La Vie de Jésus-Christ

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Chapitre 25 — Les démoniaques

La nuit pendant laquelle ils avaient traversé le lac était écoulée; Jésus et ses disciples étaient arrivés de bon matin à l'autre bord, avec ceux qui les avaient suivis à travers la mer. Mais à peine avaient-ils mis le pied sur la côte que deux hommes possédés d'un mauvais esprit coururent contre eux, comme s'ils eussent voulu les mettre en pièces.1 Ils traînaient après eux des chaînes qu'ils avaient brisées en s'échappant de leur prison. Ils se coupaient et se meurtrissaient avec des pierres tranchantes et d'autres instruments qui leur tombaient sous la main. Ils avaient eu pour demeure des sépulcres, et aucun voyageur ne pouvait passer en sécurité par ce chemin-là; car ils se seraient jetés sur lui avec la fureur des démons et l'auraient tué, s'ils avaient pu. Leurs visages farouches étaient encadrés d'une chevelure longue et ébouriffée qui les faisait plutôt ressembler à des bêtes sauvages qu'à des êtres humains. VJC 253.1

Lorsque les disciples et ceux qui les avaient suivis virent ces terribles démoniaques se précipiter sur eux, ils s'enfuirent épouvantés. Mais ils découvrirent bientôt que Jésus n'était pas avec eux, et se détournèrent pour voir ce qu'il était devenu. Ils le virent alors se tenant tranquillement où ils l'avaient laissé. Lui qui avait calmé la tempête, lui qui avait auparavant lutté contre Satan et qui l'avait vaincu, ne fuyait pas devant ces démons. Lorsque ces hommes, grinçant des dents et la bouche écumante, se furent approchés de lui à la distance de quelques pieds, Jésus leva cette main qui avait calmé les vagues de la mer, et ces hommes ne purent l'approcher davantage; ils se tenaient devant lui pleins de fureur, mais impuissants. VJC 253.2

Avec un ton d'autorité, il ordonna aux mauvais esprits de sortir d'eux. Les paroles de Jésus pénétrèrent assez l'esprit obscurci de ces hommes pour qu'ils pussent comprendre faiblement qu'il en était Un auprès d'eux, qui pouvait les délivrer des démons qui les tourmentaient. Ils tombèrent devant Jésus et l'adorèrent. Mais lorsqu'ils ouvrirent leur bouche pour réclamer sa miséricorde, le démon parla par eux et cria avec force: “Qu'y a-t-il entre toi et moi, Jésus, Fils du Dieu très-haut? Je te conjure par le nom de Dieu de ne me point tourmenter.” VJC 254.1

Jésus lui demanda: “Comment t'appelles-tu? et il répondit: Je m'appelle Légion; car nous sommes plusieurs.” Se servant de ces hommes affligés comme moyen de communication entre eux et Jésus, ils le prièrent de ne point les envoyer hors de la contrée, mais de leur permettre d'entrer dans un troupeau de pourceaux qui paissaient près de là. Jésus le leur permit; mais à peine cela fut-il arrivé, que le troupeau se précipita de la pente escarpée et se noya dans la mer. La lumière se fit dans l'esprit des démoniaques guéris. Leurs yeux brillaient d'une intelligence à laquelle ils avaient longtemps été étrangers. Leurs visages si longtemps semblables à l'image de Satan, prirent tout à coup une expression de douceur; leurs mains tachées de sang se calmèrent, et ils louèrent le Seigneur qui les avait délivrés de la servitude des démons. VJC 254.2

Le dessein de Satan, en demandant que les démons pussent entrer dans les pourceaux était de mettre obstacle à l'œuvre de Jésus dans cette contrée. La destruction des pourceaux causa une perte considérable aux propriétaires; et l'ennemi ne se trompa point en pensant que cette circonstance serait défavorable à Jésus parmi ce peuple. Ceux qui paissaient les pourceaux avaient vu avec étonnement tout ce qui s'était passé. Ils avaient vu les démoniaques tout à coup calmes et de sens rassis; ils avaient vu tout le troupeau de pourceaux se précipiter dans la mer où ils furent immédiatement noyés. Ils étaient obligés de rendre compte de leur perte aux propriétaires, et ils coururent immédiatement en porter la nouvelle dans la ville et par la campagne. La destruction des pourceaux parut aux propriétaires d'une importance beaucoup plus grande que le fait réjouissant des deux lunatiques rendus à la raison, et qui ne feraient plus courir de dangers aux gens qui passaient sur leur chemin. VJC 254.3

