiens: “Ne vous faites point appeler: Maître; car vous n'avez qu'un Maître, qui est le Christ”? Il en est beaucoup parmi ceux qui s'arrogent ces titres honorifiques, qui sont entièrement dépourvus de la sagesse et de la justice qu'ils indiquent. Bien trop cachent leur ambition mondaine, leur despotisme et les péchés les plus vils sous les vêtements brodés d'un office élevé et sacré. Le Sauveur continua: VJC 407.1

“Mais que le plus grand d'entre vous soit votre serviteur Car quiconque s'élèvera sera abaissé, et quiconque s'abaissera sera élevé.” La vraie grandeur se mesure par la valeur morale. La grandeur du caractère, suivant l'estimation du ciel, consiste à vivre pour le bien de nos semblables, accomplissant des œuvres de charité et de bienfaisance. Christ était le serviteur de l'homme déchu; et pourtant, il était le Roi de Gloire. Les paroles que Jésus dirigeait contre les hommes riches et puissants qui étaient devant lui, devinrent plus sévères: “Mais malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites! parce que vous fermez aux hommes le royaume des cieux; vous n'y entrez point, et vous n'y laissez point entrer ceux qui voudraient y entrer.” En pervertissant le sens des Ecritures, les sacrificateurs aveuglaient l'intelligence de ceux qui, sans eux, auraient compris la nature du royaume de Christ, et de la vie intérieure et divine, essentielle à la vraie piété. Par la succession continuelle de leurs cérémonies, ils attachaient l'esprit du peuple aux services extérieurs, et le portaient à négliger la vraie religion. VJC 407.2

Ils ne se bornaient point à rejeter Christ eux-mêmes, mais ils se servaient des moyens les plus déloyaux pour prévenir le peuple contre lui, les trompant par de faux rapports, et dénaturant grossièrement les faits. Dans tous les âges du monde, la vérité a été impopulaire; ses doctrines ne conviennent point à l'esprit naturel, car la vérité sonde les cœurs et découvre les péchés cachés. Ceux qui persécutent les défenseurs de la vérité divine ont toujours, comme les pharisiens, dénaturé les paroles et les motifs des disciples de Christ. Jésus poursuivit: VJC 408.1

“Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites! car vous dévorez les maisons des veuves, en affectant de faire de longues prières; à cause de cela vous serez punis d'autant plus sévèrement.” Les pharisiens avaient tellement d'empire sur un grand nombre de veuves consciencieuses, qu'ils leur faisaient considérer comme leur devoir de consacrer tous leurs biens à des entreprises pieuses. Ces veuves, ainsi trompées, confiaient leur argent aux scribes et aux sacrificateurs, en qui elles mettaient la confiance la plus implicite, et ces astucieux conseillers s'en servaient à leur profit. Pour voiler leur mauvaise foi, ils faisaient de longues prières en public, et affectaient une grande démonstration de piété. Jésus leur déclare que cette hypocrisie attirera sur eux la plus grande condamnation. Bien des gens qui, de nos jours, professent une grande piété, tombent sous la même condamnation. L'égoïsme et l'avarice sont les mobiles de leur conduite; ils jettent sur tout cela le manteau d'une apparente piété, et trompent les âmes honnêtes; mais ils ne peuvent tromper Dieu, qui lit tous les desseins des cœurs, et rendra à chacun selon ses œuvres. VJC 408.2

“Malheur à vous,” continua le Sauveur, “malheur à vous, conducteurs aveugles! qui dites: Si quelqu'un jure par le temple, cela n'est rien; mais celui qui aura juré par l'or du temple, est obligé de tenir son serment. Insensés et aveugles! car lequel est le plus considérable, ou l'or, ou le temple qui rend cet or sacré? Et si quelqu'un, dites-vous, jure par l'autel, cela n'est rien; mais celui qui aura juré par le don qui est sur l'autel, est obligé de tenir son serment. Insensés et aveugles! car lequel est le plus grand, le don, ou l'autel qui rend ce don sacré?” Les sacrificateurs interprétaient les ordres de Dieu de manière à les mettre en accord avec leurs vues étroites. Ils prétendaient établir de fines distinctions entre la culpabilité relative de certains péchés, et, passant légèrement sur quelques-uns, ils en traitaient d'autres, de moindre conséquence peut-être, comme impardonnables. Ils acceptaient de l'argent pour libérer certaines personnes de leurs vœux; dans certains cas même, moyennant de grandes sommes d'argent, les autorités passaient sur des crimes très graves. Mais ces mêmes sacrificateurs et ces gouverneurs jugeaient sévèrement d'autres personnes pour des fautes insignifiantes. VJC 408.3

“Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites! car vous payez la dîme de la menthe, de l'anet et du cumin, et vous négligez les choses les plus importantes de la loi: la justice, la miséricorde et la fidélité. Ce sont là les choses qu'il fallait faire, sans néanmoins omettre les autres.” Le système des dîmes a été institué de Dieu. Abraham, le père des croyants, payait la dîme de tout ce qu'il possédait; et la même obligation repose sur les serviteurs de Dieu de tous les âges. Mais les sacrificateurs juifs avaient poussé aux extrêmes les exigences du système des dîmes, le rendant si compliqué qu'il était impossible de savoir comment satisfaire à ses exigences. Au lieu de laisser les Juifs fidèles accomplir leurs devoirs selon leurs convictions, ils avaient fait des règles arbitraires devant s'adapter à chaque cas, et ainsi ils avaient fait du juste et raisonnable commandement de Dieu, une exaction vexatoire. VJC 409.1

Les principaux des Juifs étaient très exacts dans les choses de peu d'importance, telles que le paiement de la dîme sur la menthe, l'anis et le cumin, petites choses qui leur coûtaient peu, mais qui satisfaisaient leur propre justice, et leur valaient une réputation de grande sainteté. Le pharisien, faisant parade de sa propre justice, disait: “Je donne la dîme de tout ce que je possède.”1 VJC 409.2

Christ reconnaît le paiement des dîmes comme un devoir qu'ils ne devaient pas négliger; mais il les reprend parce que, tout en étant si minutieux dans les petites choses, ils négligeaient des devoirs d'une importance beaucoup plus grande, les choses plus essentielles de la loi: la justice, la miséricorde et la foi. Or, par l'exactitude qu'ils mettaient à payer les diìmes de quelques herbes de minime valeur, ils voulaient cacher ou excuser leur négligence de ces choses plus importantes. Tout ce que Dieu demande est important; mais les choses qui ont la plus grande importance, sont la pureté de cœur et la fidélité qui se montrent dans un jugement impartial, une tendre compassion envers les hommes et la foi en Dieu. VJC 410.1

Les Juifs lisaient dans les préceptes que Dieu avait donnés à Moïse, qu'ils ne devaient rien manger de souillé. Dieu avait indiqué les animaux qui n'étaient point propres à servir de nourriture: il avait défendu l'usage de la viande de porc, ainsi que celle de certains autres animaux, qui n'était propre qu'à corrompre le sang et à abréger la vie. Mais les pharisiens ne s'en tenaient point là. Ils portaient ces défenses à des extrêmes injustifiables; entre autres choses, ils exigeaient du peuple de filtrer toute l'eau qu'ils buvaient, de crainte qu'elle ne contînt quelques petits insectes invisibles à l'œil, qui pouvaient être classés parmi les animaux impurs. Jésus, en comparant à la grandeur de leurs péchés ces exactions triviales relatives à la pureté extérieure, dit aux pharisiens: “Conducteurs aveugles! qui coulez un moucheron, et qui avalez un chameau”. VJC 410.2

“Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites! car vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui paraissent beaux par dehors, mais qui au dedans sont pleins d'ossements de morts et de toute sorte de pourriture.” Toute la pompe et les cérémonies des sacrificateurs et des gouverneurs n'étaient qu'un masque qui couvrait leur méchanceté, comme les tombes blanches et bien décorées qui recouvrent les restes en putréfaction qu'elles renferment. Jésus compara aussi les pharisiens à des sépulcres cachés qui, sous un extérieur agréable, couvrent la corruption et la mort. “De même aussi au dehors vous paraissez justes aux hommes, mais au dedans vous êtes remplis d'hypocrisie et d'injustice.” Toutes les hautes prétentions de ceux qui professaient avoir la loi de Dieu écrite dans leur cœur aussi bien que sur leur personne, furent ainsi démontrées n'être que de vaines formules. Jésus continua: VJC 410.3

“Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites! car vous bâtissez les tombeaux des prophètes, et vous ornez les sépulcres des justes, et vous dites: Si nous eussions été du temps de nos pères, nous ne nous serions pas joints à eux pour répandre le sang des prophètes. Ainsi vous êtes témoins contre vous-mêmes que vous êtes les enfants de ceux qui ont tué les prophètes.” Les Juifs avaient grand soin d'embellir les tombeaux des prophètes pour montrer l'estime qu'ils leur portaient; pourtant, ils ne profitaient point de leurs enseignements ni ne prenaient garde à leurs menaces et à leurs avertissements. VJC 411.1

Aux jours de Christ, on avait pour les sépulcres un respect superstitieux. On poussait même la chose jusqu'à l'idolâtrie, et on prodiguait de grandes sommes d'argent pour les décorer. Une semblable idolâtrie est poussée très loin de nos jours, même chez ceux qui se disent imitateurs de Christ. Le monde chrétien en général se rend coupable envers les veuves et les orphelins, les pauvres et les affligés: on les néglige pour ériger de dispendieux monuments en l'honneur des morts. On n'épargne dans ce but ni argent, ni temps, ni travail, tandis qu'on néglige ses devoirs envers les vivants. Les pharisiens bâtissaient les tombeaux des prophètes, et ornaient leurs sépulcres; ils se disaient les uns aux autres que si ces serviteurs de Dieu avaient vécu de leur temps, ils n'auraient point versé leur sang. Et cependant, dans ce moment même, ils formaient des plans pour faire mourir Jésus, et n'auraient point hésité à tremper leurs mains dans son sang s'ils n'avaient craint le peuple. VJC 411.2

Cet exemple des pharisiens devrait être une leçon pour les chrétiens de nos jours; il devrait ouvrir les yeux de tous sur la puissance de Satan à tromper les esprits lorsqu'une fois ils se sont détournés de la précieuse lumière de la vérité, et se laissent diriger par l'ennemi. Il est beaucoup de gens qui marchent sur les traces des pharisiens. Ils révèrent les martyrs qui moururent pour leur foi, et déclarent que s'ils avaient vécu au temps où Christ était sur la terre, ils auraient joyeusement reçu ses enseignements, et y auraient obéi; qu'ils ne se seraient jamais rendus coupables du crime de rejeter le Sauveur; mais ces mêmes personnes étouffent les appels de leur conscience plutôt que d'obéir à Dieu, lorsqu'il s'agit de se soumettre à quelque renoncement ou à quelque humiliation. De nos jours, on a plus de lumières que du temps des pharisiens. Alors on devait accepter Christ tel qu'il était révélé dans la prophétie, et croire en lui d'après les signes qui accompagnaient sa mission. Les Juifs virent en Jésus un jeune Galiléen sans honneurs terrestres, et, quoiqu'il vînt comme la prophétie l'avait prédit, ils refusèrent d'accepter leur Messie pauvre et humble, et ils le crucifièrent ainsi que la prophétie l'avait prédit. VJC 411.3

Le monde chrétien a maintenant un Sauveur qui répond à tous les signes que la prophétie a donnés concernant sa vie et sa mort; pourtant, la plupart rejettent ses enseignements, ne suivent point ses préceptes, et le crucifient chaque jour. S'ils avaient à supporter l'épreuve que les Juifs durent subir au premier avénement de Christ, ils ne l'accepteraient point dans son humiliation et sa pauvreté. VJC 412.1

