Le Grand Espoir- 3e édition

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9 - Le réformateur suisse

On découvre dans le choix des instruments pour réformer l’Église le même plan divin que celui qui a présidé à sa fondation. Le Maître céleste a laissé de côté les grands de ce monde, ceux qui avaient des titres et de la fortune, ceux qui étaient habitués aux louanges et aux hommages qu’on accorde aux dirigeants du peuple. Ils étaient si fiers et si confiants en eux-mêmes qu’ils ne pouvaient pas être amenés à sympathiser avec leurs semblables ni à devenir les collaborateurs de l’humble Nazaréen. C’est à des pêcheurs du lac de Galilée, hommes sans ins-truction et durs à la tâche, que Jésus adressa cet appel: « Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d’humains 1. » Ces disciples étaient humbles et malléables. Moins ils avaient été influencés par les faux enseignements de leur époque, et mieux le Christ pouvait les instruire et les former avec succès pour son service. Il en fut de même à l’époque de la grande Réforme. Les principaux réformateurs étaient des hommes d’humble origine, les plus exempts, parmi tous ceux de leur époque, de l’orgueil du rang et de l’influence des bigots et des prêtres. Utiliser d’humbles instruments pour réaliser de grands desseins fait partie du plan de Dieu. Alors, la gloire ne sera pas attribuée aux hommes, mais à Celui qui, par leur intermédiaire, « opère [... ] le vouloir et le faire pour son bon plaisir 2. » GE3 129.1

Quelques semaines après la naissance de Luther dans une cabane de mineur en Saxe, Ulrich Zwingli naquit dans un chalet de berger au milieu des Alpes. Son environnement pendant son enfance et sa première éducation étaient propres à le préparer pour sa future mission. Élevé au milieu des scènes de la magnificence, de la beauté et de l’impressionnante sublimité de la nature, son esprit fut marqué très tôt par le sentiment de la grandeur, de la puissance et de la majesté de Dieu. Les récits des actes héroïques réalisés dans ses montagnes natales allumèrent dans son jeune cœur de hautes aspirations. Aux côtés de sa pieuse grand-mère, il écouta les quelques rares mais précieuses histoires bibliques que celle-ci avait glanées parmi les légendes et les traditions de l’Église. C’est avec le plus profond intérêt qu’il entendit le récit des grands actes des patriarches et des prophètes, des bergers qui gardaient leurs troupeaux sur les collines de Palestine, et auxquels les anges avaient parlé, de l’enfant de la crèche de Bethléhem et de l’Homme du Calvaire. GE3 129.2

Comme le père de Luther, celui de Zwingli souhaitait que son fils soit instruit, et l’envoya très tôt loin de sa vallée natale. Son esprit se développa rapidement, et le problème fut bientôt de trouver des professeurs compétents pour assurer son instruction. À l’âge de treize ans, il fut envoyé à Berne, qui possédait alors l’école la plus distinguée de toute la Suisse. C’est là, cependant, que le jeune homme courut un danger qui faillit compromettre son avenir: les moines firent tous leurs efforts pour le pousser à entrer dans un monastère. Dominicains et franciscains rivalisaient pour obtenir la faveur populaire, par les ornements voyants de leurs églises, par la pompe de leurs cérémonies et en exhibant leurs célèbres reliques et images miraculeuses. GE3 129.3

Les dominicains de Berne se rendirent compte que, s’ils pouvaient gagner ce jeune et talentueux étudiant, celui-ci serait pour eux à la fois une source de gains et d’honneurs. Son extrême jeunesse, ses dons naturels d’orateur et d’écrivain et son talent pour la musique et la poésie seraient plus efficaces que toutes leurs pompes et tous leurs étalages pour attirer les gens du peuple à leurs services religieux et pour augmenter les revenus de leur ordre. Par la ruse et la flatterie, ils tentèrent d’amener Zwingli à entrer dans leur monastère. Luther, lorsqu’il était étudiant, s’était enterré dans une cellule de moine, et il aurait été perdu pour le monde si la providence divine ne l’en avait pas libéré. Il ne fut pas permis à Zwingli d’affronter le même danger. Son père fut providentiellement informé des intentions des moines. N’ayant aucun désir de permettre à son fils de suivre la vie oisive et inutile des moines et se rendant compte que sa future utilité était en jeu, il lui ordonna de rentrer chez lui sans délai. GE3 130.1

