Le Grand Espoir- 3e édition

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6 - Jean Hus et Jérôme de Prague

L’Évangile avait été implanté en Bohême dès le IXe siècle. La Bible avait été traduite et le culte public était célébré dans la langue du peuple. Mais, à mesure que le pouvoir du pape augmentait, la Parole de Dieu était rejetée dans les ténèbres. Le pape Grégoire VII, qui avait entrepris d’abaisser l’orgueil des rois, était tout aussi désireux de réduire le peuple en esclavage. C’est pourquoi il promulgua une bulle papale interdisant de célébrer le culte dans la langue de la Bohême. Le pontife déclara qu’” il était agréable au Tout-puissant que son culte soit célébré dans une langue inconnue, et que l’inobservance de cette règle avait produit de nombreux maux et de nombreuses hérésies 1 ». C’est ainsi que Rome décréta que la lumière de la Parole de Dieu devait être éteinte et les gens du peuple, prisonniers des ténèbres. Mais le ciel avait préparé d’autres instruments pour la préservation de son Église. Nombre de Vaudois et d’Albigeois, expulsés de leurs foyers en France et en Italie par la persécution, vinrent s’établir en Bohême. Bien que n’osant pas enseigner ouvertement, ils travaillèrent avec zèle dans l’ombre. Par ce moyen, la véritable foi fut préservée de siècle en siècle. GE3 79.1

Avant l’époque de Jean Hus, des hommes s’étaient levés en Bohême pour dénoncer ouvertement la corruption de l’Église et l’immoralité de la population. Leurs travaux avaient suscité un profond intérêt. Les craintes de la hiérarchie s’éveillèrent, et la persécution se déchaîna contre les disciples de l’Évangile. Réduits à adorer Dieu dans les forêts et les montagnes, ils furent pourchassés par les soldats. Beaucoup d’entre eux furent mis à mort. Au bout d’un certain temps, il fut décrété que quiconque se détournerait du culte de l’Église romaine serait brûlé sur le bûcher. Mais, même si ces chrétiens perdaient souvent la vie, ils attendaient avec confiance le triomphe de leur cause. L’un d’entre eux, qui « enseignait que le salut ne s’obtient que par la foi au Sauveur crucifié», déclara au moment de sa mort: « La rage des ennemis de la vérité l’emporte maintenant sur nous; mais elle ne durera pas éternellement; il s’élèvera au sein du petit peuple quelqu’un qui n’aura ni épée, ni autorité ; et ils ne pourront pas l’emporter sur lui 2. » L’époque de Luther était encore très éloignée, mais déjà s’élevait quelqu’un dont le témoignage contre Rome allait secouer les nations. GE3 79.2

Jean Hus était d’humble naissance. La mort de son père le laissa orphelin très tôt. Sa pieuse mère, qui considérait l’instruction et la crainte de Dieu comme les biens les plus précieux, s’efforça de préserver cet héritage pour son fils. Jean Hus étudia à l’école provinciale, puis entra à l’université de Prague, où il fut admis gratuitement en raison de sa pauvreté. GE3 79.3

Sa mère l’accompagna dans son voyage vers Prague. Veuve et pauvre, elle n’avait aucun bien terrestre à offrir à son fils. Mais, lorsqu’ils approchèrent de cette grande ville, elle s’agenouilla auprès du jeune orphelin et invoqua sur lui la bénédiction de leur Père céleste. Cette mère était loin de se douter de la façon dont sa prière allait être exaucée. GE3 80.1

À l’université, Jean Hus se fit bientôt remarquer par son application inlassable et ses progrès rapides, tandis que sa vie irréprochable et sa personnalité douce et attrayante lui gagnaient l’estime générale. C’était un adhérent sincère de l’Église romaine et un chercheur fervent des bénédictions spirituelles que celle-ci prétendait dispenser. À l’occasion d’un jubilé, il alla se confesser, versa les dernières petites pièces de sa maigre bourse et suivit les processions pour pouvoir bénéficier de l’indulgence promise. Après avoir terminé ses études universitaires, il fut ordonné prêtre. Parvenant rapidement à de hautes positions, il fut bientôt attaché à la cour du roi. Il fut également nommé professeur, et, par la suite, recteur de l’université dans laquelle il avait fait ses études. Au bout de quelques années, l’humble étudiant admis gratuitement à l’université à cause de sa pauvreté était devenu la fierté de son pays, et son nom était renommé dans toute l’Europe. GE3 80.2

