Le Grand Espoir- 3e édition

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1 - La destruction de Jérusalem

«Si toi aussi tu avais su, en ce jour, comment trouver la paix! Mais maintenant cela t’est caché. Car des jours viendront sur toi où tes ennemis t’entoureront de palissades, t’encercleront et te presseront de toutes parts ; ils t’écraseront, toi et tes enfants au milieu de toi, et ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas reconnu le temps de l’intervention divine 1 GE3 23.1

Du sommet du mont des Oliviers, Jésus contemplait Jérusalem. La scène étalée sous ses yeux était magnifique et paisible. C’était l’époque de la Pâque : venus de tous les pays, les enfants de Jacob s’y réunissaient pour célébrer cette grande fête nationale. Parmi les jardins, les vignes et les pentes verdoyantes parsemées des tentes des pèlerins s’élevaient les collines en terrasses, les palais majestueux et les fortifications massives de la capitale d’Israël. La fille de Sion semblait dire avec fierté : « Je suis assise en reine, ... jamais je ne verrai le deuil 2. » Elle était alors aussi belle et s’estimait aussi sûre de la faveur divine que lorsque, des siècles auparavant, le chantre royal chantait: « Belle est la colline, gaieté de toute la terre, le mont Sion, ... la ville du grand roi 3 ! » On y avait une vue directe sur les magnifiques bâtiments du temple. Les rayons du soleil couchant éclairaient la blancheur neigeuse de ses murailles de marbre et miroitaient sur sa porte d’or, sur ses tours et sur ses clochetons. Elle était « parfaite en beauté 4” et faisait la fierté de la nation juive. Quel enfant d’Israël aurait pu contempler cette scène sans un tressaillement de joie et d’admiration? GE3 23.2

Mais c’étaient des pensées tout à fait différentes qui occupaient l’esprit de Jésus. « Quand, approchant, il vit la ville, il pleura sur elle 5. » Au milieu des réjouissances générales de son entrée triomphale, tandis que les branches de palmiers s’agitaient de côté et d’autre, que de joyeux hosannas réveillaient les échos des collines et que des milliers de voix le déclaraient roi, le Rédempteur du monde fut soudain envahi d’un chagrin mystérieux. Lui, le Fils de Dieu, celui qui avait été promis à Israël, dont le pouvoir avait vaincu la mort et fait sortir ses captifs du tombeau, était en larmes ; non pas les larmes d’un chagrin ordinaire, mais celles d’une agonie intense et irrépressible. GE3 23.3

Ses larmes n’étaient pas versées sur lui-même, bien qu’il sache très bien où ses pieds allaient le mener. Devant lui se dressait Gethsémané, la scène de son agonie proche. La Porte des Brebis était aussi en vue, porte par laquelle, pendant des siècles, on avait fait entrer les victimes pour les sacrifices, et qui allait s’ouvrir pour lui, « semblable au mouton qu’on mène à l’abattoir » 6. Près de là se dressait le Calvaire, le lieu où l’on crucifiait les condamnés. Sur le sentier que Jésus allait bientôt fouler, l’horreur de profondes ténèbres allait fondre sur lui lorsqu’il offrirait son âme en sacrifice pour le péché. Cependant, ce n’était pas la contemplation de ces scènes qui jetait une ombre sur son âme en cette heure de réjouissance. Aucun pressentiment de l’angoisse surhumaine qui allait tomber sur lui n’obscurcissait cet esprit dépourvu d’égoïsme. Il pleurait sur les milliers d’habitants de Jérusalem condamnés, par la faute de l’aveuglement et de l’impénitence de ceux qu’il était venu bénir et sauver. GE3 23.4

L’histoire de plus d’un millénaire de la faveur spéciale de Dieu et de ses soins vigilants, manifestés envers le peuple élu, était étalée sous les yeux de Jésus. Là se trouvait le mont Morija, où le fils de la promesse, victime n’offrant aucune résistance, avait été lié sur l’autel, symbolisant ainsi l’offrande du Fils de Dieu. C’est là que l’alliance de bénédiction, la glorieuse promesse messianique, avait été confirmée au père des croyants7. C’est là que les flammes du sacrifice s’élevant vers le ciel depuis l’aire d’Ornân avaient détourné l’épée de l’ange exterminateur 8 - symbole approprié du sacrifice et de la médiation du Sauveur pour l’humanité coupable. Jérusalem avait été honorée de Dieu au-dessus de tout ce qui se trouve sur la terre. Le Seigneur avait « choisi Sion » et « désiré en faire son habitation » 9. C’est là que, pendant des siècles, les saints prophètes avaient fait entendre leurs messages d’aver-tissement. C’est là que les sacrificateurs avaient agité leurs encensoirs et que le nuage d’encens, accompagné des prières des adorateurs, était monté jusque devant le trône de Dieu. C’est là qu’était offert chaque jour le sang des agneaux sacrifiés, annonçant l’Agneau de Dieu. C’est là que le Seigneur avait révélé sa présence dans la nuée de gloire qui flottait au-dessus du propitiatoire. C’est là qu’avait reposé le pied de cette échelle mystique qui reliait la terre au ciel 10, sur laquelle les anges de Dieu descendaient et montaient, et qui ouvrait au monde le chemin du lieu très saint. Si Israël, en tant que nation, avait maintenu son allégeance envers le ciel, Jérusalem serait demeurée éternellement la cité choisie de Dieu 11. Mais l’histoire de ce peuple privilégié n’était qu’une suite d’apostasies et de rébellions. Il avait résisté à la grâce du ciel, abusé de ses privilèges et négligé les opportunités que ceux-ci lui offraient. GE3 24.1

Malgré le fait que les Israélites « se moquaient des messagers de Dieu, ... méprisaient ses paroles et raillaient ses prophètes » 12, Dieu s’était encore révélé à eux comme « le Seigneur Dieu compatissant et clément, patient et grand par la fidélité et la loyauté” 13; malgré des rejets répétés de leur part, sa miséricorde avait continué à plaider auprès d’eux. Avec un amour plus compatissant que celui d’un père envers le fils qui a été confié à ses soins, Dieu «leur avait envoyé, inlassablement, ses messagers, car il voulait épargner son peuple et son propre séjour» 14. Après que les remon trances, les plaidoiries et les réprimandes eurent échoué, il leur envoya le meilleur don du ciel; mieux encore, il leur donna le ciel tout entier en cet unique don. GE3 24.2

