La Vie de Jésus-Christ

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Chapitre 27 — Multiplication des pains

Pour jouir lui-même d'un moment de repos ainsi que pour l'avantage de ses disciples, Jésus se proposa d'aller dans un lieu désert, afin d'y trouver un moment de tranquillité.1 Comme il y avait des lieux convenables à la retraite au delà du lac, en face de Capernaüm, ils prirent une barque pour s'y rendre. Mais quelques personnes qui cherchaient Jésus, le virent quitter la côte, et la foule se réunit pour voir partir la barque qui s'éloignait lentement. La nouvelle que Jésus traversait le lac se répandit de ville en ville, et beaucoup de gens qui désiraient le voir et l'entendre, se rendirent en hâte au lieu ou l'on pensait que Jésus débarquerait, pendant que d'autres le suivaient à travers le lac, dans des nacelles, de sorte que lorsque Jésus et ses disciples arrivèrent à bord, ils se trouvèrent enveloppés d'une multitude de gens accourant de tous côtés pour les rejoindre. VJC 265.1

Des centaines de malades et d'estropiés avaient été apportés à Jésus pour qu'il les guérît, et on les avait déposés sur le gazon afin d'attirer son attention. La foule avait attendu sa venue avec une grande anxiété, et leur nombre augmentait continuellement. Le Sauveur ne put trouver là le repos qu'il cherchait, car la multitude qui l'attendait réclamait son attention; leurs peines et leurs besoins excitaient sa sympathie et son aide immédiates. Il ne pouvait s'en aller avec ses disciples pour trouver la retraite désirée, et désappointer le peuple dans son attente. Toutes les maladies étaient représentées par les malades qui réclamaient son attention. Les uns, dévorés par la fièvre, étaient inconscients des craintes de ceux qui les soignaient; il y avait là des sourds, des aveugles, des paralytiques, des estropiés et des lunatiques. Le cœur de Christ s'émut de compassion en voyant cette foule de malheureux. VJC 265.2

Il était tellement pressé par la multitude, qu'il se retira un peu à l'écart, sur une petite éminence couverte d'herbe, d'où il pouvait être vu et entendu par tout le peuple. Il les enseigna ainsi tout le jour, et guérit tous les malades et les affligés qu'on lui amena. Ceux dont la croyance était confuse et obscure, et qui cherchaient depuis longtemps une doctrine intelligente qui les délivrât de leur incertitude, virent les ténèbres de leur esprit dissipées par les rayons de justice qui émanaient de la présence de Christ, et étaient sous le charme de la simplicité des vérités qu'il enseignait. VJC 266.1

Son discours était souvent interrompu par le délire frénétique de quelque pauvre fiévreux, ou les cris perçants des lunatiques amenés au Sauveur par des amis qui cherchaient à percer la foule. Ses paroles de sagesse étaient souvent perdues également dans les cris de triomphe poussés par les victimes de maladies incurables, recouvrant tout à coup la santé et la force. Le grand Médecin se soumettait patiemment à ces interruptions, et parlait à tous avec calme et bonté. Il était venu de l'autre côté du lac parce qu'il était fatigué, mais voici qu'il y trouve plus de cas pressants réclamant son attention que dans le lieu qu'il avait quitté secrètement. VJC 266.2

A la fin, le jour baissait, le soleil descendait du côté de l'occident, et pourtant le peuple tardait à se retirer. Beaucoup de gens avaient dû parcourir plusieurs kilomètres pour venir entendre les paroles de Jésus, et n'avaient rien mangé de tout le jour. Le Maître avait travaillé tout le temps sans nourriture ni repos, et les disciples, le voyant pâle et épuisé par la fatigue et la faim, le prièrent de se reposer de ses labeurs et de prendre quelques rafraîchissements. Leurs supplications étant sans effet, ils se consultèrent pour savoir comment ils pourraient arriver à l'éloigner de la foule qui le pressait, craignant qu'il ne mourût de fatigue. Deux disciples, saisissant par les bras leur Maître bien-aimé, cherchèrent doucement à l'éloigner de la foule. Mais il refusa de quitter la place. Son œuvre était pressante; chacun de ceux qui recouraient à son aide pensait que son cas était le plus urgent. La foule se pressait autour du Sauveur; ils le poussaient à droite et à gauche; et, dans leurs efforts à s'approcher plus près de lui, ils se foulaient les uns les autres. VJC 266.3