Mais ce fut dans un autre champ que Jean Hus commença son œuvre de réforme. Plusieurs années après son ordination à la prêtrise, il fut nommé prédicateur de la Chapelle de Bethléhem. Le fondateur de cette chapelle avait préconisé, comme une chose de la plus haute importance, que la prédication des Écritures se fasse dans la langue des gens du peuple. Malgré l’opposition de Rome à cette pratique, celle-ci n’avait pas totalement disparu en Bohême. Cependant, il y régnait une profonde ignorance de la Bible et les pires vices prévalaient dans toutes les classes de la société. Jean Hus dénonça ces fléaux sans ménager ses efforts, faisant appel à la Parole de Dieu pour faire régner les principes de vérité et de pureté qu’il inculquait à ses auditeurs. GE3 80.3

Un citoyen de Prague nommé Jérôme, qui fut plus tard si étroitement associé à Jean Hus, avait rapporté d’un voyage en Angleterre les écrits de Wycliffe. La reine d’Angleterre, qui était convertie aux écrits de Wycliffe, était une princesse de Bohême. Grâce à son influence, les écrits du réformateur furent largement diffusés dans son pays natal. Jean Hus les lut avec intérêt. Convaincu que leur auteur était un chrétien sincère, il se sentit enclin à considérer avec faveur les réformes préconisées par celui-ci. Déjà, sans le savoir, Jean Hus avait posé le pied sur un sentier qui allait le conduire loin de Rome. GE3 80.4

Vers cette époque, deux étrangers arrivèrent à Prague. C’était des érudits anglais qui avaient reçu la lumière et venaient la répandre dans ce pays lointain. Ayant commencé par une attaque ouverte contre la suprématie du pape, ils furent bientôt réduits au silence par les autorités. Mais, refusant d’abandonner leur projet, ils eurent recours à d’autres moyens. Étant à la fois artistes et prédicateurs, ils se mirent à exercer leur talent. Sur une place ouverte au public, ils dessinèrent deux tableaux. Le premier représentait l’entrée du Christ à Jérusalem, « plein de douceur, monté sur une ânesse 3 » et suivi de ses disciples marchant pieds nus et revêtus de vêtements usés par le voyage. Le second tableau représentait une procession pontificale: le pape revêtu de ses riches vêtements, coiffé de sa triple couronne, monté sur un cheval magnifiquement caparaçonné, précédé de trompettes et suivi de cardinaux et de prélats splendidement vêtus. GE3 80.5

Ce fut là un véritable sermon qui attira l’attention de toutes les classes de la société. Des foules vinrent contempler ces dessins. Nul ne pouvait manquer d’y voir la morale qui s’en dégageait. De nombreuses personnes furent profondément impressionnées par le contraste entre la douceur et l’humilité du Christ, notre Maître, et l’orgueil et l’arrogance du pape, qui prétendait le servir. Prague fut plongée dans un profond émoi, et les deux étrangers, au bout de quelque temps, jugèrent nécessaire, pour leur propre sécurité, de quitter la ville. Mais la leçon qu’ils avaient enseignée ne fut pas oubliée. Leurs tableaux produisirent une profonde impression sur l’esprit de Jean Hus et l’amenèrent à une étude plus approfondie de la Bible et des écrits de Wycliffe. Bien qu’il ne fût pas encore prêt, même à ce moment, à accepter toutes les réformes préconisées par Wycliffe, il entrevit plus clairement le véritable caractère de la papauté. Avec encore plus de zèle, il dénonça l’orgueil, l’ambition et la corruption de la hiérarchie. GE3 81.1

De Bohême la lumière passa en Allemagne, car des troubles qui avaient éclaté à l’Université de Prague avaient provoqué le départ de plusieurs centaines d’étudiants allemands. Beaucoup d’entre eux avaient reçu de Jean Hus leur première étude de la Bible. De retour chez eux, ils répandirent l’Évangile dans leur patrie. GE3 81.2

Des nouvelles de ce qui se passait à Prague furent apportées à Rome, et Jean Hus fut bientôt convoqué pour comparaître devant le pape. Obéir, c’était s’exposer à une mort certaine. Le roi et la reine de Bohême, l’Université, des membres de la noblesse et des magistrats s’unirent pour demander au pontife d’autoriser Jean Hus à rester à Prague et à se faire représenter à Rome par un délégué. Au lieu de répondre favorablement à cette requête, le pape ordonna le procès et la condamnation de Jean Hus et prononça l’interdit sur la ville de Prague. GE3 81.3