Depuis le temps où fut versé le premier sang innocent, alors que le juste Abel tomba frappé par la main de son frère, l'iniquité n'avait cessé d'augmenter sur la terre. De génération en génération, les sacrificateurs et les gouverneurs avaient méprisé les avertissements des prophètes que Dieu avait envoyés et instruits pour censurer les péchés du peuple. Ces hommes qui, dans chaque époque, avaient élevé la voix contre les péchés des rois, des gouverneurs et des sujets, annonçant les choses que Dieu les avait envoyés déclarer, et obéissant à la volonté divine au péril de leur vie, ces hommes-là avaient toujours répondu à un besoin réel, profond. Il s'était ainsi accumulé de génération en génération une terrible punition, que les ennemis de Christ attiraient alors sur leur propre tête, en méprisant et en rejetant le Fils de Dieu, dont la voix s'était élevée pour condamner le péché qui existait parmi les sacrificateurs et les principaux, à un plus haut degré qu'à toute autre époque. Ils achevaient de remplir la coupe de leur iniquité, qui allait être versée sur leur tête par la justice divine, qui rendait leur génération responsable du sang de tous les hommes justes qui avaient été mis à mort depuis Abel jusqu'à Christ. Jésus les en avertit par ces mots: VJC 412.2

“Afin que tout le sang innocent qui a été répandu sur la terre retombe sur vous, depuis le sang d'Abel le juste jusqu'au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez tué entre le temple et l'autel. Je vous dis en vérité que toutes ces choses viendront sur cette génération.” C'est comme juge que le Sauveur, enveloppé d'une lumière divine, la main levée vers le ciel, adressa ces paroles à ceux qui l'écoutaient. La foule attentive frémit à l'ouïe de cette terrible sentence. L'impression produite sur les auditeurs, par ses paroles et son regard, ne devait jamais s'effacer de leur esprit. VJC 413.1

Israël n'avait point pris garde aux commandements de Dieu. Pendant que les paroles d'avertissement que Dieu avait données à déclarer à Zacharie étaient encore sur les lèvres du prophète, une fureur satanique s'était emparée d'un roi apostat, qui avait donné l'ordre de tuer le prophète de Dieu. Les scribes et les pharisiens qui entendaient les paroles de Jésus savaient qu'elles étaient vraies, et que le sang du prophète qui avait été tué, ne pouvait être effacé des pierres de la cour du temple qu'il avait tachées, mais qu'il criait constamment vers Dieu pour témoigner contre l'apostasie d'Israël. Les taches de ce sang innocent subsisteraient aussi longtemps que le temple. Lorsque Jésus fit allusion à ce terrible crime, un frisson d'horreur saisit la multitude. VJC 413.2

Sa voix était ordinairement douce, persuasive, affectueuse; mais alors, ainsi que le réclamait la circonstance, il parla comme juge, et condamna les Juifs coupables. Le Sauveur, considérant l'avenir, prédit que leur impénitence future et leur intolérance à l'égard des serviteurs de Dieu seraient ce qu'elles avaient été autrefois: VJC 413.3

“C'est pourquoi, voici, je vous envoie des prophètes, des sages et des scribes: vous ferez mourir et vous crucifierez les uns; vous ferez fouetter les autres dans vos synagogues, et vous les persécuterez de ville en ville.” VJC 414.1

Des prophètes et des sages, pleins de foi et du Saint-Esprit, tels qu'Etienne, Jacques, Paul et bien d'autres, des scribes, hommes de science comprenant les Ecritures et pouvant les expliquer dans toute leur étendue, comme Dieu les avait révélées, devaient être en butte aux moqueries, à la persécution, puis condamnés et mis à mort. VJC 414.2

Le Sauveur n'usait pas de représailles pour les mauvais traitements qu'il avait reçus de ses ennemis. Aucun mouvement de colère injuste n'animait son âme divine; mais il était rempli d'indignation contre les hypocrites dont les grossiers péchés étaient une abomination devant Dieu. La conduite de Christ en cette occasion nous montre qu'un chrétien peut être en parfait accord avec Dieu, posséder tous les aimables attributs de l'amour et de la miséricorde, et éprouver pourtant une juste indignation contre le péché qui va grandissant. VJC 414.3

Le visage pâle et contristé du Fils de Dieu portait l'empreinte d'une compassion divine; il jeta un long regard sur le temple et sur ses auditeurs, et, d'une voix que faisait trembler l'angoisse profonde de son cœur, il s'écria: “Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes, et qui lapides ceux qui te sont envoyés! combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l'avez pas voulu!” VJC 414.4