Jésus, voyant tout cela, fit signe à Pierre qui était dans la barque de s'approcher, Le disciple obéit à ce signal et approcha de la côte. Jésus traversa la foule et entra dans le bateau, en priant Pierre de s'éloigner un peu du rivage. Alors, assis dans la barque d'un pêcheur, assez près de la foule pour en être vu et entendu, il acheva ce jour long et fatigant, en leur annonçant de précieuses vérités. Le Fils de Dieu, en quittant la cour royale du ciel, ne s'assied point sur le trône de David: c'est sur le siége chancelant d'un bateau de pêcheurs qu'il prononce les discours de l'éternelle sagesse, discours qui devaient être immortalisés dans l'esprit de ses disciples, et donnés au monde comme un legs du Très-Haut. VJC 267.1

Comme le soleil se couchait, Jésus vit devant lui cinq mille hommes, outre les femmes et les enfants, qui avaient été tout le jour sans nourriture. Il demanda à Philippe où l'on pourrait avoir du pain pour un si grand nombre de personnes, afin qu'ils ne s'en retournassent pas à jeûn, et ne défaillissent pas en chemin. Il dit cela pour éprouver la foi de ses disciples, car il n'était point embarrassé de leur procurer de la nourriture. Lui qui n'avait pas voulu faire un miracle pour apaiser sa faim dans le désert, ne voulut pas laisser souffrir la multitude faute de pain. Philippe regarda l'océan de têtes qui s'étendait devant lui, et pensa qu'il serait impossible de trouver assez de nourriture pour satisfaire aux besoins d'une telle multitude de gens. Il répondit que deux cents deniers ne suffiraient pas pour donner à chacun, ne serait-ce qu'un peu de pain. Jésus demanda combien de pains l'on pourrait trouver parmi eux. On lui dit qu'ils avaient découvert un garçon qui avait avec lui cinq pains d'orge et deux petits poissons. Mais ce n'était rien pour tant de gens, et ils se trouvaient dans un lieu désert où il n'était pas possible d'en obtenir davantage. VJC 267.2

Jésus commanda qu'on lui apportât cette maigre provision. La chose faite, il ordonna à ses disciples de faire asseoir le peuple sur l'herbe par troupes de cinquantaines, afin de conserver l'ordre, et de les rendre tous témoins du miracle qu'il allait accomplir. Cet arrangement de cinq mille hommes en compagnie, fut à la fin accompli d'une manière satisfaisante, et ils se trouvèrent tous assis en présence du Sauveur. Il prit alors les pains et les poissons, et ayant rendu grâce, il les distribua à ses disciples qui les passèrent à la multitude en quantité suffisante pour satisfaire leur appétit. VJC 268.1

Le peuple s'était rangé dans l'ordre exigé, s'étonnant de ce qui allait avoir lieu; mais leur surprise ne connut plus de bornes, lorsque le problème fut résolu, et qu'ils virent sortir d'un fragile panier qui eût à peine pu en contenir pour quelques personnes, une abondance de nourriture distribuée à toute cette vaste assemblée. Le pain ne diminuait pas à mesure que Jésus le passait à ses disciples qui, à leur tour, servaient le peuple. Aussi souvent qu'ils venaient auprès de lui pour renouveler leur provision, ils retournaient chargés de pain. Après que tous furent rassasiés, il commanda aux disciples de recueillir les morceaux afin que rien ne fût perdu, et les fragments recueillis remplirent douze corbeilles. VJC 268.2

Pendant ce remarquable repas, beaucoup de ceux qui étaient si miraculeusement servis réfléchissaient sérieusement. Ils avaient suivi Jésus pour écouter des paroles telles qu'il n'en était jamais venu à leurs oreilles. Ses enseignements étaient entrés dans leurs cœurs. Il avait guéri leurs malades, avait consolé les affligés, et enfin, plutôt que de les renvoyer affamés, il les avait abondamment rassasiés. Sa pure et simple doctrine s'était emparée de leurs esprits, et sa tendre bienveillance avait gagné leurs cœurs. Pendant qu'ils prenaient la nourriture qu'il leur avait fournie, ils se convainquirent que c'était bien en réalité le Messie. Aucun autre n'aurait pu faire un si puissant miracle. Aucun pouvoir humain n'eût pu créer avec cinq pains d'orge et deux petits poissons, de la nourriture suffisante pour rassasier des milliers de personnes affamées. Ses enseignements et les guérisons qu'il avait opérées les avaient déjà à peu près convaincus de sa divinité, et ce miracle avait mis le sceau à leur persuasion. VJC 268.3