À cette époque, chaque fois qu’elle était prononcée, cette sentence répandait la terreur. Les cérémonies qui l’accompagnaient étaient conçues pour frapper de terreur un peuple qui considérait le pape comme le représentant de Dieu lui-même, tenant les clés du ciel et de l’enfer et possédant le pouvoir de prononcer des jugements temporels et spirituels. On croyait que les portes du ciel étaient fermées aux habitants de la région frappée d’interdit; que, jusqu’à ce que le pape décide de lever cet interdit, les morts ne pouvaient accéder au royaume des bienheureux. Pour marquer cette terrible calamité, tous les services religieux étaient suspendus. Les églises restaient fermées. On célébrait les mariages dans les cimetières. Les morts, auxquels on refusait l’inhumation en terre consacrée, étaient enterrés sans aucun rite de sépulture dans des fossés ou des champs. C’est ainsi que, par ces mesures qui frappaient l’imagination, Rome tentait de dominer la conscience des hommes. GE3 81.4

La ville de Prague se remplit de tumulte. Un grand nombre de personnes dénoncèrent Jean Hus comme la cause de toutes leurs calamités. Elles exigèrent qu’il soit livré à la vengeance de Rome. Pour apaiser cette tempête, le réformateur se retira pendant quelque temps dans son village natal. Il écrivit à des amis qu’il avait laissés à Prague : « Si je me suis retiré du milieu de vous, c’est pour suivre les préceptes et l’exemple de Jésus-Christ, afin de ne donner aucune occasion aux personnes mal intentionnées d’attirer sur elles-mêmes une condamnation éternelle et de ne pas être pour les personnes pieuses une cause d’affliction et de persécution. Je me suis aussi retiré dans la crainte que des prêtres impies continuent pendant encore longtemps à interdire la prédication de la Parole de Dieu parmi vous; mais je ne vous ai pas abandonnés en reniant la vérité divine, pour laquelle, avec l’aide de Dieu, je suis disposé à mourir 4. » Jean Hus ne cessa pas ses travaux, mais voyagea dans les contrées environnantes en prêchant l’Évangile à des foules assoiffées de vérité. Les mesures prises par le pape pour tenter d’éliminer la prédication de l’Évangile ne firent qu’augmenter encore sa diffusion. « Nous n’avons pas de puissance contre la vérité ; nous n’en avons que pour la vérité 5. ” GE3 81.5

« Il semble qu’à cette étape de sa carrière, l’esprit de Jean Hus ait été agité par un douloureux conflit. Bien que l’Église ait cherché à l’accabler de ses foudres, il n’avait pas renoncé à reconnaître son autorité. L’Église romaine était encore pour lui l’épouse du Christ, et le pape le représentant et le vicaire de Dieu. Jean Hus luttait contre l’abus d’autorité, et non le principe lui-même. Il eut un terrible conflit intérieur entre les convictions de son esprit et les appels de sa conscience. Si cette autorité était juste et infaillible, comme il le croyait, pourquoi se sentait-il obligé de lui désobéir ? Obéir, il s’en rendait compte, était un péché. Pourquoi l’obéissance à une Église infaillible lui posait-elle pareil problème? Telle était l’énigme qu’il ne pouvait résoudre; tel était le doute qui le torturait à chaque heure. L’explication la plus vraisemblable qu’il put trouver était qu’il se passait la même chose qu’à l’époque du Sauveur, à savoir que les prêtres de l’Église étaient devenus des hommes méchants et utilisaient leur autorité légitime à des fins illégitimes. Cette explication l’amena à adopter cette maxime pour sa propre gouverne, et à la prêcher pour celle des autres : « Ce sont les préceptes de l’Écriture, communiqués par l’intelligence, qui doivent régir notre conscience; en d’autres termes, c’est Dieu parlant par la Bible, et non l’Église parlant par les prêtres, qui est le seul guide infaillible 6. ” GE3 82.1