Pharisiens et sadducéens gardèrent le silence. Jésus appela ses disciples, et se prépara à quitter le temple, non point comme s'il eût été battu et forcé de s'éloigner de la présence de ses adversaires; mais comme quelqu'un dont l'œuvre est accomplie. Il se retira victorieux de la lutte qu'il avait soutenue contre ses adversaires bigots et hypocrites. Jetant pour la dernière fois un regard dans l'intérieur du temple, il s'écria avec une expression de tristesse: “Voici, votre demeure va devenir déserte. Car je vous dis que désormais vous ne me verrez plus, jusqu'à ce que vous disiez: Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur!” Jusqu'alors il l'avait appelée la maison de son Père; mais maintenant que le Fils de Dieu était sorti de ses murs, la présence du Père s'était éloignée pour toujours du temple construit pour sa gloire. Dès lors, ses services ne devaient plus être qu'une moquerie, et ses cérémonies n'avaient plus de signification, car le jour d'épreuve de Jérusalem était fini. VJC 414.5

Jésus avait, ce jour-là, parlé clairement, et ses paroles avaient pénétré au cœur de ses auditeurs. L'effet peut n'en pas avoir été visible aussitôt; mais la semence de la vérité jetée dans les esprits, devait croître, porter du fruit à la gloire de Dieu, et être le moyen de sauver bien des âmes. Après la crucifixion et la résurrection du Sauveur, les paroles qu'il avait prononcées en ce jour devaient revenir à la mémoire de bien des auditeurs attentifs, qui, à leur tour, devaient les répéter et en faire profiter toutes les générations à venir, jusqu'à la fin des temps. Les disciples étaient étonnés de la manière hardie et pleine d'autorité avec laquelle leur Maître avait dénoncé l'hypocrisie des pharisiens. Et les sacrificateurs, les scribes et les pharisiens hypocrites ne devaient jamais oublier les dernières paroles que Jésus leur avait adressées dans le temple: “Voici, votre demeure va devenir déserte.” Ces paroles résonnaient solennellement à leurs oreilles, et répandaient une terreur indicible dans leur cœur. Ils affectaient une grande indifférence; mais ils se demandaient quelle pouvait bien être la portée de ces paroles. Un danger invisible semblait les menacer. Etait-il possible que ce temple magnifique, qui était la gloire de leur nation, dût bientôt ne plus être qu'un monceau de ruines? VJC 415.1

Les disciples, qui avaient pris garde à cette prédiction menaçante, désiraient que Jésus s'expliquât d'une manière plus précise à cet égard. Comme ils sortaient du temple avec leur Maître, ils attirèrent son attention sur la force, la beauté et la solidité des matériaux dont il était construit, disant: “Maître! regarde quelles pierres et quel bâtiment!”1 Jésus, pour rendre ses paroles aussi impressives que possible, attira leur attention sur cette superbe construction, et leur dit: “Ne voyez-vous pas tout cela? Je vous dis en vérité qu'il ne restera ici pierre sur pierre qui ne soit renversée.”1 VJC 415.2

C'était là une parole saisissante pour ses disciples. La chose était maintenant bien claire: ce glorieux édifice, construit à d'immenses frais, qui avait été l'orgueil de la nation juive, devait être détruit jusque dans ses fondements. Aucune de ces immenses pierres — dont quelques-unes avaient résisté à la dévastation de l'armée de Nébucadnetzar, de même qu'aux orages et aux tempêtes des siècles — ne devait demeurer debout. Ils ne comprirent pas clairement la cause de toute cette ruine. Ils ne discernaient pas que, dans quelques jours, leur Sauveur devait être sacrifié comme victime pour les péchés du monde. Le temple et ses services ne devaient plus être alors d'aucune utilité. Le sang des bêtes n'aurait aucune vertu pour expier le péché; car le type devait rencontrer l'antitype dans l'Agneau de Dieu, qui offrirait volontairement sa vie pour ôter les péchés du monde. Plus tard, quand tout fut accompli, les disciples comprirent parfaitement les paroles de Jésus et la cause de la calamité qu'il avait prédite. VJC 416.1