Le Fils de Dieu lui-même fut envoyé pour plaider auprès de la cité impénitente. C’est le Christ qui avait fait sortir Israël d’Égypte comme une vigne de qualité 15 C’est sa propre main qui avait chassé devant elle les païens. Il l’avait plantée « sur un coteau fertile »16. Pour la protéger, il l’avait entourée d’une haie. Il avait envoyé ses serviteurs pour la cultiver. « Qu’y avait-il encore à faire à ma vigne que je n’aie pas fait pour elle ? 17” s’exclame-t-il. Alors qu’il avait veillé à ce qu’elle produise de bons raisins, elle avait produit des raisins sauvages. Pourtant, dans l’espoir qu’elle devienne fertile, il vint en personne visiter sa vigne, pour voir s’il serait possible de la sauver de la destruction. Il creusa le sol autour de sa vigne; il l’émonda et la traita avec amour. Il se montra infatigable dans ses efforts pour sauver cette vigne qu’il avait lui-même plantée. GE3 25.1

Pendant trois années, le Seigneur de lumière et de gloire avait été çà et là parmi son peuple. Le Christ, « là où il passait, faisait du bien et guérissait tous ceux qui étaient opprimés par le diable» 18, guérissant ceux qui avaient le cœur brisé, libérant ceux qui étaient liés, rendant la vue aux aveugles, faisant marcher les boiteux et entendre les sourds, purifiant les lépreux, ressuscitant les morts et prêchant l’Évangile aux pauvres 19. Dans sa grâce, il adressait sans distinction à toutes les classes de la société cette invitation: « Venez à moi, vous tous qui peinez sous la charge; moi, je vous donnerai le repos 20. » GE3 25.2

Bien que recevant «le mal pour le bien» et la haine en réponse à l’amour 21, il avait poursuivi avec persévérance sa mission de miséricorde. Jamais il ne rejeta ceux qui recherchaient sa grâce. Voyageur sans foyer, les reproches et la pénurie étant son lot quotidien, il vécut pour répondre aux besoins des hommes et pour soulager leurs souffrances, les implorant d’accepter le don de la vie. Les vagues de sa miséricorde, repoussées par ces cœurs endurcis, revenaient en une marée encore plus forte d’amour compatissant et inexprimable. Mais Israël s’était détourné de son meilleur Ami et seul Libérateur. Ce peuple avait méprisé les plaidoiries de son amour, rejeté ses conseils et tourné en ridicule ses avertissements. GE3 25.3

L’heure de l’espérance et du pardon arrivait rapidement à sa fin ; la coupe de la colère divine, longtemps différée, était presque pleine. Le nuage qui s’était accumulé à travers des siècles d’apostasie et de rébellion, maintenant chargé de menaces, était sur le point d’éclater sur ce peuple coupable ; mais le seul qui pouvait le sauver de ce destin imminent avait été méprisé, insulté, rejeté, et allait bientôt être crucifié. Lorsque le Christ serait suspendu à la croix du Calvaire, les jours d’Israël en tant que nation privilégiée et bénie de Dieu toucheraient à leur fin. La perte d’une seule âme est une calamité qui éclipse infiniment les richesses et les trésors de ce monde; mais, alors que le Christ contemplait Jérusalem, le destin de toute une cité, de toute une nation, était étalé sous ses yeux: cette cité, cette nation qui avaient été autrefois élues de Dieu, son trésor particulier. GE3 25.4

Des prophètes avaient pleuré sur l’apostasie d’Israël et sur les terribles désolations provoquées par les péchés de ce peuple. Jérémie avait souhaité que ses yeux soient des fontaines de larmes pour pouvoir pleurer jour et nuit sur les morts de la fille de son peuple et sur le troupeau du Seigneur qui serait emmené en captivité 22. Quel pouvait alors être le chagrin de celui dont le regard prophétique embrassait non des années, mais des siècles ! Jésus vit l’ange exterminateur levant l’épée contre la cité qui avait été pendant si longtemps la demeure du Seigneur. Depuis la crête du Jardin des Oliviers, à l’endroit même qui serait occupé plus tard par Titus et ses armées, il contempla, par-dessus la vallée, les parvis et les portiques sacrés. Les yeux voilés de larmes, il regarda, dans une effrayante perspective, les murailles de la ville entourées d’armées ennemies. Il entendit les pas des armées se rassemblant pour la guerre. Il entendit les voix de mères et d’enfants réclamant du pain dans la cité assiégée. Il vit sa sainte et belle Maison, le temple, ses palais et ses tours livrés aux flammes, ne laissant, là où ils s’étaient autrefois dressés, qu’un monceau de ruines fumantes. GE3 26.1

Son regard traversant les siècles, il vit le peuple de l’alliance dispersé dans tous les pays, comme des épaves sur un rivage désert. Mais, dans ce châtiment temporel sur le point de fondre sur ses enfants, il ne vit que les premières gouttes de la coupe de la colère que, au moment du jugement dernier, ce peuple devrait boire jusqu’à la lie. La miséricorde divine et son amour ardent s’exprimèrent en ces paroles mélancoliques : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes ! Mais vous ne l’avez pas voulu 23. » Si toi, nation privilégiée entre toutes, tu connaissais le temps où je t’ai visitée, et « comment trouver la paix» 24 ! J’ai retenu le bras de l’ange de la justice; je t’ai appelée à la repentance ; mais en vain. Ce ne sont pas seulement des serviteurs, des envoyés et des prophètes que tu as refusés et rejetés, mais c’est le Saint d’Israël, ton Rédempteur. Si tu es détruite, tu en portes seule la responsabilité. « Vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie 25 ! ” GE3 26.2

Le Christ vit en Jérusalem un symbole de notre monde endurci dans son incrédulité et sa rébellion, fonçant tête baissée au-devant des jugements de Dieu. Les malheurs de la race humaine déchue pesaient sur son âme et arrachèrent à ses lèvres ce cri atrocement amer. Il vit l’histoire du péché écrite dans la misère, les larmes et le sang humains ; son cœur ressentit une pitié infinie pour les affligés et les souffrants de la terre ; il désirait ardemment les soulager tous. Mais même sa main ne pouvait repousser la marée du malheur humain; peu d’entre eux allaient rechercher leur seule source d’aide. Il était disposé à répandre son âme jusqu’à la mort pour mettre le salut à leur portée; mais peu d’entre eux allaient venir à lui pour avoir la vie. GE3 26.3