Lorsqu’au bout de quelque temps, l’excitation des esprits se calma à Prague, Jean Hus retourna à sa Chapelle de Bethléhem pour continuer, avec encore plus de zèle et de courage, à prêcher la Parole de Dieu. Ses ennemis étaient actifs et puissants, mais la reine et de nombreux membres de la noblesse étaient ses amis, et une grande partie du peuple était en sa faveur. En comparant la pureté de ses enseignements qui élevaient l’âme et sa vie sainte aux dogmes dégradants prêchés par l’Église romaine, à la cupidité et à la vie de débauche pratiquées par beaucoup de ses membres, de nombreuses personnes considéraient comme un honneur d’être du côté de Jean Hus. GE3 82.2

Jusque-là, Jean Hus avait réalisé ses travaux seul. Mais maintenant, Jérôme, qui, lorsqu’il était en Angleterre, avait accepté les enseignements de Wycliffe, se joignit à son œuvre de réforme. À partir de là, les deux hommes furent unis dans la vie, et ils ne devaient pas être divisés dans la mort. Jérôme possédait à un très haut degré un génie brillant, une grande éloquence et une profonde érudition. Ces dons lui gagnèrent la faveur générale. Mais Jean Hus était le plus grand en force de caractère. Son jugement calme servait à retenir l’esprit impulsif de Jérôme, qui, avec une véritable humilité, percevait la valeur de Jean Hus et acceptait ses conseils. Sous la direction de leurs travaux unis, la réforme progressa plus rapidement. GE3 82.3

Dieu permit qu’une grande lumière brille dans l’esprit de ces deux hommes qu’il avait choisis et leur montra de nombreuses erreurs de l’Église romaine. Mais il ne leur révéla pas toutes les lumières que le monde devait recevoir. Par l’intermédiaire de ses serviteurs, Dieu faisait sortir les membres de son peuple des ténèbres de l’Église romaine. Il y avait de sérieux et nombreux obstacles à franchir, mais il les menait pas à pas, selon ce qu’ils pouvaient supporter. Ils n’étaient pas prêts à recevoir toute la lumière d’un seul coup. Comme la lumière du soleil en plein midi pour ceux qui sont longtemps restés dans l’obscurité, elle les aurait amenés à s’en détourner si elle leur avait été présentée. C’est pourquoi Dieu la révéla petit à petit à ses chefs, au fur et à mesure que les gens du peuple pouvaient la recevoir. De siècle en siècle, d’autres serviteurs fidèles allaient suivre, chargés d’amener les hommes plus loin sur le chemin de la réforme. GE3 82.4

Le schisme au sein de l’Église était encore présent. Trois papes rivalisaient maintenant pour obtenir la suprématie. Leur conflit remplissait la chrétienté de crimes et de tumulte. Non contents de se lancer des anathèmes, ils eurent recours aux armes. Chacun entreprit d’en acheter et d’enrôler des soldats. Bien sûr, il fallait de l’argent pour s’en procurer. Ils mirent donc en vente les dons, les fonctions et les faveurs de l’Église 7. Les prêtres, imitant leurs supérieurs hiérarchiques, se livrèrent à la simonie et à la guerre pour humilier leurs rivaux et accroître leur pouvoir. Avec une hardiesse qui grandissait de jour en jour, Jean Hus s’élevait contre les abominations tolérées au nom de la religion. Les gens du peuple accusaient ouver-tement les dirigeants de l’Église romaine d’être la cause des misères qui les accablaient. GE3 83.1

La ville de Prague se trouva de nouveau au bord d’un conflit sanglant. Comme au cours des siècles précédents, le serviteur de Dieu fut accusé d’être celui « qui attire le malheur sur Israël » 8. La ville fut à nouveau placée sous l’interdit, et Jean Hus se retira dans son village natal. Le témoignage qu’il avait si fidèlement rendu dans sa chère Chapelle de Bethléhem avait pris fin. Il allait désormais s’adresser à toute la chrétienté, avant de perdre la vie comme témoin de la vérité. GE3 83.2

Pour guérir les maux qui affligeaient l’Europe, un Concile général fut convoqué à Constance — à la demande de l’empereur Sigismond — par l’un des trois papes rivaux, Jean XXIII. La demande d’un Concile avait été loin d’être la bienvenue pour ce pape, dont le caractère et la politique pouvaient difficilement supporter une enquête, même menée par des prélats aux mœurs aussi relâchées que les ecclésiastiques de cette époque. Cependant, il n’osa pas s’opposer à la volonté de l’empereur Sigismond 9. GE3 83.3

