Heureux ceux qui
Le vrai mobile de la vie chrétienne
“Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes, pour en être vus.”
Les paroles du Christ sur la montagne exposaient l'enseignement muet de sa vie, que le peuple avait jusqu'alors refusé de comprendre. Les Juifs ne pouvaient admettre que, possédant une si grande puissance, il négligeât de s'en servir pour obtenir ce qui leur paraissait être le bien suprême. Leurs mobiles, leurs principes et leurs voies étaient à l'opposé des siens. Apparemment jaloux de l'honneur de la loi, ils ne recherchaient en réalité que leur propre gloire et le Sauveur désirait précisément leur montrer que l'amour de soi était une transgression de la loi. HCQ 67.1
Mais les principes des pharisiens caractérisent l'humanité de tous les siècles. L'esprit pharisaïque est l'expression des instincts naturels de l'homme charnel et, en soulignant le contraste entre cet esprit, ces principes et les siens, le Sauveur s'adresse aux hommes de tous les temps. HCQ 67.2
À l'époque du Christ, les pharisiens cherchaient sans cesse à mériter les faveurs du ciel pour s'assurer les honneurs du monde et la prospérité qu'ils considéraient comme la récompense de la vertu. En même temps, ils faisaient parade de leur charité pour attirer l'attention du public et acquérir ainsi une réputation de sainteté. Jésus blâma leur ostentation, déclarant que Dieu n'avait point d'égard pour de telles pratiques et que la flatterie et l'admiration du peuple, qu'ils recherchaient avec tant d'ardeur, étaient la seule récompense qu'ils recevraient. HCQ 67.3
“Quand tu fais l'aumône, dit-il, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite, afin que ton aumône se fasse en secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.” HCQ 68.1
Ces paroles de Jésus n'enseignent pas que tous les actes de charité doivent être tenus secrets. L'apôtre Paul, écrivant sous l'inspiration du Saint-Esprit, ne tut point le généreux sacrifice des chrétiens de Macédoine. Il raconta ce que la grâce du Sauveur avait accompli en eux, et d'autres se laissèrent enflammer par le même Esprit. Écrivant aussi à l'église de Corinthe, il dit: “Ce zèle de votre part a stimulé le plus grand nombre.” 2 Corinthiens 9:2. HCQ 68.2
Les paroles du Sauveur éclairent bien sa pensée. En exerçant la charité nous ne devons pas rechercher la louange et les honneurs des hommes. La véritable sainteté ne s'affiche pas. Ceux qui aiment les louanges et les flatteries et s'en nourrissent comme d'un mets rare ne sont chrétiens que de nom. HCQ 68.3
Que les bonnes œuvres des disciples du Christ glorifient celui par la grâce et la puissance duquel elles ont pu être faites, et non pas ceux qui n'en furent que les instruments. C'est par le Saint-Esprit que toute bonne œuvre est accomplie et l'Esprit est donné pour glorifier non pas celui qui reçoit, mais celui qui donne. Quand la lumière du Sauveur fait rayonner l'âme, les lèvres s'ouvrent pour des chants de louange et de reconnaissance envers Dieu. Nos pensées pas plus que nos conversations ne doivent avoir pour thème nos prières, l'accomplissement de notre devoir, notre générosité ou notre renoncement. C'est Jésus qui doit être exalté: l'égoïsme doit disparaître et alors Jésus sera tout en tous. HCQ 68.4
Nous devons donner de tout notre cœur, non pour faire étalage de nos bonnes actions, mais par pitié et par amour pour ceux qui souffrent. La sincérité et la vraie bonté sont des mobiles que le ciel approuve et Dieu considère comme plus précieux que l'or d'Ophir ceux dont l'amour est sincère et dont le cœur est tout entier à lui. HCQ 68.5