Zwingli obéit. Mais le jeune homme ne pouvait longtemps se satisfaire de rester dans sa vallée natale, et il reprit bientôt ses études en se rendant, quelque temps plus tard, à Bâle. C’est là qu’il entendit pour la première fois l’Évangile de la grâce gratuite de Dieu. Wittembach, un professeur de langues anciennes, avait été amené, en étudiant le grec et l’hébreu, à découvrir les Saintes Écritures. C’est ainsi que des rayons de lumière divine furent déversés dans l’esprit des étudiants qui lui avaient été confiés. Il déclarait qu’il existait une vérité plus ancienne et de valeur infiniment plus grande que les théories enseignées par les docteurs et les philosophes. Cette ancienne vérité était que la mort du Christ est la seule rançon pour le pécheur. Aux yeux de Zwingli, ces paroles furent comme le premier rayon de lumière qui précède l’aurore. GE3 130.2

Zwingli fut bientôt appelé à quitter Bâle pour commencer son ministère. Son premier champ de travail fut une paroisse des Alpes peu éloignée de sa vallée natale. Ayant été ordonné prêtre, il « se consacra de toute son âme à la recherche de la vérité divine ; car il était très conscient, selon un de ses compagnons de la Réforme, de tout ce que doit savoir celui auquel est confié le troupeau du Christ 3 ». Plus il sondait les Écritures, et plus il percevait clairement le contraste entre les vérités qu’elles contenaient et les hérésies de Rome. Il accepta la Bible comme Parole de Dieu, seule règle suffisante et infaillible. Il se rendit compte qu’elle doit être son propre interprète. Il n’osait pas tenter d’expliquer l’Écriture pour soutenir une théorie ou une doctrine préconçue, mais considérait comme son devoir d’apprendre ce qu’elle enseigne de manière directe et évidente. Il cherchait à profiter de chaque occasion pour obtenir une compréhension complète et correcte de sa signification, et il invoquait l’aide du Saint-Esprit, qui révélerait le sens de celle-ci, déclarait-il, à tous ceux qui le recherchaient avec sincérité et dans un esprit de prière. GE3 130.3

« Les Écritures, disait Zwingli, viennent de Dieu, et non de l’homme; c’est ce Dieu même qui éclaire les hommes qui te fera comprendre que cette Parole vient de Dieu. La Parole de Dieu [...] ne peut faillir; elle est lumineuse, elle instruit par elle-même, elle se révèle elle-même, elle illumine l’âme de tout salut et de toute grâce; elle la console en Dieu, l’humilie, de sorte que celle-ci s’oublie elle-même et embrasse Dieu. » Zwingli avait éprouvé lui-même la véracité de ces paroles. Parlant de son expérience à cette époque, il écrivit plus tard: «Lorsque [...] je commençai à m’adonner entièrement à l’étude des Saintes Écritures, la philosophie et la théologie [scolastique] me cherchaient toujours querelle. J’en vins enfin à cette conclusion : “Tu dois laisser de côté tout cela et apprendre à comprendre ce que Dieu veut dire uniquement par sa propre et simple Parole.” Puis je commençai à demander à Dieu sa lumière, et l’étude des Écritures commença à me paraître beaucoup plus facile 4. ” GE3 130.4