Les principaux objectifs de ce Concile étaient de mettre fin au schisme de l’Église et d’en extirper l’hérésie. C’est pourquoi les deux antipapes furent convoqués devant ce Concile, ainsi que le principal propagateur des idées nouvelles, Jean Hus. Les premiers, par souci de leur propre sécurité, ne se présentèrent pas en personne, mais se firent représenter par des délégués. Le pape Jean XXIII, bien qu’il ait officiellement convoqué ce Concile, y vint avec de nombreuses appréhensions, soupçonnant l’empereur de nourrir secrètement le projet de le faire destituer et craignant de devoir rendre compte des vices qui avaient déshonoré la tiare papale et des crimes qui lui avaient permis de l’obtenir. Néanmoins, il fit son entrée dans la ville de Constance en grande pompe, escorté des prélats les plus élevés dans la hiérarchie et de courtisans. Tout le clergé et tous les dignitaires de la ville, accom- pagnés d’une immense foule de citoyens, étaient sortis pour l’accueillir. Quatre des principaux magistrats portaient au-dessus de sa tête un baldaquin doré. On transportait l’hostie devant lui, et les riches vêtements des cardinaux et des membres de la noblesse offraient un spectacle imposant. GE3 83.4

Au même moment, un autre voyageur approchait de Constance. Jean Hus était conscient des dangers qui le menaçaient. Il avait pris congé de ses amis comme s’il n’allait jamais plus les revoir, et était parti pour ce voyage avec le sentiment que celui-ci le mènerait au bûcher. Bien qu’il ait obtenu un sauf-conduit du roi de Bohême, et un autre de l’Empereur Sigismond alors qu’il était déjà en chemin, il avait pris toutes ses dispositions en considérant sa mort comme probable. GE3 84.1

Dans une lettre adressée à ses amis de Prague, il écrivait: « Mes frères, [...] je pars avec un sauf-conduit du roi pour rencontrer mes nombreux et mortels ennemis. [...] Je me confie entièrement dans le Dieu tout-puissant et en mon Sauveur. J’espère qu’il écoutera vos prières ferventes, qu’il mettra sa prudence et sa sagesse dans ma bouche afin que je puisse leur résister, et qu’il m’accordera son Saint-Esprit pour me fortifier dans sa vérité, de sorte que j’affronte avec courage les tentations, la prison, et, si nécessaire, une mort cruelle. Jésus-Christ a souffert pour ses bien-aimés. Devrions-nous donc nous étonner qu’il nous ait laissé son exemple, afin que nous puissions nous-mêmes endurer toutes choses pour notre propre salut? Il est Dieu, et nous sommes ses créatures. Il est Seigneur, et nous sommes ses serviteurs. Il est le Maître du monde, et nous ne sommes que de méprisables mortels ; et cependant, il a souffert pour nous ! Pourquoi donc ne souffririons-nous pas aussi, particulièrement lorsque la souffrance est pour nous un moyen de purification ? C’est pourquoi, mes bien-aimés, si ma mort doit contribuer à sa gloire, priez pour qu’elle vienne rapidement et que Dieu m’accorde de supporter toutes mes calamités avec constance. Mais, s’il est préférable que je revienne parmi vous, prions Dieu que je revienne sans tache, c’est-à-dire sans ôter un seul iota de la vérité de l’Évangile, afin de laisser à mes frères un excellent exemple à suivre. Il est donc probable que vous ne verrez plus jamais mon visage à Prague. Toutefois, si la volonté du Dieu tout-puissant est de me rendre à vous, avançons avec un cœur plus ferme dans la connaissance et dans l’amour de sa loi 10.” GE3 84.2

Dans une autre lettre, adressée à un prêtre qui était devenu disciple de l’Évangile, Jean Hus parlait avec une profonde humilité de ses propres erreurs, s’accusant « d’avoir ressenti du plaisir à porter de riches vêtements et perdu des heures à des occupations frivoles ». Puis, il ajouta ces touchantes exhortations : « Puissent la gloire de Dieu et le salut des âmes occuper votre esprit, et non la possession de bénéfices ou de propriétés. Gardez-vous d’orner votre maison plus que votre âme ; et, par-dessus tout, prenez soin de l’édifice spirituel. Soyez pieux et humbles avec les pauvres, et ne dépensez pas vos biens en festins. Si vous n’amendez pas votre vie et ne vous abstenez pas du superflu, je crains que vous ne soyez sévèrement châtiés, comme je le suis moi-même. [...] Vous connaissez ma doctrine, car vous avez reçu mes instructions depuis votre enfance; il est donc inutile de vous écrire davantage à ce sujet. Mais je vous conjure, par la miséricorde de notre Seigneur, de ne m’imiter en aucune des vanités dans lesquelles vous m’avez vu tomber. » Il ajouta sur l’extérieur de la lettre: «Je vous conjure, mon ami, de ne pas rompre ce sceau avant d’avoir acquis la certitude que je suis mort 11 GE3 84.3