La Majesté du ciel en larmes! Le Fils du Dieu infini troublé dans son esprit, courbé sous le poids de l’anxiété! Cette scène remplit d’étonnement le ciel tout entier. Elle nous révèle le caractère foncièrement odieux du péché; elle nous montre combien difficile est la tâche — même pour la Puissance infinie — de sauver les coupables des conséquences de la transgression de la loi divine. Jésus, son regard parvenant jusqu’à la dernière génération, vit le monde plongé dans un égarement semblable à celui qui causa la destruction de Jérusalem. Le grand péché des Juifs fut de rejeter le Christ; le grand péché du monde chrétien allait être de rejeter la loi de Dieu, qui est le fondement de son gouvernement dans le ciel et sur la terre. Les préceptes du Seigneur allaient être méprisés et tenus pour nuls. Des millions de personnes, esclaves du péché et de Satan, condamnées à subir la seconde mort, allaient refuser d’écouter les paroles de vérité lorsqu’elles seraient visitées à leur tour. Quel terrible aveuglement! Quel étrange engouement! GE3 26.4

Deux jours avant la Pâque, lorsqu’il quitta le temple pour la dernière fois après avoir dénoncé l’hypocrisie des dirigeants juifs, le Christ se retira de nouveau avec ses disciples sur le mont des Oliviers et s’assit avec eux sur les pentes herbeuses qui surplombaient la ville. Une fois de plus, il regarda ses murailles, ses tours et ses palais. Une fois de plus, il contempla le temple, dans sa splendeur éblouissante, véritable diadème de beauté couronnant la montagne sacrée. GE3 27.1

Un millénaire auparavant, le psalmiste avait exalté la faveur de Dieu envers Israël pour avoir fait de cette sainte Maison sa demeure : « Sa hutte est à Salem, son séjour à Sion 26. » « Il choisit la tribu de Juda, le mont Sion qu’il aimait. Il bâtit son sanctuaire comme les lieux élevés 27. » Le premier temple avait été érigé pendant la période la plus prospère de l’histoire d’Israël. Le roi David avait rassemblé dans ce but d’immenses trésors, et les plans pour sa construction avaient été donnés par inspiration divine 28. Salomon, le plus sage de tous les rois d’Israël, avait achevé ce travail. Ce temple était le bâtiment le plus magnifique qu’on eût vu en ce monde. Cependant, le Seigneur avait déclaré par la bouche du prophète Aggée, au sujet du second temple : « La gloire à venir pour cette maison sera plus grande que sa gloire passée » 29 ; et : « Je ferai trembler toutes les nations ; les biens les plus précieux de toutes les nations viendront, et je remplirai cette maison de gloire, dit le Seigneur des armées 30 GE3 27.2

Après sa destruction par Nebucadnetsar [Nabuchodonosor], le temple avait été rebâti environ cinq cents ans avant la naissance du Christ par un peuple qui, après une vie de captivité, était revenu dans son pays dévasté et presque désert. Il y avait encore parmi eux quelques hommes âgés qui avaient vu la gloire du temple de Salomon, et qui pleuraient, en voyant les fondements du nouveau bâtiment, à l’idée que celui-ci allait être très inférieur au précédent. Le sentiment qui prévalait à cette époque nous est décrit avec vigueur par le prophète : « Quel est parmi vous le survivant qui a vu cette maison dans sa gloire passée? Et comment la voyez-vous maintenant ? Elle n’est rien à vos yeux, n’est-ce pas 31 ? » C’est alors que fut donnée la promesse annonçant que la gloire de cette dernière Maison dépasserait celle de la précédente. GE3 27.3

Mais le second temple n’égala pas le premier en magnificence; il ne fut pas non plus sanctifié par les signes visibles de la présence divine comme dans le premier temple. Aucune manifestation de puissance surnaturelle ne marqua sa dédicace. On ne vit aucune nuée de gloire remplir le sanctuaire nouvellement érigé. Aucun feu ne descendit du ciel pour consumer le sacrifice déposé sur son autel. La sainte shékinah ne résidait plus entre les chérubins dans le lieu très saint; l’arche, le pro pitiatoire et les tables du témoignage ne s’y trouvaient plus. Aucune voix ne retentissait du ciel pour faire connaître la volonté du Seigneur au sacrificateur venu le consulter. GE3 27.4

Pendant des siècles, les Juifs avaient vainement tenté de montrer en quoi la promesse divine donnée par la bouche du prophète Aggée s’était accomplie ; cependant, l’orgueil et l’incrédulité avaient aveuglé leur esprit sur le véritable sens des paroles du prophète. Le second temple ne fut pas honoré par la nuée de la gloire du Seigneur, mais par la présence vivante de celui en qui « habite corporellement toute la plénitude de la divinité » 32, Dieu lui-même « manifesté dans la chair »33. Celui qui représentait « les biens les plus précieux de toutes les nations 34» était véritablement entré dans son temple lorsque Jésus de Nazareth enseignait et guérissait dans ses parvis sacrés. C’est par la présence du Christ, et par elle seule, que le second temple dépassa en gloire le premier. Mais Israël avait rejeté le don offert par le ciel. Lorsque l’humble rabbi, ce jourlà, franchit sa porte d’or, la gloire du temple s’envola pour toujours. Déjà les paroles du Sauveur s’accomplissaient: « Votre maison vous est laissée déserte 35 GE3 28.1

Les disciples avaient été remplis de crainte et d’étonnement en entendant la prédiction du Christ sur la destruction du temple, et ils voulurent comprendre plus complètement la signification de ses paroles. On avait généreusement consacré des sommes considérables de richesses, de travail et de savoir-faire architectural, pendant plus de quarante ans, à l’embellissement des splendeurs de ce temple. Hérode le Grand y avait déversé à la fois la richesse romaine et les trésors juifs; l’empereur du monde lui-même l’avait enrichi de ses dons. Des blocs massifs de marbre blanc, de dimensions presque fabuleuses, envoyés exprès de Rome, faisaient partie de sa structure ; c’est sur eux que les disciples avaient attiré l’attention de leur Maître lorsqu’ils avaient dit : « Regarde, quelles pierres, quelles constructions 36 ! ” GE3 28.2