Ils croient que c'est le Prince de la vie, le Libérateur promis au peuple juif. Ils remarquent qu'il ne cherche point les applaudissements du peuple. En cela il est essentiellement différent des principaux sacrificateurs et des gouverneurs qui recherchaient les titres et les honneurs humains. Ils craignent qu'il ne réclame jamais le titre de roi d'Israël, et ne prenne point sa place sur le trône de David à Jérusalem. Mais ils décident de réclamer pour lui ce qu'il ne veut pas faire. Ils n'ont pas besoin de plus grande preuve de sa puissance divine, et ils n'en veulent point attendre d'autre. Ils se consultent tranquillement entre eux, et s'arrangent à le prendre par la force, à le porter ensuite sur leurs épaules, et à le proclamer roi d'Israël. Les disciples s'unissent au peuple pour déclarer que le trône de David est le juste héritage de leur Maître, et que les prêtres arrogants et les gouverneurs doivent être humiliés et forcés de rendre honneur à celui qui vient revêtu de l'autorité de Dieu. Ils commencent à préparer les moyens d'accomplir leurs desseins; mais Jésus connaît ce plan qui, s'il est suivi, détruira l'œuvre même qu'il est venu accomplir, et mettra fin à son instruction et à ses œuvres de miséricorde et d'amour. VJC 269.1

Déjà les prêtres et les principaux le regardent comme celui qui a détourné d'eux le peuple pour se l'attacher. Déjà ils redoutent tellement son influence croissante au milieu d'eux, qu'ils cherchent à lui ôter la vie. Jésus sait que sa proclamation comme roi d'Israël serait suivie de trouble et de révolution. Il n'est pas venu au monde pour établir un royaume temporel; son royaume, comme il l'a déclaré, n'est pas de ce monde. Le peuple ne s'aperçoit pas des dangers qui résulteront du mouvement qu'ils ont en vue; mais l'œil calme de la sagesse divine découvre le mal, quelque invisible qu'il soit. Jésus voit que le moment est venu de changer le cours des sentiments du peuple. Il appelle ses disciples auprès de lui, leur dit de reprendre immédiatement leur barque et de s'en retourner à Capernaüm, lui laissant le soin de congédier le peuple, leur promettant d'aller les rejoindre ce même soir, ou le matin suivant. Les disciples ne sont pas disposés à se soumettre à cet arrangement. Ils désirent que Jésus reçoive selon ses mérites réels, et qu'il soit élevé au-dessus des persécutions des prêtres et des gouverneurs. Il leur semble que le moment favorable est arrivé, où par la voix unanime du peuple, Christ doit être élevé à sa vraie dignité. VJC 269.2

Ils ne peuvent se réconcilier avec la pensée que tout cet enthousiasme n'aboutira à rien. Le peuple s'assemblait de tous côtés pour célébrer la Pâque à Jérusalem. Ils désiraient tous voir le grand prophète dont la renommée s'était répandue dans tout le pays. Ceci paraissait aux fidèles disciples de Jésus une occasion favorable pour établir leur Maître bien-aimé comme roi d'Israël. Il leur semblait bien dur, dans l'ardeur de cette nouvelle ambition, de s'en aller seuls, et de laisser leur Maître sur cette côte désolée, entourée de montagnes hautes et dénudées. VJC 270.1

Ils s'opposent à cet arrangement; mais Jésus tient ferme à sa décision, et leur commande de suivre ses directions avec une autorité qu'il n'a jamais prise avec eux jusqu'alors. Ils obéissent en silence. Jésus se tourne alors vers la multitude; il voit qu'ils sont entièrement décidés à le forcer à devenir leur roi. Leurs mouvements doivent être arrêtés immédiatement. Les disciples étaient déjà partis, et se tenant alors devant eux avec une grande dignité, il les congédie d'une manière si ferme et si décidée, qu'ils n'osent pas désobéir à ses ordres. Leurs paroles de louange et d'exaltation expirent sur leurs lèvres. Ils sont arrêtés au moment même où ils s'avancent pour le saisir; et leurs regards vifs et joyeux s'attristent. Il y avait là des hommes à l'esprit décidé, et fermes dans leurs déterminations; mais les manières royales de Jésus, et ses quelques paroles de paisible autorité apaisent le tumulte en un moment, et renversent tous leurs desseins. Semblables à des enfants doux et soumis, ils obéissent au commandement de leur Seigneur, se soumettant humblement et sans murmure à une puissance qu'ils reconnaissent au-dessus de toute autorité humaine. VJC 270.2