Au cours de son voyage, Hus constata partout combien ses doctrines étaient répandues et avec quelle faveur on considérait sa cause. Les gens du peuple se rassemblèrent pour le rencontrer, et, dans certaines villes, les magistrats l’escortèrent dans les rues. GE3 85.1

Arrivé à Constance, Jean Hus bénéficia d’une entière liberté. Au sauf-conduit de l’empereur, le pape ajouta une assurance personnelle de sa protection. Mais, au mépris de ces déclarations solennelles et répétées, sur ordre du pape et des cardinaux, le réformateur fut arrêté peu de temps après et jeté dans un cachot infect. Plus tard, il fut transféré dans un château fort de l’autre côté du Rhin et y fut gardé prisonnier. Le pape, dont la perfidie ne lui fut pas profitable, se retrouva peu après incarcéré dans la même prison 12. Le Concile le déclara coupable des crimes les plus vils, et, outre le meurtre, la simonie et l’adultère, de « péchés innommables ». Telle fut la décision de cette assemblée, qui, finalement, le dépouilla de sa tiare et le jeta en prison. Les antipapes furent également destitués, et un nouveau pontife fut élu. GE3 85.2

Bien que le pape lui-même ait été reconnu coupable de délits bien plus graves que ceux que Jean Hus avait reprochés aux prêtres, et pour lesquels il avait exigé une réforme, ce même Concile qui avait dégradé le pontife se mit en devoir de détruire le réformateur. L’emprisonnement de Jean Hus provoqua une profonde indignation en Bohême. Des membres puissants de la noblesse adressèrent au Concile de véhémentes protestations contre cet outrage. L’empereur, qui répugnait à ce qu’un sauf-conduit ne soit pas respecté, s’opposa à son procès. Mais les ennemis du réformateur étaient malveillants et déterminés. Ils firent appels aux préjugés de l’empereur, à ses craintes et à son zèle pour l’Église. Ils avancèrent de longs arguments pour tenter de prouver qu’” on n’est pas tenu de tenir une parole donnée à des hérétiques, ni à des personnes soupçonnées d’hérésie, même si elles détiennent un sauf-conduit de l’Empereur et des rois 13. » C’est ainsi qu’ils réussirent à obtenir ce qu’ils cherchaient. GE3 85.3

Affaibli par la maladie et l’emprisonnement — l’air humide et malsain de son cachot lui ayant donné une fièvre qui avait failli mettre fin à ses jours — Jean Hus fut enfin amené devant le Concile. Chargé de chaînes, il parut en présence de l’Empereur, qui avait engagé son honneur et sa bonne foi pour le protéger. Au cours de son long procès, il se tint fermement à la vérité, et, en présence des dignitaires de l’Église et de l’État assemblés, il lança une protestation solennelle et fidèle contre la corruption de la hiérarchie. Sommé de choisir entre la rétractation de ses doctrines ou la mort, il accepta le martyre. GE3 85.4

La grâce de Dieu le soutint. Au cours des semaines de souffrance qui précédèrent sa sentence finale, la paix céleste emplit son âme. « J’écris cette lettre, disait-il à un ami, en prison et d’une main enchaînée, attendant ma condamnation à mort pour demain. [...] Lorsque, avec l’aide de Jésus-Christ, nous nous retrouverons dans la délicieuse paix de la vie future, vous apprendrez combien Dieu s’est montré miséricordieux envers moi et avec quelle efficacité il m’a soutenu au milieu de mes tentations et de mes épreuves 14. » GE3 85.5