Ce n’est pas de Luther que Zwingli reçut la doctrine qu’il prêchait. C’était la doctrine du Christ. « Si Luther prêche le Christ, disait le réformateur suisse, il fait ce que je fais. Ceux qu’il a amenés au Christ sont plus nombreux que ceux que j’ai amenés. Mais peu importe. Je ne porterai pas d’autre nom que celui du Christ, dont je suis le soldat, et qui seul est mon chef. Je n’ai jamais écrit un seul mot à Luther, ni Luther à moi. Pourquoi? [...] Afin que soit montré combien l’Esprit de Dieu est en harmonie avec lui-même, car chacun de nous, sans jamais consulter l’autre, enseigne la doctrine du Christ avec uniformité 5. ” GE3 131.1

En 1516, Zwingli fut invité à devenir prédicateur du monastère d’Einsiedeln. C’est là qu’il allait voir de plus près la corruption de Rome et, en tant que réformateur, exercer une influence qui allait se faire sentir bien au-delà de ses Alpes natales. Parmi les principales attractions d’Einsiedeln se trouvait une image de la Vierge, dont on disait qu’elle possédait le pouvoir d’accomplir des miracles. Au-dessus de la porte d’entrée du monastère on lisait cette inscription : « Ici, vous pouvez obtenir une rémission plénière des péchés 6. » En toutes saisons, les pèlerins affluaient au sanctuaire de la Vierge, mais, au grand festival annuel de sa consécration, des foules accouraient de toutes les parties de la Suisse, et même de France et d’Allemagne. Zwingli, profondément affligé de ce spectacle, y vit l’occasion de proclamer la liberté de l’Évangile à ces foules esclaves de la superstition. GE3 131.2

«Ne vous imaginez pas, disait-il, que Dieu soit dans ce temple plus que dans toute autre partie de la création. Quel que soit le pays dans lequel vous habitez, Dieu vous entoure et vous entend. [...] Les œuvres inutiles, les longs pèlerinages, les offrandes, les images, l’invocation de la Vierge ou des saints peuvent-ils vous obtenir la grâce de Dieu ? [...] À quoi sert la multitude de paroles dont nous remplissons nos prières ? Quelle efficacité a un capuchon lustré, une tête bien rasée, une robe longue et flottante, ou des pantoufles brodées d’or? [...] “Le Seigneur voit au cœur? 7, et nos cœurs sont éloignés de lui. [...] Le Christ, offert une seule fois sur la croix, est le sacrifice et la victime qui a expié les péchés des croyants pour toute l’éternité 8. » GE3 131.3

Ces enseignements furent mal accueillis par de nombreux auditeurs. C’était pour eux une amère déception d’entendre dire que leur voyage fatigant n’avait servi à rien. Ils ne pouvaient comprendre un pardon offert gratuitement par le Christ. Ils se satisfaisaient de l’ancien chemin menant au ciel que Rome leur avait tracé. Ils reculaient devant la difficulté de chercher quelque chose de mieux. Il était plus facile de confier son salut aux prêtres et au pape que de rechercher la pureté du cœur. GE3 131.4

Mais une autre catégorie de personnes recevait avec joie la bonne nouvelle de la rédemption en Christ. Les pratiques ordonnées par Rome n’avaient pas réussi à leur apporter la paix de l’âme, et, par la foi, elles acceptaient le sang du Sauveur comme expiation pour leurs péchés. Rentrées chez elles, elles révélaient aux autres la précieuse lumière qu’elles avaient reçue. La vérité était ainsi portée de hameau en hameau, de ville en ville, et le nombre des pèlerins qui visitaient le sanctuaire de la Vierge diminuait considérablement. Le montant des offrandes diminuait également, et, en même temps, celui du salaire de Zwingli, qui était prélevé sur ces offrandes. Mais il ne fit que s’en réjouir en se rendant compte que la puissance du fanatisme et de la superstition avait été brisée. GE3 132.1

Les autorités de l’Église n’étaient pas aveugles à l’œuvre accomplie par Zwingli, mais, pour l’instant, elles s’abstinrent d’intervenir. Espérant cependant le conserver pour leur cause, elles s’efforcèrent de le gagner par la flatterie. Mais, pendant ce temps, la vérité gagnait du terrain dans le cœur des gens du peuple. GE3 132.2