Jésus regardait avec une tendre compassion la foule qui se retirait. Il sentait qu'ils étaient comme des brebis sans pasteur. Les prêtres, qui auraient dû être des conducteurs en Israël, n'étaient que des automates accomplissant des cérémonies qui ne signifiaient rien, et répétant la loi qu'ils ne comprenaient et ne pratiquaient pas eux-mêmes. Le Sauveur était rempli de pitié pour ses disciples. Les enseignements et l'exemple des anciens et des gouverneurs avaient contribué à aveugler les esprits concernant le but réel de sa mission, les engageant à attendre un royaume temporel qui devait être la délivrance des Juifs. Leurs pensées étaient occupées de choses mondaines et temporelles. Jésus cherchait dans toutes ses leçons à leur faire adopter des conceptions plus larges, plus nobles et plus spirituelles concernant son œuvre et son royaume. Il cherchait à leur démontrer le contraste existant entre ce qui est spirituel et éternel, et ce qui est terrestre et temporel. Mais avec toutes les influences opposées dont ils étaient environnés et les ténèbres qui enveloppaient encore leurs esprits, c'était une tâche difficile, même pour le Rédempteur du monde. VJC 270.3

Lorsque Jésus fut seul, il gravit la montagne, et là, pendant plusieurs heures, prosterné devant son Père, il répandit en supplications et en larmes amères l'agonie de son cœur. Ses prières ardentes étaient non pour lui-même, mais pour l'humanité dépravée et perdue sans la grâce rédemptrice. C'était pour les hommes que le Fils de Dieu luttait avec son Père. VJC 271.1

Il intercédait pour obtenir le pouvoir de révéler aux hommes le divin caractère de sa mission, afin que Satan ne pût aveugler leur influence et troubler leur jugement Il savait que sans la puissance vivifiante du Saint-Esprit pour agrandir et élever leur intelligence, ses propres disciples verraient leur foi défaillir. VJC 271.2

Jésus était douloureusement affecté de voir que leur conception de son royaume se bornait à des agrandissements mondains et à des honneurs temporels. Combien ses propres disciples eux-mêmes étaient loin de comprendre l'œuvre de la rédemption. Jésus ne recherchait point la louange et les honneurs du monde. Il désirait qu'on le reçût comme un modèle, un Maître, un Sauveur, et non comme un roi temporel. Il aurait voulu voir le peuple lui rendre l'hommage d'une vie de justice, et reconnaître qu'il était venu avec le pouvoir de rompre les chaînes de Satan, de relever les hommes et de les ennoblir en les rattachant à Dieu. VJC 271.3

Christ savait que ses jours de travail sur la terre en faveur des hommes étaient comptés. Lui qui lisait les desseins des cœurs savait que, comparativement, très peu l'accepteraient comme leur Rédempteur, et se reconnaîtraient perdus sans son divin secours. Les Juifs rejetaient le secours même que Dieu leur avait envoyé pour les préserver d'une ruine complète. Ils rivaient les chaînes qui les liaient dans une nuit sans espoir. Ils attiraient avec certitude sur eux-mêmes la colère de Dieu par leur méchanceté aveugle et obstinée. De là le chagrin de Jésus, ses larmes et ses supplications pour son peuple plongé dans l'erreur, repoussant son amour qui voulait les protéger, et sa grâce qui voulait les sauver de la rétribution de leurs péchés. Une émotion profonde secoue tout son corps, tandis qu'il envisage avec clarté le sort du peuple qu'il est venu sauver. Dans chaque épreuve, il recourait à son Père céleste pour être secouru, et, dans ces entrevues secrètes, il recevait de nouvelles forces pour l'œuvre qu'il avait à accomplir. VJC 272.1

Les chrétiens devraient suivre l'exemple de leur Sauveur, et rechercher par la prière la force qui doit les rendre capables de supporter les épreuves et de remplir les devoirs de la vie. La prière est l'arme du chrétien, la sauvegarde de son intégrité et de sa vertu. VJC 272.2