Dans son triste cachot, il entrevit le triomphe de la véritable foi. Retournant en rêve dans sa chapelle de Prague où il avait prêché l’Évangile, il vit le pape et ses évêques effaçant les portraits du Christ qu’il avait peints sur ses murs. « Cette vision le plongea dans la détresse. Mais, le lendemain, il vit en rêve des peintres occupés à restaurer ces tableaux en plus grand nombre et en couleurs plus vives. Dès qu’ils eurent terminé leur tâche, ces peintres, qui étaient entourés d’une foule immense, s’exclamèrent: “Maintenant, les papes et les évêques peuvent venir: ils ne les effaceront plus jamais !” Le réformateur déclara, en racontant son rêve : “J’affirme avec certitude que l’image du Christ ne sera jamais effacée. Ils ont voulu la détruire; mais elle sera peinte de nouveau dans tous les cœurs par des prédicateurs bien meilleurs que moi.” 15 GE3 86.1

Pour la dernière fois, Jean Hus fut amené devant le Concile. C’était une vaste et brillante assemblée: l’empereur, les princes de l’Empire, les représentants des rois, les cardinaux, les évêques et les prêtres, ainsi qu’une immense foule venue en spectateurs des événements du jour. De toutes les parties de la chrétienté s’étaient rassemblés les témoins du premier des grands sacrifices marquant la longue lutte qui allait apporter la liberté de conscience. GE3 86.2

Sommé d’exprimer sa décision finale, Jean Hus répéta son refus d’abjurer. Fixant son regard pénétrant sur le monarque dont la parole donnée avait été si honteusement violée, il déclara: «J’ai décidé, de mon plein gré, de comparaître devant ce Concile, sous la protection publique et la foi de l’empereur ici présent 16 » Sigismond rougit violemment tandis que les yeux de toutes les personnes présentes dans cette assemblée se tournaient vers lui. GE3 86.3

La sentence ayant été prononcée, la cérémonie de dégradation commença. Les évêques revêtirent leur prisonnier des vêtements sacerdotaux. En les revêtant, celui-ci déclara: « On a revêtu notre Seigneur Jésus-Christ d’une robe blanche, pour l’insulter, lorsque le roi Hérode l’envoya devant Pilate 17. » Lorsqu’on l’exhorta encore une fois à se rétracter, il répondit, en se tournant vers le peuple : «Avec quel visage, contemplerais-je alors le ciel? Comment regarderais-je ces multitudes de personnes à qui j’ai prêché le pur Évangile ? Non ! Leur salut m’est plus précieux que ce pauvre corps, maintenant destiné à la mort. » On lui retira ses vêtements un par un, chaque évêque prononçant une malédiction en accomplissant sa partie de la cérémonie. Finalement, « on le coiffa d’une couronne ou mitre de papier de forme pyramidale sur laquelle étaient représentés des démons effrayants et avec le mot “hérésiarque” écrit sur le devant. “C’est avec joie, déclara Jean Hus, que je porterai cette couronne de honte par amour pour toi, ô Jésus, toi qui, pour moi, a porté une couronne d’épines.” ” GE3 86.4

Lorsqu’il fut ainsi revêtu, « les prélats déclarèrent: “Maintenant, nous livrons ton âme au diable.” “Et moi, répondit Jean Hus, levant les yeux vers le ciel, je remets mon esprit entre tes mains, ô Seigneur Jésus, car tu m’as racheté.” 18 GE3 86.5

Puis il fut livré aux autorités séculières et conduit au lieu d’exécution. Une immense procession le suivit: des centaines d’hommes en armes, des prêtres et des évêques somptueusement vêtus, et les habitants de Constance. Lorsqu’on l’eut attaché au bûcher et que tout fut prêt pour allumer le feu, on exhorta encore une fois le martyr à se sauver en renonçant à ses erreurs. « À quelles erreurs devrais-je renoncer ? répondit Jean Hus. Je ne me sais coupable d’aucune. Je prends Dieu à témoin que tout ce que j’ai écrit et prêché l’a été dans le but d’arracher les âmes au péché et à la perdition ; c’est pourquoi je confirmerai d’autant plus joyeusement par mon sang cette vérité que j’ai écrite et prêchée19.» Lorsque les flammes l’enveloppèrent, il se mit à chanter : « Jésus, Fils de David, aie compassion de moi 20 ! » Il continua à chanter jusqu’à ce que sa voix soit réduite au silence pour toujours. GE3 86.6

Ses ennemis eux-mêmes furent impressionnés par son comportement héroïque. Un papiste zélé, décrivant le martyre de Jean Hus et de Jérôme, qui mourut peu de temps après, déclara: « Ces deux hommes se comportèrent avec fermeté à l’approche de leur dernière heure. Ils se préparèrent pour le feu comme s’ils allaient assister à un festin de noces. Ils ne poussèrent aucun cri de douleur. Lorsque les flammes s’élevèrent, ils se mirent à chanter des cantiques ; et c’est à peine si la violence du feu réussit à faire taire leur voix 21. ” GE3 87.1