Les travaux de Zwingli à Einsiedeln l’avaient préparé pour un champ plus vaste, dans lequel il allait bientôt entrer. Au bout de trois ans, il fut appelé à être prédicateur dans la cathédrale de Zurich. C’était alors la ville la plus importante de la confédération helvétique, et l’influence qu’il allait y exercer allait se faire sentir au loin. Cependant, les ecclésiastiques qui l’avaient invité à venir à Zurich étaient désireux d’empêcher toute innovation et entreprirent donc de lui faire connaître ses devoirs. GE3 132.3

«Vous devrez faire tous vos efforts, lui dirent-ils, pour faire rentrer les revenus du chapitre, sans négliger les plus petits. Vous devrez exhorter les fidèles, aussi bien du haut de la chaire que dans le confessionnal, à verser toutes leurs dîmes et toutes leurs redevances ecclésiastiques, et à montrer par leurs offrandes leur affection pour l’Église. Vous devrez veiller à faire augmenter les revenus provenant des malades, des messes et, en général, de toutes les pratiques ecclésiastiques. [...] L’administration des sacrements, la prédication et les soins à donner au troupeau, ajoutèrent-ils, font aussi partie des devoirs de l’aumônier; mais, en ce qui concerne ceux-ci, vous pourrez vous faire remplacer par un vicaire, particulièrement pour la prédication. Vous ne devrez administrer les sacrements qu’aux notables, et seulement lorsqu’on vous le demandera ; il vous est interdit de le faire sans distinction de personnes 9. ” GE3 132.4

Zwingli écouta silencieusement ces exhortations, et, dans sa réponse, après avoir exprimé sa reconnaissance pour l’honneur d’avoir été appelé à ce poste important, il entreprit d’expliquer la ligne de conduite qu’il se proposait d’adopter: « La vie du Christ, dit-il, est restée trop longtemps cachée au peuple. Je prêcherai sur la totalité de l’Évangile de Saint Matthieu, [...] ne puisant qu’à la fontaine de l’Écriture, sondant ses profondeurs, comparant un passage avec un autre, et cherchant la compréhension par une prière constante et fervente. C’est à la gloire de Dieu, à la louange de son Fils unique, au véritable salut des âmes et à leur édification dans la véritable foi que je consacrerai mon ministère 10.” Bien que quelques-uns de ces ecclésiastiques aient désapprouvé son plan et tenté de l’en dissuader, Zwingli demeura ferme. Il déclara qu’il n’allait introduire aucune nouvelle méthode, sinon l’ancienne méthode utilisée par l’Église à une époque plus ancienne et plus pure. GE3 132.5

Déjà, un profond intérêt pour les vérités qu’il enseignait s’était manifesté, et les gens accouraient en grand nombre pour écouter sa prédication. Parmi ses auditeurs figuraient de nombreuses personnes qui avaient cessé depuis longtemps de venir à l’église. Il commença son ministère en ouvrant les Évangiles, en lisant et en expliquant à ses auditeurs les récits inspirés de la vie, des enseignements et de la mort du Christ. Ici, comme à Einsiedeln, il présenta la Parole de Dieu comme la seule autorité infaillible, et la mort du Christ comme le seul sacrifice parfait. « C’est au Christ, disait-il, que je désire vous conduire, au Christ, la véritable source du salut 11. » Autour de ce prédicateur s’assemblaient des personnes de toutes les classes sociales, de l’homme d’État et de l’érudit jusqu’à l’artisan et au paysan. C’est avec un profond intérêt qu’ils écoutaient ses paroles. Non seulement il proclamait l’offre du salut gratuit, mais il dénonçait aussi sans crainte les maux et la corruption de l’époque. Beaucoup revenaient de la cathédrale en louant Dieu: « Cet homme, disaient-ils, est un prédicateur de la vérité. Il sera notre Moïse, qui nous fera sortir des ténèbres de l’Égypte 12. ” GE3 133.1