À ces paroles, Jésus avait donné cette réponse solennelle et saisissante : «Amen, je vous le dis, il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit renversée37 GE3 28.3

Dans leur esprit, les disciples associèrent la destruction de Jérusalem aux événements entourant l’avènement personnel du Christ dans une gloire temporelle pour s’asseoir sur le trône d’un empire universel, pour punir les Juifs impénitents et pour briser le joug de l’occupant romain sur la nation israélite. Le Seigneur leur avait annoncé qu’il reviendrait. C’est pourquoi, entendant parler de jugements prononcés sur Jérusalem, leur esprit revint vers cet avènement ; et, lorsqu’ils furent rassemblés autour du Sauveur sur le mont des Oliviers, ils lui posèrent cette question : « Dis-nous, quand cela arrivera-t-il ? Quel sera le signe de ton avènement et de la fin du monde 38 ? ” GE3 28.4

L’avenir fut miséricordieusement voilé aux yeux des disciples. Si, à ce moment, ils avaient pleinement compris ces deux terribles faits — les souffrances et la mort du Rédempteur, et la destruction de leur ville et de leur temple — ils auraient été remplis d’horreur. Le Christ leur présenta une esquisse des principaux événements qui devaient avoir lieu avant la fin des temps. Sur l’instant, les disciples ne com- prirent pas pleinement ses paroles ; mais le sens de celles-ci devait se révéler au fur et à mesure que son peuple aurait besoin de l’instruction qu’elles contenaient. La prophétie qu’il prononça ce jour-là avait une double signification : tout en annonçant la destruction de Jérusalem, elle préfigurait aussi les terreurs du grand jour final. GE3 28.5

Jésus exposa aux disciples, qui l’écoutaient avidement, les jugements qui devaient tomber sur l’Israël apostat, et spécialement la vengeance qui allait fondre sur ce peuple pour avoir rejeté et crucifié le Messie. Des signes auxquels on ne pourrait pas se tromper allaient précéder ce terrible dénouement. L’heure redoutée allait survenir de manière soudaine et rapide. Le Sauveur avertit ses disciples en ces termes: « Lorsque vous verrez l’abomination dévastatrice, qui a été annoncée par l’entremise du prophète Daniel, installée dans un lieu sacré — que le lecteur comprenne — alors, que ceux qui seront en Judée fuient dans les montagnes 39. » Lorsque les insignes idolâtres des armées romaines seraient plantés sur ce sol sacré, qui s’étendait à quelques centaines de mètres en dehors des murailles de la ville, alors les disciples du Christ devraient chercher leur salut dans la fuite. Lorsque le signal d’avertissement serait visible, ceux qui souhaitaient s’échapper ne devraient pas tarder à le faire. Dans tout le pays de Juda, aussi bien qu’à l’intérieur de Jérusalem, il faudrait obéir immédiatement au signal annonçant la fuite. Celui qui se trouverait sur le toit de sa maison ne devrait pas descendre à l’intérieur de sa maison, même pour sauver ses biens les plus précieux. Ceux qui travailleraient dans les champs ou dans les vignes ne devraient pas prendre le temps de retourner chercher leur vêtement de dessus qu’ils avaient déposé pendant qu’ils travaillaient dans la chaleur du jour. Ils ne devraient pas hésiter un seul instant, de peur d’être impliqués dans la destruction générale. GE3 29.1

Sous le règne d’Hérode, Jérusalem n’avait pas seulement été considérablement embellie; mais, par l’érection de tours, de murailles et de forteresses, qui avaient ajouté à la protection naturelle de sa situation géographique, elle avait été rendue apparemment imprenable. Celui qui, à ce moment, aurait annoncé publiquement sa destruction aurait passé, comme Noé à son époque, pour un fou et un alarmiste. Mais le Christ avait dit: « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas 40. » La colère avait été annoncée sur Jérusalem à cause de ses péchés, et son incrédulité obstinée rendait son sort certain. GE3 29.2

Le Seigneur avait déclaré par la bouche du prophète Michée: « Écoutez, je vous prie, chefs de la maison de Jacob, magistrats de la maison d’Israël, vous qui avez l’équité en abomination et qui tordez toute droiture, vous qui bâtissez Sion dans le sang, Jérusalem dans l’injustice. Ses chefs jugent pour des pots-de-vin, ses prêtres enseignent pour un salaire, ses prophètes pratiquent la divination pour de l’argent; et ils s’appuient sur le Seigneur, en disant: Le Seigneur n’est-il pas parmi nous? Aucun malheur ne s’abattra sur nous 41 ! » GE3 29.3

Ces paroles décrivaient fidèlement les habitants de Jérusalem, corrompus et propres justes. Tout en prétendant observer strictement les préceptes de la loi divine, ils en transgressaient tous les principes. Ils haïssaient le Christ parce que sa pureté et sa sainteté révélaient leur iniquité; et ils l’accusaient d’être la cause de tous les malheurs qui étaient tombés sur eux comme conséquence de leurs péchés. Tout en sachant qu’il était sans péché, ils avaient déclaré que sa mort était nécessaire à leur sécurité en tant que nation. « Si nous le laissons faire, avaient dit les chefs juifs, tous mettront leur foi en lui, et les Romains viendront détruire et notre lieu et notre nation 42. » S’ils sacrifiaient le Christ, pensaient-ils, ils pourraient redevenir un peuple fort et uni. Tel était leur raisonnement; et ils tombèrent d’accord avec la décision de leur souverain sacrificateur: « Il est avantageux pur vous qu’un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne soit pas perdue tout entière 43. » GE3 29.4

C’est de cette manière que les chefs juifs avaient bâti « Sion dans le sang, Jérusalem dans l’injustice » 44. Et cependant, alors qu’ils mettaient à mort leur Sauveur parce qu’il dénonçait leurs péchés, ils se considéraient, dans leur propre justice, comme le peuple privilégié de Dieu et s’attendaient à ce que celui-ci les délivre de leurs ennemis. « C’est donc bien à cause de vous, poursuivait le prophète Michée, que Sion sera labourée comme un champ, que Jérusalem deviendra un monceau de pierres, et que la montagne de la Maison deviendra une hauteur couverte de broussailles 45 » GE3 30.1