Ces hommes égoïstes ne se souciaient point de ce que ces infortunés eussent été délivrés et fussent assis calmement aux pieds de Jésus, le cœur plein de reconnaissance, écoutant ses divines paroles, et glorifiant le nom de celui qui les avait guéris. Ils n'avaient de soucis pour autre chose que pour les pourceaux qu'ils avaient perdus, et ils craignaient que la présence de cet étranger au milieu d'eux ne leur amenât de plus grandes calamités. Une panique se répandit au près et au loin; les gens de cette contrée craignirent la ruine totale de leur commerce. Une foule vint à Jésus, déplorant la perte récente de leurs troupeaux. Ils regardaient avec indifférence les lunatiques qui avaient recouvré la raison, et qui conversaient intelligemment avec Jésus. Ils les connaissaient parfaitement bien, car ils avaient été pendant longtemps la terreur de la contrée. Mais la guérison miraculeuse de ces hommes leur paraissait de moindre importance que leurs propres intérêts égoïstes. Ils étaient alarmés et mécontents de leur perte, et la perspective de voir Jésus au milieu d'eux les remplissait de crainte. Ils le prièrent de se retirer de leurs quartiers. Le Sauveur leur accorda leur demande et entra immédiatement dans une barque avec ses disciples, les abandonnant à leur avarice et à leur incrédulité. VJC 255.1

Les habitants de ce pays avaient eu des preuves visibles du pouvoir et de la miséricorde de celui qu'ils chassaient. Ils virent que les lunatiques avaient été rendus à la raison; mais ils craignaient tellement de subir des pertes pécuniaires, que le Sauveur qui avait, devant leurs yeux, vaincu le prince des ténèbres, fut traité comme un intrus fâcheux, et qu'ils éconduisirent celui qui venait du ciel, rejetant aveuglément sa visite miséricordieuse. Nous n'avons pas l'occasion de nous détourner de la personne de Christ comme le firent les Gadaréniens; mais il est beaucoup de gens de nos jours qui refusent de suivre ses enseignements, parce qu'en faisant cela ils devraient sacrifier quelques intérêts mondains. Plusieurs, dans la poursuite de différents intérêts terrestres, détournent Jésus de leur cœur, craignant que sa présence ne leur coûte quelques pertes pécuniaires. Semblables aux égoïstes Gadaréniens, ils méprisent sa grâce et éloignent aveuglément son Esprit. C'est à eux que s'appliquent ces paroles: “Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon.” VJC 255.2

Quelques personnes pourraient dire sans doute que la conduite de Jésus, dans cette occasion, empêcha le peuple de cette contrée de recevoir sa doctrine; que cette démonstration effrayante de sa puissance les détourna de ses enseignements et les éloigna de son influence. Mais ces esprits ne pénètrent point les desseins de Christ. Au moment où les Gadaréniens prièrent Jésus de quitter leurs quartiers, les lunatiques guéris le prièrent aussi qu'il leur fût permis d'accompagner leur Sauveur. En sa présence, ils se sentaient à l'abri des démons qui les avaient tourmentés, et qui avaient ruiné leur vie précédente. Se tenant près de lui au moment où il allait entrer dans la barque, ils se jetèrent à ses pieds et le supplièrent de les prendre avec lui et de les instruire dans sa vérité. Mais Jésus leur ordonna de s'en retourner chez eux, vers leurs amis, pour leur dire les grandes choses qu'il avait faites en leur faveur. VJC 256.1

Ils avaient là une œuvre à faire: c'était d'aller dans leur patrie païenne et de faire part à leurs parents et amis de la lumière qu'ils avaient reçue de Jésus. Ils peuvent avoir insisté en disant que c'était une grande épreuve pour eux d'être séparés de leur Bienfaiteur, alors qu'ils avaient si peu d'expérience, et qu'il leur paraissait plus conforme à leurs sentiments de demeurer avec lui, que d'être exposés aux épreuves et aux difficultés qu'ils étaient sûrs de rencontrer en faisant ce que Jésus leur commandait. Ils auraient pu alléguer aussi que leur long isolement de la société les avait rendus impropres à la tâche qui leur était donnée. VJC 256.2

Mais au lieu de cela, aussitôt que Jésus leur eut indiqué leur devoir, ils se préparèrent à l'accomplir. Non seulement ils éclairèrent leurs parents et leurs voisins concernant Jésus, mais ils proclamèrent sa puissance à travers tout le pays de Décapolis, parmi les gentils, leur racontant l'œuvre merveilleuse que Christ avait accomplie en leur faveur en chassant les démons. Le peuple de ces quartiers avait refusé de recevoir le Sauveur parce qu'il avait été la cause de la perte de leurs pourceaux. Cependant ils ne furent pas laissés entièrement dans les ténèbres; comme ils ne l'avaient pas encore ouï parler lorsqu'ils le prièrent de quitter leur contrée, ils n'étaient pas coupables d'avoir rejeté sa doctrine. La parole de vie qui n'a pas retenti à leurs oreilles doit leur être annoncée. Aussi chargea-t-il ceux qui avaient été récemment les instruments de Satan, de communiquer la lumière qu'ils avaient reçue à ce peuple plongé dans les ténèbres. Ceux qui avaient été peu avant les représentants du prince des ténèbres étaient convertis en messagers de vérité, en serviteurs du Fils de Dieu. VJC 256.3