Mais, bien que ses travaux aient été reçus au début avec beaucoup d’enthousiasme, au bout d’un certain temps, l’opposition se manifesta. Les moines entreprirent d’entraver son œuvre et de condamner ses enseignements. Beaucoup l’assaillirent de moqueries et de sarcasmes. D’autres eurent recours à l’insolence et aux menaces. Mais Zwingli supporta tout avec patience, en disant: « Si nous voulons gagner les méchants à Jésus-Christ, nous devons fermer les yeux sur bien des choses 13. » GE3 133.2

Vers cette époque, un nouvel instrument fut suscité pour faire progresser la cause de la Réforme. Un certain Lucien, porteur de quelques écrits de Luther, fut envoyé à Zurich par un ami de la foi réformée de Bâle, qui suggéra que la vente de ces livres pourrait être un puissant moyen de répandre la lumière. «Assurez-vous, écrivit-il à Zwingli, que cet homme possède suffisamment de prudence et d’habileté ; si c’est le cas, qu’il apporte parmi les Suisses, de ville en ville, de bourg en bourg, de village en village, et même de maison en maison, les œuvres de Luther, et spécialement son commentaire du Notre Père, écrit pour les membres laïques. Mieux elles seront connues, plus elles trouveront d’acheteurs 14. » C’est ainsi que la lumière trouva le chemin des cœurs. GE3 133.3

C’est au moment où Dieu s’apprête à briser les chaînes de l’ignorance et de la superstition que Satan travaille avec le plus de puissance à plonger les hommes dans les ténèbres et à resserrer encore leurs chaînes. Pendant que des hommes se dressaient dans différents pays pour présenter au peuple le pardon et la justification par le sang du Christ, Rome essayait avec une énergie nouvelle d’ouvrir son marché d’indulgences dans tous les pays de la chrétienté en offrant ce pardon à prix d’argent. GE3 133.4

Chaque péché avait son prix, et on accordait aux hommes toute liberté de pécher, pourvu que le trésor de l’Église soit maintenu bien rempli. C’est ainsi que ces deux mouvements avançaient parallèlement: l’un offrant le pardon des péchés à prix d’argent, l’autre le pardon par le Christ. Rome, autorisant le péché et en faisant une source de revenus ; les réformateurs, condamnant le péché et dirigeant les âmes vers le Christ, victime expiatoire et libérateur. GE3 133.5

En Allemagne, la vente des indulgences avait été confiée aux moines dominicains et dirigée par l’infâme Tetzel. En Suisse, ce trafic fut confié aux franciscains, sous la direction d’un moine italien appelé Samson. Celui-ci avait déjà bien servi l’Église en recueillant d’immenses sommes en Allemagne et en Suisse pour remplir le trésor papal. Il parcourait maintenant la Suisse, attirant de grandes foules, dépouillant les pauvres paysans de leurs maigres revenus et exigeant de riches offrandes des classes aisées. Mais l’influence de la Réforme s’était déjà fait sentir en faisant diminuer ce trafic, bien qu’elle n’ait pas réussi à y mettre fin. Zwingli était encore à Einsiedeln lorsque Samson, peu après son arrivée en Suisse, arriva avec sa mar-chandise dans une ville voisine. Apprenant quelle était la mission de celui-ci, le réformateur entreprit immédiatement de s’opposer à son œuvre. Les deux hommes ne se rencontrèrent jamais ; mais le succès de Zwingli en dénonçant les prétentions de ce moine fut tel que celui-ci fut obligé de partir pour d’autres lieux. GE3 134.1

À Zurich, Zwingli prêcha avec zèle contre ces marchands de pardon. Lorsque Samson approcha de cette ville, un messager envoyé par le Conseil lui ordonna de passer outre. Il réussit tout de même à entrer dans la ville grâce à un stratagème, mais fut renvoyé sans avoir pu vendre une seule indulgence. Peu après, il quitta la Suisse. GE3 134.2