Pendant près de quarante années après que le Christ lui-même eut annoncé le sort de Jérusalem, le Seigneur retarda ses jugements sur cette cité et sur cette nation. La patience de Dieu envers ceux qui avaient rejeté son Évangile et mis à mort son Fils fut vraiment merveilleuse. La parabole du figuier stérile représente bien sa manière d’agir envers la nation juive. L’ordre avait été donné: « Coupe-le donc: pourquoi occuperait-il la terre inutilement 46?” Mais la miséricorde divine l’avait épargné encore un peu. Il y avait encore, parmi les Juifs, de nombreuses personnes qui étaient ignorantes du caractère et de l’œuvre du Christ. Les enfants, eux, n’avaient pas eu les opportunités ni reçu la lumière que leurs parents avaient méprisées. Par l’intermédiaire de la prédication des apôtres et de leurs associés, Dieu désirait faire briller la lumière sur eux et leur permettre de voir comment la prophétie s’était accomplie, non seulement dans la naissance et dans la vie du Christ, mais aussi dans sa mort et dans sa résurrection. Les enfants ne furent pas condamnés pour les péchés de leurs parents ; mais lorsque, après avoir eu connaissance de toute la lumière accordée à leurs parents, ces enfants rejetèrent la lumière supplémentaire qui leur était accordée, ils devinrent participants des péchés de leurs parents et comblèrent la mesure de leur iniquité. GE3 30.2

La longue patience de Dieu envers Jérusalem ne fit que confirmer les Juifs dans leur impénitence obstinée. Par leur haine et leur cruauté envers les disciples de Jésus, ils rejetèrent la dernière offre de la miséricorde divine. Dieu retira alors la protection qu’il leur avait accordée et cessa de retenir Satan et ses anges ; ainsi la nation fut-elle abandonnée à la domination du chef qu’elle s’était elle-même choisi. Ses enfants avaient méprisé la grâce du Christ, qui les aurait rendu capables de surmonter leurs mauvais penchants ; mais ce furent ceux-ci qui prirent alors le dessus. Satan excita les passions les plus violentes et les plus dégradantes de l’âme. Ces hommes cessèrent de raisonner. Ils avaient dépassé le stade de la raison, dominés qu’ils étaient par leurs penchants et leur rage aveugle. Ils devinrent sataniques dans leur cruauté. Dans les familles et au sein de la nation, dans les classes les plus élevées comme les plus humbles de la société régnaient le soupçon, l’envie, la haine, les conflits, la rébellion, le meurtre. Il n’y avait de sécurité nulle part. Amis et membres d’une même famille se trahissaient les uns les autres. Des parents tuaient leurs enfants, et des enfants leurs parents. Les dirigeants du peuple n’avaient même pas le pouvoir de se diriger eux-mêmes. Leurs passions non réfrénées faisaient d’eux des tyrans. Les Juifs avaient accepté de faux témoignages pour condamner l’innocent Fils de Dieu; maintenant, c’étaient de fausses accusations qui rendaient leur vie précaire. Par leurs actions, ils avaient dit pendant longtemps: « Ôtez de notre présence le Saint d’Israël 47! » Maintenant, leur souhait était satisfait. La crainte de Dieu ne les troublait plus. Satan avait pris la tête de la nation, et les autorités civiles et religieuses les plus élevées étaient sous sa domination. GE3 30.3

Les chefs de factions opposées s’unissaient parfois pour dépouiller et torturer leurs malheureuses victimes, puis ils se retournaient de nouveau les uns contre les autres et se massacraient sans pitié. Même la sainteté du temple ne pouvait retenir leur horrible férocité. Des adorateurs étaient massacrés devant l’autel, et le sanctuaire était souillé par les cadavres de ces victimes. Cependant, dans leur présomption aveugle et blasphématoire, les instigateurs de ces actes démoniaques déclaraient publiquement qu’ils n’avaient aucune crainte que Jérusalem soit détruite, car c’était la propre cité de Dieu. Pour asseoir encore plus fermement leur pouvoir, ils soudoyèrent de faux prophètes pour que ceux-ci proclament, alors même que les légions romaines assiégeaient le temple, que le peuple devait s’attendre à ce que Dieu le délivre. Jusqu’au dernier moment, des multitudes s’accrochèrent à la croyance que le Très-Haut s’interposerait pour défaire leurs adversaires. Mais Israël avait méprisé la protection divine et n’avait maintenant plus aucune protection. Malheureuse Jérusalem, déchirée par des dissensions internes, le sang de ses enfants massacrés rougissant ses rues, tandis que des armées étrangères abattaient ses fortifications et tuaient ses soldats ! GE3 31.1

Toutes les prédictions faites par le Christ concernant la destruction de Jérusalem s’accomplirent à la lettre. Les Juifs expérimentèrent la vérité de ses paroles d’avertissement: «C’est avec la mesure à laquelle vous mesurez qu’on mesurera pour vous 48.” GE3 31.2

Des signes et des prodiges apparurent, annonçant le désastre et l’accomplissement du destin. Au milieu de la nuit, une lumière surnaturelle brilla au-dessus du temple et de l’autel. Sur les nuages au coucher du soleil apparurent des chariots et des hommes de guerre se rassemblant pour la bataille. Les sacrificateurs qui officiaient de nuit dans le sanctuaire furent terrifiés par des bruits mystérieux; la terre trembla, et on entendit une multitude de voix s’écriant: « Partons d’ici! » La grande Porte Orientale, si lourde qu’une vingtaine d’hommes avaient du mal à la fermer, et qui était protégée par d’énormes barres de fer fixées profondément dans le pavé de pierre solide, s’ouvrit d’elle-même à minuit sans qu’on vît personne l’actionner 49. GE3 31.3

Pendant sept années, un homme parcourut sans cesse les rues de Jérusalem, annonçant les malheurs qui allaient fondre sur cette ville. Jour et nuit, il scandait ce chant funèbre: « Voix du côté de l’Orient! Voix du côté de l’Occident! Voix du côté des quatre vents! Voix contre Jérusalem et contre le temple! Voix contre les époux et les épouses ! Voix contre le peuple tout entier 50 ! » Cet être étrange fut emprisonné et flagellé ; mais aucune plainte ne sortit de ses lèvres. Aux insultes et aux mauvais traitements il se contentait de répondre: « Malheur, malheur à Jérusalem! Malheur, malheur à ses habitants!» Son cri d’avertissement ne cessa de se faire entendre que lorsqu’il fut tué dans le siège qu’il avait prédit. GE3 31.4