Nous ne devons pas avoir en vue une rémunération quelconque, mais penser uniquement à notre service. Tout acte de bienveillance, si désintéressé soit-il, n'en perdra pas pour cela sa récompense. “Et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra...” S'il est vrai que Dieu lui-même est la récompense suprême, celle qui embrasse toutes les autres, l'âme ne peut le recevoir et en jouir que dans la mesure où elle devient semblable à lui. Seuls les êtres semblables peuvent se reconnaître et s'estimer. C'est lorsque nous nous donnons à lui pour le service de l'humanité qu'à son tour Dieu se donne à nous. HCQ 68.6
Nul ne peut ouvrir son cœur au Seigneur et lui consacrer sa vie pour transmettre au monde les bénédictions qui lui sont destinées sans en être lui-même enrichi. Les collines et les vallons, qui offrent un lit aux cours d'eau descendant de la montagne pour leur permettre d'atteindre la mer, bénéficient largement de leur passage. Le ruisseau qui poursuit allégrement sa course laisse après lui verdure et fécondité. Sur ses rives, l'herbe est plus fraîche, les arbres plus verts et les fleurs plus abondantes. Lorsque, brutalement exposée à la chaleur brûlante du soleil d'été, la terre se dessèche, une ligne de verdure signale le passage de la rivière. Et la plaine, qui a ouvert son sein au fleuve venant d'amont, se trouve revêtue de fraîcheur et de beauté: symbole de la récompense que Dieu accorde à ceux qui consentent à devenir les canaux de sa grâce en faveur d'un monde perdu. HCQ 69.1
Telles sont les bénédictions accordées à ceux qui sont miséricordieux envers les pauvres. Le prophète Ésaïe dit: “Partage ton pain avec celui qui a faim, et fais entrer dans ta maison les malheureux sans asile; si tu vois un homme nu, couvre-le, et ne te détourne pas de ton semblable. Alors ta lumière poindra comme l'aurore, et ta guérison germera promptement. [...] L'Éternel sera toujours ton guide, il rassasiera ton âme dans les lieux arides... Tu seras comme un jardin arrosé, comme une source dont les eaux ne tarissent pas.” Ésaïe 58:7-11. HCQ 69.2
L'exercice de la bienfaisance est doublement bénéfique. C'est une bénédiction pour les nécessiteux, mais le donateur est lui-même l'objet d'une grâce plus grande encore. Le Saint-Esprit agissant dans son cœur développe en lui un caractère désintéressé qui affine, ennoblit et enrichit toute sa vie. La charité pratiquée avec tact unit les cœurs et les rapproche de celui qui est la source de toute générosité. Les petites attentions, les humbles marques d'affection et d'abnégation, écloses aussi spontanément qu'une fleur donne son parfum, contribuent largement au bonheur et à l'utilité d'une existence. Il deviendra ainsi évident que le renoncement personnel en faveur du bien et du bonheur des autres, si incompris et méprisé soit-il ici-bas, est considéré au ciel comme une preuve de notre communion avec le Roi de gloire qui, de riche qu'il était, s'est fait pauvre par amour pour nous. HCQ 69.3
Le bien peut avoir été accompli dans le secret; son influence sur le caractère de celui qui l'aura exercé ne pourra rester cachée. Si, comme disciple du Christ, nous nous consacrons sans réserve à notre tâche, notre cœur sera en étroite communion avec le Seigneur qui, par son divin contact, et l'action de son Esprit en nous, fera vibrer dans notre âme de saintes harmonies. HCQ 70.1
Dieu multiplie les talents de ceux qui ont fait un usage judicieux des biens qu'il leur a confiés. Il se plaît à reconnaître les œuvres de son peuple resté fidèle à son Fils bien-aimé, par la force et la grâce duquel elles ont été accomplies. Ceux qui ont recherché le développement et la perfection du caractère chrétien en faisant servir leurs facultés à l'exercice de la bienfaisance recevront leur récompense dans le monde à venir, car l'œuvre commencée ici-bas ne s'achèvera que dans la vie future, parfaite et éternelle. HCQ 70.2