L’apparition de la peste, ou « mort noire», qui s’abattit sur la Suisse en 1519, donna un nouvel élan à la Réforme. Lorsque les gens se trouvaient face à face avec la mort, beaucoup se rendaient compte combien les pardons achetés récemment étaient vains et sans valeur et ils aspiraient à faire reposer leur foi sur un fondement plus sûr. Zwingli, à Zurich, contracta aussi cette maladie. Il s’affaiblit tellement qu’on abandonna tout espoir de le voir guérir, et que les rumeurs de sa mort se répandirent partout. Au cours de cette heure d’épreuve, son espérance et son courage demeurèrent inébranlables. Il regarda avec foi vers la croix du Calvaire, se confiant dans l’expiation du péché, pleinement suffisante pour le salut. Lorsqu’il revint des portes du séjour des morts, ce fut pour prêcher l’Évangile avec encore plus de ferveur qu’auparavant. Ses paroles avaient plus de puissance que jamais. Les gens du peuple accueillirent avec joie leur pasteur bien-aimé, qui leur avait été rendu après s’être trouvé au bord du tombeau. Eux-mêmes avaient veillé sur des malades et des mourants, et ils ressentaient, comme jamais auparavant, la grande valeur de l’Évangile. GE3 134.3

Zwingli était parvenu à une compréhension plus claire de ses vérités et avait expérimenté plus profondément en lui-même sa puissance transformatrice. La chute de l’homme et le plan de la rédemption étaient les sujets sur lesquels il aimait s’étendre: « En Adam, disait-il, nous sommes tous morts, plongés dans la corruption et la condamnation 15. » « Le Christ a obtenu pour nous une rédemption éternelle. [...] Sa passion est [...] un sacrifice éternel et éternellement efficace pour guérir; ce sacrifice satisfait la justice divine pour toujours en faveur de tous ceux qui se reposent sur lui avec une foi ferme et inébranlable. » Cependant, il enseignait clairement que la grâce du Christ n’autorise pas les hommes à demeurer dans le péché : « Là où il y a la foi en Dieu, là se trouve Dieu ; et là où Dieu demeure, on trouve un zèle qui incite et pousse les hommes à accomplir de bonnes œuvres 16.” GE3 134.4

L’intérêt pour la prédication de Zwingli était tel que la cathédrale était remplie à craquer de foules venues l’écouter. Petit à petit, selon ce qu’ils étaient capables de recevoir, il présentait la vérité à ses auditeurs. Il veillait à ne pas introduire en premier des points qui les auraient choqués et auraient créé des préjugés dans leur esprit. Son œuvre était de gagner leur cœur aux enseignements du Christ, de l’attendrir par son amour et de garder son exemple devant leurs yeux. Au fur et à mesure qu’ils recevraient les principes de l’Évangile, leurs croyances et pratiques superstitieuses seraient inévitablement renversées. GE3 135.1

Pas à pas, la Réforme progressait à Zurich. Alarmés, ses ennemis s’éveillèrent et s’opposèrent activement à lui. Une année auparavant, à la diète de Worms, le moine de Wittenberg avait dit non au pape et à l’empereur. Et maintenant, tout semblait indiquer que les prétentions papales rencontraient une résistance semblable à Zurich. Des attaques répétées furent perpétrées contre Zwingli. De temps en temps, dans les cantons soumis à la papauté, des disciples de l’Évangile montaient sur le bûcher. Mais cela ne suffisait pas : il fallait réduire au silence le professeur d’hérésie. En conséquence, l’évêque de Constance envoya trois délégués au Conseil de Zurich, accusant Zwingli d’enseigner au peuple à transgresser les lois de l’Église et de mettre en danger la paix et le bon ordre de la société. Si l’on rejetait l’autorité de l’Église, fit-il valoir, il en résulterait une anarchie générale. Zwingli répondit que cela faisait quatre ans qu’il enseignait l’Évangile à Zurich, «qui était plus tranquille et plus paisible qu’aucune autre ville de la confédération. [...] Le christianisme n’est-il donc pas la meilleure sauvegarde de la sécurité publique 17?” GE3 135.2