Pas un seul chrétien ne périt dans la destruction de Jérusalem. Le Christ avait averti ses disciples, et tous ceux qui avaient cru à ses paroles attendaient le signe promis : « Lorsque vous verrez Jérusalem investie par des armées, avait dit Jésus, sachez alors que sa dévastation s’est approchée. Alors, que ceux qui seront en Judée fuient dans les montagnes, que ceux qui seront au milieu de Jérusalem s’en retirent 51. » Après que l’armée romaine dirigée par Cestius eut entouré la ville, elle abandonna le siège de manière inattendue, alors que tout indiquait un moment favorable pour une attaque immédiate. Les assiégés, n’espérant plus pouvoir résister avec succès, étaient sur le point de se rendre, lorsque le général romain retira ses forces, sans aucune raison apparente. Mais la providence miséricordieuse de Dieu dirigeait les événements pour le bien de son propre peuple. Le signe promis avait été donné aux chrétiens qui attendaient, et l’occasion s’offrait maintenant, à tous ceux qui le voulaient bien, d’obéir à l’avertissement du Sauveur. Dieu dirigeait les événements de telle sorte que ni les Juifs ni les Romains ne pourraient empêcher la fuite des chrétiens. Voyant Cestius battre en retraite, les Juifs, opérant une sortie de Jérusalem, poursuivirent son armée en retraite ; et, pendant que ces deux armées étaient aux prises, les chrétiens eurent l’occasion de fuir la ville. À ce moment, la campagne aussi avait été débarrassée des ennemis qui auraient pu tenter de les intercepter. Au moment du siège, les Juifs étaient assemblés à Jérusalem pour célébrer la fête des tabernacles, ce qui permit aux chrétiens, dans tout le pays, de s’échapper sans être dérangés. Sans attendre, ils s’enfuirent vers un lieu sûr, la ville de Pella, dans le territoire de la Pérée, au-delà du Jourdain. GE3 32.1

Les armées juives, poursuivant Cestius et son armée, tombèrent sur son arrière-garde avec tant de violence que celle-ci put craindre sa destruction totale. Ce fut avec beaucoup de difficulté que les Romains réussirent à opérer leur retraite. Les Juifs s’en tirèrent presque sans pertes humaines, et, chargés de butin, revinrent triomphalement à Jérusalem. Cependant, ce succès apparent ne leur apporta rien de bon : il leur insuffla un esprit de résistance obstinée aux Romains, qui allait rapidement attirer des malheurs indicibles sur la ville condamnée. GE3 32.2

Les calamités qui s’abattirent sur Jérusalem lorsque Titus reprit le siège furent terribles. La ville fut investie au moment de la Pâque, alors que des millions de Juifs étaient rassemblés à l’intérieur de ses murailles. Leurs provisions, qui, si elles avaient été soigneusement conservées, auraient suffi à nourrir les habitants pendant des années, avaient été détruites auparavant à cause de la jalousie et de l’esprit de vengeance de factions rivales ; et maintenant, il ne restait plus qu’à vivre toutes les horreurs de la famine. On vendait une mesure de blé pour un talent. Les affres de la faim étaient si intenses que les hommes rongeaient le cuir de leur ceinture et de leurs sandales ainsi que celui qui recouvrait leur bouclier. Un grand nombre d’habitants sortaient furtivement la nuit pour cueillir les plantes sauvages qui poussaient en dehors des murailles de la ville, bien que beaucoup d’entre eux aient été saisis et mis à mort dans de cruels supplices. Souvent, ceux qui revenaient en sécurité étaient dépouillés de ce qu’ils avaient glané au prix d’un si grave danger. Ceux qui détenaient le pouvoir infligeaient les supplices les plus inhumains à des personnes dans la disette pour leur extorquer les dernières et maigres provisions qu’elles avaient pu cacher. Ces cruels supplices étaient assez souvent infligés par des hommes ii étaient eux-mêmes bien nourris, mais qui étaient seulement désireux de mettre côté des provisions pour l’avenir. GE3 32.3

Des milliers de personnes moururent par la famine et par la peste. L’affection naturelle semblait avoir été détruite. Des maris dérobaient à leur épouse, et des épouses à leur mari. On pouvait voir des enfants arrachant la nourriture de la bouche de leurs parents âgés. La question du prophète Ésaïe, « Une femme oublie-t-eIle son nourrisson 52 ? » trouvait sa réponse à l’intérieur des murailles de cette le condamnée: « Ces femmes, compatissantes, de leurs mains, ont fait cuire leurs enfants ; ils leur servent d’aliment dans le désastre de la belle, de mon peuple 53. » L’avertissement prophétique donné quatorze siècles plus tôt s’accomplit de nouveau : « La femme la plus délicate et la plus choyée chez toi, celle qui est si choyée si délicate qu’elle ne se risquerait pas à poser son pied par terre, regardera d’un oeil mauvais le mari qui dort sur son sein, son fils et sa fille, ainsi que [...] les fils Celle a mis au monde, car, manquant de tout, elle les mangera dans la détresse le désarroi où te réduira ton ennemi aux portes de tes villes 54 » GE3 33.1

Les dirigeants romains tentèrent de frapper les Juifs d’épouvante pour les pousser e rendre. Les prisonniers qui résistaient au moment de leur capture étaient flagellés, torturés et crucifiés devant les murailles de la ville. Des centaines furent mis mort chaque jour de cette manière, et cette œuvre horrible se poursuivit jusqu’à que les croix fussent dressées en si grand nombre dans la vallée de Josaphat et sur le Calvaire qu’on pouvait à peine se frayer un passage entre elles. C’est de cette terrible manière que s’accomplit l’effrayante imprécation prononcée devant le tribunal de Pilate : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants 55 ! ” GE3 33.2