Jésus s'attarda près de la cour où les femmes déposaient leurs offrandes dans le trésor. Il observa les grands dons de beaucoup de riches, mais ne fit aucune allusion à leurs généreuses offrandes. Il regardait tristement les allants et les venants, dont quelques-uns offraient avec ostentation et un air de propre satisfaction, des sommes considérables. Soudain, son visage s'éclaircit en voyant une pauvre veuve qui approchait avec hésitation, comme si elle craignait d'être observée. Comme les riches et les grands passaient auprès d'elle pour déposer leurs offrandes, elle recula comme si elle craignait de s'aventurer plus loin; et pourtant, elle désirait ardemment faire quelque chose, tant peu que ce fût, pour une cause qu'elle aimait. Elle jeta un coup d'œil sur l'obole qu'elle tenait à la main; c'était bien peu en comparaison des dons que présentaient ceux qui étaient autour d'elle; pourtant, c'était tout ce qu'elle possédait. Profitant d'un moment, elle se glissa furtivement auprès du tronc, y jeta ses deux pites, puis se retira à la hâte. Mais en se détournant, elle aperçut Jésus qui la regardait fixement. VJC 416.2

Le Sauveur appela ses disciples, et leur fit remarquer la pauvreté de cette veuve; et comme tous la regardaient, des paroles d'approbation, sorties de la bouche du Maître, frappèrent soudain ses oreilles. “Je vous dis en vérité que cette pauvre veuve a plus mis au tronc que tous ceux qui y ont mis.”1 Des larmes de joie remplirent les yeux de la pauvre femme, lorsqu'elle vit que ce qu'elle avait fait était compris et apprécié de Jésus. Bien des gens lui eussent conseillé d'employer son peu d'argent pour pourvoir à ses propres besoins, plutôt que de remettre à des sacrificateurs enrichis ce don qui se perdait parmi tant de riches présents que l'on faisait au temple; mais Jésus comprenait les motifs de son cœur. Elle croyait au service du temple comme ayant été institué de Dieu, et elle désirait faire son possible pour le soutenir. Elle fit ce qu'elle put; son action était destinée à devenir un monument en mémoire d'elle à travers tous les temps, et sa joie dans l'éternité. Elle avait mis tout son cœur dans ce don, et il ne fut point estimé d'après sa valeur intrinsèque, mais d'après l'amour pour Dieu et l'intérêt pour son œuvre qui avaient été les mobiles de son action. VJC 417.1

Ce sont nos motifs qui donnent à nos actes leur véritable valeur, et leur cachet d'élévation morale ou d'abjection. Ce ne sont point les grandes choses que tout œil peut voir et que toute langue loue, qui sont mises à notre crédit dans les livres de Dieu; mais bien les petits devoirs que l'on fait de bon cœur, les petits dons que l'on fait sans ostentation, et que les hommes regardent comme insignifiants. Un cœur rempli d'amour et de vraie foi, qui se donne dans un but honorable, est plus agréable à Dieu que le don le plus précieux. La pauvre veuve, dans le peu qu'elle avait donné, avait sacrifié tout ce qu'elle avait pour vivre. Elle s'était privée de nourriture pour donner ses deux pites à la cause qu'elle aimait; et elle l'avait fait avec foi, croyant que son Père céleste ne l'oublierait pas dans son dénûment. C'est cet esprit de sacrifice et cette foi inébranlable qui gagnèrent l'approbation du Sauveur. VJC 417.2

Il est bien des âmes humbles qui se sentent si profondément redevables, pour avoir reçu la vérité, et qui désirent si ardemment participer aux charges du service de Dieu avec leurs frères plus aisés, qu'elles apportent leurs pites à la banque du ciel. On ne doit pas rejeter les faibles offrandes du pauvre; car si elles sont faites avec un cœur débordant d'amour pour Dieu, ces dons insignifiants sont des offrandes consacrées, qui sont d'un prix immense aux yeux de Dieu, et que le Seigneur apprécie et bénit. VJC 418.1

Jésus dit de la pauvre veuve: “Elle a plus mis que tous les autres.” Les riches avaient donné de leur abondance; plusieurs même l'avaient fait pour être vus des autres, et pour être honorés en vue de la grandeur de leurs dons. Ces dons n'étaient pas le fruit de renoncements aux aises et au luxe de la vie. Ce n'étaient par conséquent pas des sacrifices, et leur valeur réelle ne pouvait être comparée à celle de la pite de la veuve. VJC 418.2