La Vie de Jésus-Christ

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Chapitre 30 — La cananéenne

Jésus quitta alors les lieux témoins de ses premiers travaux, et se rendit sur les côtes de Tyr et de Sidon. Là, une femme cananéenne1 vint le trouver, et le pria de guérir sa fille tourmentée d'un esprit immonde. Cette femme savait bien que les Juifs n'avaient aucun rapport avec les Cananéens, et qu'ils refusaient même de leur adresser la parole; mais ayant entendu parler des miracles miséricordieux que Jésus avait accomplis, elle résolut de s'adresser à lui, pour qu'il délivrât sa fille de la terrible affliction dont elle souffrait. La pauvre femme comprenait que sa seule espérance était en Jésus, et elle avait une confiance parfaite au pouvoir qu'il avait de faire ce qu'elle demandait de lui. VJC 293.1

Mais Jésus accueillit les importunités de cette représentante d'une race méprisée, de la même manière que les Juifs l'eussent fait. Il agissait ainsi, non seulement pour éprouver la foi et la sincérité de la femme, mais aussi pour donner à ses disciples une leçon de charité, afin que dans un cas semblable, ils ne fussent pas embarrassés dans leur conduite, lorsque Jésus les aurait quittés, et qu'ils ne pourraient plus s'adresser à lui pour lui demander conseil. Jésus désirait que ses disciples fussent impressionnés par le contraste qu'il allait établir entre la manière froide et impitoyable avec laquelle les Juifs auraient traité un tel cas, comme il le montra en recevant cette femme, et la manière compatissante avec laquelle il voulait les voir accueillir de telles détresses, comme il le manifesta ensuite en exauçant la prière de la femme, par la guérison de sa fille. VJC 293.2

Quoique Jésus parût indifférent à ses cris, elle ne s'en offensa point et ne le quitta point; mais elle crut encore qu'il aurait pitié de sa détresse. Comme il passait sans paraître l'avoir entendue, elle le suivit en continuant ses supplications. Les disciples étaient ennuyés de son importunité et demandaient à Jésus de la renvoyer. Sa détresse n'avait point excité leur sympathie. Ils voyaient que leur Maître la traitait avec indifférence, et ils supposaient par là que le préjugé des Juifs envers les Cananéens lui plaisait. Mais celui à qui la femme adressait sa prière, était un Sauveur miséricordieux, et en réponse à la demande de ses disciples de la renvoyer, Jésus dit: “Je ne suis envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël.” Quoique cette réponse fût d'accord avec le préjugé des Juifs, c'était une réprimande tacite adressée aux disciples, réprimande qu'ils comprirent ensuite, comme rappelant ce qu'il leur avait dit souvent, qu'il était venu dans le monde pour sauver tous ceux qui le recevraient. Tous ceux qui cherchaient le Sauveur, prêts à croire en lui lorsqu'il leur serait manifesté, étaient du nombre des brebis perdues qu'il était venu rassembler dans sa bergerie. VJC 293.3

La femme fut encouragée de ce que Jésus eût suffisamment pris garde à sa demande pour en parler, quoique ses paroles ne lui donnassent guère lieu d'espérer. A partir de ce moment, elle insista toujours davantage; elle vint, et se prosterna à ses pieds, en disant: “Seigneur! aide-moi. O Seigneur, fils de David! aie pitié de moi! ma fille est misérablement tourmentée par le démon.” Jésus, paraissant encore rejeter sa demande, suivant le préjugé inhumain des Juifs, répondit: “Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens.” C'était lui dire au fond qu'il n'était pas juste de prodiguer aux étrangers séparés d'Israël les bénédictions apportées au peuple favorisé de Dieu. Cette réponse aurait complétement découragé beaucoup d'autres personnes moins persévérantes. Beaucoup auraient renoncé à tout autre effort, après avoir été ainsi repoussées, et s'en seraient allées avec le sentiment d'avoir été humiliées et outragées; mais la femme répondit humblement: “Il est vrai, Seigneur! cependant les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leur maître.” VJC 294.1

De l'abondance dont jouit la famille légitime, il tombe des miettes sur le plancher, et ces miettes sont avalées par les chiens qui les guettent sous la table. La femme reconnaît qu'elle occupe une position semblable à celle de ces animaux inférieurs qui acceptent avec reconnaissance ce qui tombe de la main de leurs maîtres. Tout en favorisant le peuple de Dieu de dons riches et innombrables, Jésus ne voudrait-il pas lui accorder une de ces nombreuses bénédictions qu'il accordait si libéralement à d'autres? Tout en confessant qu'elle n'avait aucun droit à sa faveur, elle le supplie néanmoins qu'il lui accorde une miette de sa libéralité. Une telle foi, une telle persévérance étaient sans exemple. Il y avait peu de gens, parmi le peuple favorisé de Dieu qui eussent une si haute appréciation de la bonté et de la puissance du Rédempteur. VJC 295.1

Jésus venait de quitter son champ d'activité, parce que les scribes et les pharisiens cherchaient à le faire mourir. Mais ici, il rencontre une femme — dont la nation infortunée et méprisée n'avait point été favorisée de la lumière de la Parole de Dieu, — et qui néanmoins cède immédiatement à la divine influence de Christ, et croit fermement qu'il peut lui accorder la faveur qu'elle demande. Cette femme n'a point de préjugé national ou religieux, ni d'orgueil pour influencer sa conduite, et elle reconnaît sans réserve Jésus comme le Rédempteur, et croit qu'il est capable de faire tout ce qu'elle demande de lui. Le Seigneur est satisfait; il a éprouvé sa confiance en lui, et maintenant il lui accorde sa requête et achève la leçon qu'il donnait à ses disciples. Se tournant vers elle avec un air de pitié et d'amour, il lui dit: “O femme! ta foi est grande; qu'il te soit fait comme tu le désires.” Dès cette heure-là, sa fille fut guérie, et le démon ne la tourmenta plus. La Cananéenne s'en alla reconnaissant son Sauveur, et heureuse d'avoir obtenu l'exaucement de sa prière. VJC 295.2

Ce fut le seul miracle qu'accomplit Jésus pendant son voyage. C'était pour l'accomplissement de cet acte même qu'il était allé aux quartiers de Tyr et de Sidon. Il désirait secourir cette femme affligée, et en même temps laisser dans cette œuvre de miséricorde envers un membre d'un peuple méprisé, un exemple pour le profit des disciples, lorsqu'il ne serait plus avec eux. Il désirait les faire sortir de leur étroitesse judaïque, pour les intéresser à travailler pour d'autres peuples que le leur. Cet acte de Christ éclaira plus complétement leurs esprits, quant au travail qu'ils auraient à accomplir à l'avenir parmi les gentils. Lorsque, plusieurs années après, les Juifs se détournèrent avec plus de persistance encore des disciples, parce qu'ils déclaraient que Jésus était le Sauveur du monde, et lorsque le mur de séparation entre les Juifs et les gentils fut renversé par la mort de Christ, cette leçon et d'autres semblables qui indiquaient une œuvre évangélique, sans distinction de coutume et de nationalité, eut une puissante influence en dirigeant les réprésentants de Christ dans leurs travaux parmi les gentils. VJC 295.3