Les délégués de l’évêque avaient exhorté les conseillers à demeurer dans l’Église, hors de laquelle, déclarèrent-ils, il n’y a point de salut. Zwingli répondit: « Que cette accusation ne vous émeuve pas. La fondation de l’Église est le même Rocher, le même Christ qui donna son nom à Pierre parce que celui-ci avait confessé fidèlement son nom. En toute nation, quiconque croit de tout son cœur au Seigneur Jésus est accepté de Dieu. C’est là que se trouve véritablement l’Église en dehors de laquelle il n’y a point de salut 18.” Comme résultat de cette rencontre, l’un des délégués de l’évêque accepta la foi réformée. GE3 135.3

Le Conseil ayant refusé de prendre des mesures contre Zwingli, Rome se prépara pour une nouvelle attaque. Le réformateur, en apprenant les complots de ses ennemis, s’exclama: «Qu’ils viennent donc! Je les crains comme la falaise en surplomb craint les vagues qui rugissent à ses pieds 19.” Les efforts de ces ecclésiastiques ne servirent qu’à faire progresser la cause qu’ils s’efforçaient de renverser. La vérité continua de se répandre. En Allemagne, ses adhérents, abattus par la disparition de Luther, reprirent courage en constatant les progrès de l’Évangile en Suisse. GE3 135.4

Au fur et à mesure que la Réforme s’affermissait à Zurich, ses fruits devenaient de plus en plus visibles dans la disparition du vice et dans la promotion de l’ordre et de l’harmonie. « La paix a établi sa demeure dans notre ville, écrivait Zwingli ; pas de querelles, pas d’hypocrisie, pas d’envie, pas de discorde. D’où peut venir une telle union, sinon du Seigneur, et notre doctrine, qui nous comble des fruits de la paix et de la piété 20 ? ” GE3 135.5

Les victoires remportées par la Réforme incitèrent les partisans de Rome à des efforts encore plus déterminés pour la renverser. Se rendant compte du peu d’effet qu’avait eu la persécution en Allemagne pour détruire l’œuvre de Luther, ils décidèrent d’affronter le mouvement en utilisant les propres armes de celui-ci : ils organiseraient un débat avec Zwingli, et, se réservant la responsabilité de faire les arrangements nécessaires, ils s’assureraient de la victoire en choisissant eux-mêmes non seulement le lieu de cette rencontre, mais aussi les juges qui devraient trancher entre les adversaires. Et, s’ils pouvaient seulement amener Zwingli en leur pouvoir, ils veilleraient à ce que celui-ci ne leur échappe pas. Une fois le chef réduit au silence, le mouvement pourrait être rapidement écrasé. Ce dessein fut cependant soigneusement dissimulé. GE3 136.1

Le lieu de ce débat fut fixé à Bade, mais Zwingli ne s’y présenta pas. Les membres du Conseil de Zurich, soupçonnant les desseins des papistes et avertis par les bûchers allumés dans les cantons soumis à la papauté pour les confesseurs de l’Évangile, interdirent à leur pasteur de s’exposer à ce péril. À Zurich, il était prêt à rencontrer tous les partisans que Rome pourrait envoyer; mais aller à Bade, où le sang des martyrs de la vérité venait d’être versé, c’était s’exposer à une mort certaine. Œcolampade et Haller furent choisis pour représenter les réformés, tandis que le célèbre Docteur Eck, soutenu par une foule de docteurs et de prélats érudits, fut choisi pour être le champion de Rome. GE3 136.2