Ceux qui entendaient ces étonnantes nouvelles étaient émerveillés. Leur intérêt pour ces choses était éveillé et ils étaient désireux d'avoir part au royaume dont Jésus parlait. Rien n'aurait pu réveiller le peuple de cette contrée aussi fortement que ne le fit le miracle qui se fit au milieu d'eux. Ils ne s'étaient intéressés jusque-là que des avantages de ce monde, et avaient bien peu pensé à leurs intérêts éternels. Jésus avait plus souci de leur bonheur réel qu'ils n'en avaient eux-mêmes. Il avait accordé ce que le malin esprit demandait, et le résultat avait été la destruction de leurs biens. Cette perte avait soulevé l'indignation du peuple et directement attiré l'attention du public sur Jésus. Quoiqu'ils le priassent de s'éloigner d'eux, ils virent et entendirent pourtant les hommes qu'il avait guéris. Lorsque ces personnes qui avaient été la terreur de la contrée devinrent des messagers de vérité, et prêchèrent le salut en Jésus, ils exercèrent une puissante influence pour convaincre le peuple de cette région, que Jésus était le Fils de Dieu. VJC 257.1

Les Gadaréniens renvoyèrent Jésus de leurs quartiers parce qu'ils craignaient de perdre encore de leurs biens, lors même que ceux qui avaient passé le lac avec Jésus leur racontassent les dangers de la nuit précédente et le miracle accompli par le Sauveur qui avait calmé la tempête. Leurs yeux, aveuglés par la mondanité, ne voyaient que la grandeur de leur perte. Ils ne prirent pas en considération l'avantage d'avoir parmi eux celui qui pouvait commander aux éléments mêmes; par un signe de sa main, faire sortir les démons; guérir les malades et les idiots d'un mot ou d'un faible attouchement. Ils avaient au milieu d'eux la preuve visible de la puissance de Satan. Le Prince de la lumière et le prince des ténèbres s'étaient rencontrés, et tous ceux qui étaient présents furent témoins de la suprématie du premier sur le second. Pourtant, malgré tout ce qu'ils avaient vu et entendu, ils prièrent le Fils de Dieu de se retirer de leurs quartiers. Ce souhait fut accompli, et Christ s'éloigna, car jamais il n'impose sa présence où il n'est point le bienvenu. VJC 257.2

Satan est le dieu de ce monde; il exerce son influence en pervertissant les facultés, en poussant l'esprit humain au mal, et en entraînant ses victimes à la violence et aux crimes. Il sème la discorde et obscurcit l'intelligence. L'œuvre de Christ est de briser le pouvoir qu'il a sur les enfants des hommes. Toutefois combien de personnes, dans les différentes circonstances de la vie, dans leurs familles, dans les transactions d'affaires et dans l'Eglise, ferment la porte à Jésus, pour laisser entrer l'odieux ennemi! VJC 258.1

Il n'est pas étonnant que la violence et le crime soient répandus sur la terre, et que des ténèbres morales, semblables au voile de la mort, envahissent les cités et les habitations des hommes. Satan dirige bien des ménages, bien des sociétés, et même des églises. Il surveille diligemment notre état moral, et il introduit ses tentations spécieuses, ayant soin de pousser les hommes à des péchés de plus en plus grands, jusqu'à ce qu'ils soient entièrement dépravés. La seule sûreté contre ses desseins est de veiller et de prier; car, dans les derniers jours, il rôde autour de nous comme un lion rugissant, cherchant qui il pourra dévorer. La présence de Jésus est une sauvegarde contre ses avances. Le Soleil de Justice découvre la hideuse noirceur de l'ennemi des âmes qui fuit la présence divine. VJC 258.2

Beaucoup de soi-disant chrétiens de nos jours bannissent Jésus loin d'eux par amour de gain mondain. Ils n'emploient pas exactement les paroles des Gadaréniens, mais leurs actes indiquent clairement que dans les diverses affaires qui les occupent, ils ne désirent pas sa présence. Ils élèvent le monde au-dessus de sa miséricorde. L'amour du gain étouffe l'amour de Christ. Ils ne prennent pas garde à ses enseignements, ils méprisent ses reproches. Par leur mauvaise foi et leur avarice, ils prient virtuellement le Sauveur de s'éloigner d'eux. VJC 258.3