Titus aurait volontiers mis fin à ces scène atroces, et épargné ainsi à Jérusalem pleine mesure de son destin. Il fut rempli d’horreur en voyant les cadavres tassés dans les vallées. Depuis le sommet du mont des Oliviers, il contempla le magnifique temple avec extase, et ordonna qu’on ne touche à aucune de ses pierres. Avant de tenter de s’emparer de cette forteresse, il adressa un fervent appel aux dirigeants juifs, les suppliant de ne pas le forcer à souiller de sang ce lieu sacré. S’ils consentaient à sortir de Jérusalem et à combattre en un autre lieu, aucune main ne profanerait la sainteté du temple. Flavius Josèphe lui-même, dans un appel extrêmement éloquent, les supplia de se rendre, pour se sauver eux-mêmes sauver leur ville et leur lieu de culte. Mais ses paroles ne reçurent pour toute réponse que d’amères imprécations. Des javelots furent lancés dans sa direction, lui, leur dernier médiateur humain, pendant qu’il plaidait avec eux. Les Juifs avaient rejeté les supplications du Fils de Dieu, et maintenant, les remontrances et les exhortations ne firent que les confirmer dans leur décision de résister jusqu’au dernier. Les efforts de Titus pour sauver le temple furent vains : un Être plus grand Le lui avait déclaré qu’il n’en resterait pas « pierre sur pierre» 56 GE3 33.3

L’obstination aveugle des chefs juifs et les crimes affreux perpétrés à l’intérieur la ville assiégée excitèrent l’horreur et l’indignation des Romains. Titus décida enfin de prendre le temple d’assaut. Il résolut cependant, si possible, de lui épar gner la destruction. Mais ses ordres ne furent pas exécutés. Après qu’il se fut retiré dans sa tente pour la nuit, les Juifs opérèrent une sortie depuis le temple et attaquèrent les soldats qui se trouvaient à l’extérieur. Au cours de ce combat, un soldat jeta un tison enflammé par une ouverture dans le portique, et les chambres recouvertes de bois de cèdre qui entouraient cette sainte Maison s’enflammèrent immédiatement. Titus se précipita, suivi par ses généraux et ses légionnaires, et ordonna aux soldats d’éteindre les flammes. Ses paroles ne furent pas écoutées. Dans leur rage, les soldats jetèrent des torches enflammées dans les chambres adjacentes au temple; puis, de leurs épées, ils massacrèrent en grand nombre ceux qui y avaient trouvé refuge. Le sang coulait comme de l’eau sur les marches du temple. Des milliers de Juifs périrent. Au-dessus du tumulte de la bataille, on entendit des voix crier : « I-Kabod 57 ! » GE3 33.4

«Titus se rendit compte qu’il était impossible de calmer la rage de la soldatesque; il entra avec ses officiers pour examiner l’intérieur de cet édifice sacré. Sa splendeur les remplit d’admiration; et, comme les flammes n’avaient pas encore atteint le lieu saint, il fit un dernier effort pour le sauver. Il se précipita et ordonna de nouveau aux soldats d’arrêter les progrès de l’incendie. Armé de son bâton de commandement, le centurion Liberalis tenta d’imposer l’obéissance; mais même le respect dû à l’Empereur céda le pas à leur furieuse animosité contre les Juifs, à la féroce excitation de la bataille et à leur espoir insatiable de trouver du butin. Les soldats voyaient tout ce qui les entourait étinceler comme de l’or éblouissant dans la lumière sauvage des flammes ; ils s’imaginèrent que des trésors incalculables étaient entassés dans le sanctuaire. Sans être remarqué, un soldat jeta une torche allumée derrière les gonds de la porte ; tout le bâtiment s’embrasa en un instant. La fumée aveuglante et les flammes forcèrent les officiers à reculer, et ce noble édifice fut abandonné à son sort. GE3 34.1

« Ce fut un spectacle effrayant pour les Romains. Que dire alors des Juifs ? Tout le sommet de la colline qui surplombait la ville flambait comme un volcan. L; un après l’autre, les bâtiments s’effondraient dans un bruit terrible et disparaissaient dans cet abîme de flammes. Les toits de bois de cèdre étaient comme des nappes de flammes ; les clochetons dorés brillaient comme des pointes de lumière rouge ; des tours des portes de la ville s’élevaient de hautes volutes de flammes et de fumée. L’incendie éclairait les collines avoisinantes; et on pouvait voir des masses sombres de personnes contempler avec une angoisse horrifiée les progrès de la destruction. Les murailles et les hauteurs de la ville étaient couvertes de visages, les uns pâles de l’agonie du désespoir, d’autres ruminant une vengeance inutile. Les cris de la soldatesque romaine qui courait çà et là et les hurlements des insurgés périssant dans les flammes se mêlaient au rugissement de l’incendie et au bruit de tonnerre des poutres qui s’écroulaient. Les échos des montagnes répétaient les cris des personnes sur les hauteurs ; tout le long des murailles résonnaient des cris et des gémissements; des hommes qui mouraient de faim rassemblaient leurs dernières forces pour pousser un cri d’angoisse et de désolation. GE3 34.2

« Le massacre à l’intérieur était encore plus terrible que le spectacle vu de l’extérieur. Hommes et femmes, jeunes et vieux, insurgés et sacrificateurs, ceux qui combattaient et ceux qui imploraient la clémence étaient fauchés sans distinction. Le nombre des victimes dépassa le nombre de ceux qui les massacraient. Les légion naires durent escalader des monceaux de cadavres pour poursuivre leur œuvre d’extermination 58. » GE3 34.3

Après la destruction du temple, toute la ville tomba bientôt aux mains des Romains. Les dirigeants juifs abandonnèrent leurs tours imprenables, que Titus trouva désertées. Il les contempla avec étonnement et déclara que c’était Dieu qui les avait livrées entre ses mains; car aucun engin de guerre, aussi puissant fût-il, n’aurait pu venir à bout de ces étonnantes fortifications. La ville comme le temple Curent rasés jusqu’à leurs fondements, et le sol sur lequel s’était dressée la sainte Maison fut « labouré comme un champ » 59. Dans ce siège et dans le massacre qui s’ensuivit, plus d’un million de Juifs perdirent la vie; les survivants furent emmenés en captivité, vendus comme esclaves, traînés à Rome pour servir au triomphe du vainqueur, jetés aux bêtes sauvages dans les arènes ou dispersés sur toute la terre pour y errer comme des vagabonds. GE3 35.1