Bien que Zwingli n’ait pas été présent à ce débat, son influence se fit sentir. Les secrétaires avaient tous été choisis par les papistes, et interdiction avait été faite à toute autre personne de prendre des notes, sous peine de mort. Malgré cela, Zwingli recevait chaque jour un rapport fidèle de ce qui avait été dit à Bade. Un étudiant présent à ce débat notait chaque soir les arguments présentés pendant la journée. Deux autres étudiants étaient chargés d’apporter ces documents à Zwingli à Zurich, en même temps que les lettres quotidiennes d’Œcolampade. Le réformateur y répondait en donnant des conseils et en faisant des suggestions. Il écrivait ses lettres pendant la nuit, et les étudiants les emmenaient à Bade le lendemain matin. Pour échapper à la vigilance des gardes postés aux portes de la ville, ces messagers transportaient sur leur tête des paniers contenant des poules, et pouvaient ainsi passer sans encombre. GE3 136.3

C’est ainsi que Zwingli livra bataille à ses rusés antagonistes. Il « a plus travaillé, disait Myconius, par ses méditations, ses nuits blanches et les conseils qu’il envoyait à Bade, qu’il n’aurait pu le faire en débattant en personne au milieu de ses ennemis 21 ». GE3 136.4

Les partisans de Rome, exaltés à la perspective de leur triomphe, étaient venus à Bade revêtus de leurs plus belles soutanes et parés de bijoux. Ils vivaient dans le luxe, leurs tables garnies des mets les plus coûteux et des vins les plus fins. Ils se délassaient du fardeau de leurs devoirs ecclésiastiques par des réjouissances et des festins. Quel contraste avec les réformateurs, que les gens du peuple ne considéraient guère mieux qu’une bande de mendiants, et que leurs repas frugaux ne maintenaient pas longtemps à table! Le logeur d’Œcolampade, ayant eu l’occasion de l’observer dans sa chambre, le trouvait toujours occupé à étudier ou à prier, et, avec un profond étonnement, déclara que cet hérétique était au moins « très pieux ». GE3 136.5

Lors de ce débat, « le Docteur Eck monta avec arrogance dans une chaire splendidement décorée, tandis que l’humble Œcolampade, pauvrement vêtu, fut forcé de s’asseoir en face de son adversaire sur un tabouret grossièrement équarri 22 ». La voix de stentor du Docteur Eck, ainsi que son assurance sans bornes, ne lui firent pas défaut. Son zèle était stimulé par l’espérance d’y trouver un avantage matériel aussi bien que la renommée. En effet, le défenseur de la foi devait être récompensé par des honoraires considérables. Lorsque les arguments lui manquaient, il avait recours aux insultes et même aux jurons. GE3 137.1

Œcolampade, modeste et se défiant de lui-même, avait hésité à prendre part à cette bataille. Il y entra en faisant cette solennelle déclaration : « Je ne reconnais pas d’autre principe de jugement que la Parole de Dieu 23. » Bien que doux et courtois dans ses manières, il se montra compétent et stoïque. Pendant que les partisans de Rome, selon leur habitude, citaient les coutumes de l’Église comme autorité, le réformateur s’en tint avec constance aux Saintes Écritures. « La coutume, dit-il, est sans valeur dans notre Suisse, à moins que ce ne soit selon la constitution ; or, en matière de foi, c’est la Bible qui est notre constitution 24. » GE3 137.2

Le contraste entre les deux adversaires ne fut pas sans effets. Le raisonnement calme et clair du réformateur, si aimablement et modestement présenté, plut aux esprits qui se détournèrent avec dégoût des affirmations vantardes et tapageuses du Docteur Eck. GE3 137.3

Ce débat dura dix-huit jours. Lorsqu’il prit fin, les papistes prétendirent avec beaucoup de confiance avoir obtenu la victoire. La plupart des délégués se rangèrent du côté de Rome. La diète proclama la défaite des réformateurs et déclara que ceux-ci, ainsi que Zwingli, leur chef, étaient excommuniés. Mais les fruits de ce débat révélèrent de quel côté se trouvait l’avantage. Il donna un élan considérable à la cause protestante, et il ne fallut pas attendre longtemps pour que les villes importantes de Berne et de Bâle se déclarent en faveur de la Réforme. GE3 137.4