Les Juifs avaient eux-mêmes forgés les fers qui les emprisonnaient; ils avaient rempli pour eux-mêmes la coupe de la vengeance. Dans la destruction totale qui fondit sur eux en tant que nation, et dans tous les malheurs qui les suivirent dans leur dispersion, ils ne firent que récolter la moisson que leurs propres mains avaient semée. Le prophète Osée avait déclaré : « Ce qui te détruit, Israël, c’est que tu as été contre moi »60; «Car tu as trébuché sur ta faute 61.” Leurs souffrances sont souvent représentées comme un châtiment infligé par un décret direct de Dieu. C’est ainsi que le grand séducteur cherche à dissimuler sa propre œuvre. Par leur rejet obstiné de l’amour et de la miséricorde de Dieu, les Juifs avaient fait que la protection divine leur avait été retirée, permettant ainsi à Satan de les dominer selon sa volonté. Les horribles actes de cruauté perpétrés pendant la destruction de Jérusalem sont une démonstration de la puissance vindicative de Satan sur ceux qui s’abandonnent à sa domination. GE3 35.2

Nous ne pouvons pas imaginer tout ce que nous devons au Christ pour la paix et la protection dont nous jouissons. C’est la puissance de Dieu qui, en retenant les puissances du mal, évite à l’humanité de passer totalement sous la domination de Satan. Les désobéissants et les ingrats feraient bien d’être reconnaissants pour la miséricorde et la patience de Dieu, qui tient en échec la puissance cruelle et maléfique du Malin. Mais, lorsque les hommes dépassent les limites de la patience divine, cette entrave est ôtée. Dieu ne tient pas pour le pécheur le rôle de l’exécuteur d’une sentence contre la transgression ; mais il laisse livrés à eux-mêmes ceux qui rejettent sa miséricorde, pour récolter ce qu’ils ont semé. Chaque rayon de lumière rejeté, chaque avertissement méprisé ou négligé, chaque passion à laquelle on cède, chaque transgression de la loi divine est une graine qui, une fois semée, produit infailliblement sa moisson. L’Esprit de Dieu, si on lui résiste avec obstination, se retire enfin du pécheur; il ne reste alors aucun pouvoir pour dominer les passions mauvaises de l’âme et aucune protection contre la malice et l’inimitié de Satan. La destruction de Jérusalem est un avertissement terrible et solennel adressé à tous ceux qui jouent avec les offres de la grâce de Dieu et résistent aux appels de sa miséricorde. Jamais il ne fut donné un témoignage aussi décisif de la haine que Dieu ressent pour le péché et du châtiment certain qui tombera sur les es coupables. GE3 35.3

La prophétie du Sauveur concernant la venue des jugements sur Jérusalem doit avoir un autre accomplissement, dont cette terrible désolation n’était qu’un pâle reflet. Dans le destin de la cité élue, nous pouvons contempler celui d’un monde qui a rejeté la miséricorde de Dieu et foulé aux pieds sa loi. Bien sombre est l’histoire de la misère humaine que notre terre a pu connaître au cours de ses longs siècles de crimes. Le cœur se soulève et l’esprit défaille en la contemplant. Les conséquences du rejet de l’autorité du ciel ont été terribles; mais une scène encore plus sombre se profile dans les révélations pour l’avenir. Les récits du passé, la longue procession de tumultes, de conflits et de révolutions, «toutes les bottes qui piétinaient dans la bataille, et tous les manteaux roulés dans le sang» 62, qu’est-ce que tout cela en comparaison avec les terreurs du jour où l’Esprit de Dieu, qui a retenu les puissances du mal jusqu’à présent, sera totalement retiré aux méchants et ne tiendra plus en échec les manifestations des passions humaines et de la colère de Satan! Le monde contemplera alors, comme jamais auparavant, les conséquences de la domination de Satan. GE3 36.1

Mais en ce jour, comme à l’époque de la destruction de Jérusalem, le peuple de Dieu sera délivré, «tous ceux qui seront inscrits pour obtenir la vie” 63. Le Christ a déclaré qu’il reviendrait pour rassembler ses fidèles : «Toutes les tribus de la terre se lamenteront, et elles verront le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel avec beaucoup de puissance et de gloire. Il enverra ses anges avec une grande trompette, et ils rassembleront des quatre vents, depuis une extrémité des cieux jusqu’à l’autre, ceux qu’il a choisis 64.” Alors, «ceux qui n’obéissent pas à la bonne nouvelle65» seront détruits «par le souffle de sa bouche» et «par la manifestation de son avènement » 66. Comme l’ancien Israël, les méchants se détruisent eux-mêmes; on peut dire d’eux ce que disait le prophète Osée : « Car tu as trébuché sur ta faute 67. » Par leur vie de péché, ils se sont placés eux-mêmes tellement en désaccord avec Dieu, leurs natures ont été si dégradées par le mal, que la manifestation de la gloire divine est pour eux « un feu dévorant» 68. GE3 36.2

Que les hommes prennent garde de négliger la leçon contenue à leur intention dans les paroles du Christ. De même qu’il avait averti ses disciples de la destruction de Jérusalem en leur donnant un signe de la destruction qui approchait pour qu’ils puissent s’en échapper, de même il a averti notre monde du jour de sa destruction finale et lui a indiqué des signes de l’approche de celle-ci, afin que tous ceux qui le veulent puissent « fuir la colère à venir” 69. Jésus a déclaré : « Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles, et, sur la terre, une angoisse des nations 70. » Ceux qui verront ces signes annonciateurs de son avènement pourront savoir « qu’il est proche, aux portes»71. C’est pourquoi sa parole d’avertissement est: «Veillez donc 72. » Ceux qui prendront garde à cet avertissement ne seront pas laissés dans les ténèbres pour que « ce jour n’arrive ... à l’improviste »73; mais, pour ceux qui ne veilleront pas, « le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit 74 ». GE3 36.3

Le monde n’est pas plus prêt aujourd’hui à donner foi au message pour notre époque que les Juifs ne l’étaient à accepter les avertissements du Sauveur concernant Jérusalem. Quel que soit le moment où il viendra, le jour de Dieu surviendra «à l’improviste 75» pour les impies. Lorsque la vie semblera continuer à son rythme immuable; lorsque les hommes seront absorbés par leurs plaisirs, leurs affaires, leurs négoces, leur recherche de la richesse; lorsque les chefs religieux exalteront les progrès et les lumières de notre monde et que les gens seront bercés dans une sécurité illusoire; c’est alors que, comme le voleur qui s’introduit au milieu de la nuit dans une demeure non gardée, une destruction soudaine s’abattra sur les insouciants et les impies, «et ils n’échapperont en aucun cas” 76. GE3 37.1