Lorsque le corps de Jean Hus fut totalement consumé, ses cendres, avec la terre sur laquelle elles reposaient, furent recueillies et jetées dans le Rhin, et ainsi transportées jusqu’à l’océan. Ses persécuteurs s’imaginaient vainement avoir extirpé les vérités qu’il avait prêchées. Ils ne se doutaient pas que les cendres transportées ce jour jusqu’à la mer allaient être comme une semence qui se répandrait dans tous les pays du monde et qui produiraient, dans des contrées encore inconnues, des fruits abondants sous la forme de témoins de la vérité. La voix qui avait parlé dans la salle du Concile de Constance avait éveillé des échos qui se feraient entendre dans tous les siècles à venir. Jean Hus n’était plus, mais les vérités pour lesquelles il était mort ne pourraient jamais périr. Son exemple de foi et de persévérance allait encourager des multitudes de gens à tenir ferme pour la vérité, face à la torture et à la mort. Son exécution avait démontré au monde entier la perfide cruauté de Rome. Sans le savoir, les ennemis de la vérité avaient fait progresser la cause qu’ils s’étaient vainement efforcés de détruire. GE3 87.2

Cependant, un autre bûcher allait être dressé à Constance. Le sang d’un autre témoin allait témoigner pour la vérité. Jérôme, en prenant congé de Jean Hus au moment de son départ pour le Concile, l’avait exhorté au courage et à la fermeté, déclarant que, s’il tombait dans quelque danger, il volerait lui-même à son secours. En apprenant l’emprisonnement du réformateur, son fidèle disciple se prépara immédiatement à tenir sa promesse. Il se mit en route pour Constance, sans sauf-conduit, et avec un seul compagnon. À son arrivée dans cette ville, il se rendit compte qu’il n’avait fait que s’exposer au danger sans pouvoir rien faire pour délivrer Jean Hus. Il s’enfuit de la ville, mais fut arrêté sur le chemin du retour et ramené à Constance, enchaîné et gardé par des soldats. Lors de sa première comparution devant le Concile, ses tentatives pour se justifier des accusations portées contre lui furent couvertes par ces cris : «Aux flammes ! Aux flammes 22 ! » Il fut jeté dans un cachot, enchaîné dans une position qui lui causait de grandes souffrances, et nourri au pain et à l’eau. Au bout de quelques mois de ces traitements cruels, il tomba malade et sa vie fut menacée. Ses ennemis, craignant qu’il leur échappe, le traitèrent avec moins de sévérité, tout en le laissant en prison pendant encore une année. GE3 87.3

La mort de Jean Hus n’avait pas produit ce qu’espéraient les papistes. Le non-respect de son sauf-conduit avait déchaîné une tempête d’indignation. Pensant ainsi suivre une politique plus sûre, le Concile décida, au lieu de brûler Jérôme, de le forcer, si possible, à se rétracter. On l’amena devant l’assemblée et on lui laissa le choix de se rétracter ou de mourir sur le bûcher. La mort au début de son emprisonnement aurait été un acte de miséricorde en comparaison des terribles souffrances qu’il avait endurées. Mais, affaibli par la maladie, par les rigueurs de la vie en prison, par la torture incessante de l’anxiété et de l’attente de ce qui allait suivre, séparé de ses amis et abattu par la mort de Jean Hus, le courage de Jérôme lui manqua, et il consentit à se soumettre au Concile. Il s’engagea à adhérer à la foi catholique et accepta les décisions du Concile condamnant les doctrines de Wycliffe et de Jean Hus, sans abandonner toutefois les « saintes vérités » qu’ils avaient enseignées 23. GE3 88.1

Par cet expédient, Jérôme avait tenté de faire taire la voix de sa conscience et d’échapper à son sort. Mais, dans la solitude de son cachot, il se rendit mieux compte de ce qu’il avait fait. Il pensa au courage et à la fidélité de Jean Hus, et, en contraste, médita sur son propre reniement de la vérité. Il pensa au divin Maître qu’il s’était engagé à servir et qui, par amour pour lui, avait subi la mort sur la croix. Avant sa rétractation, il avait trouvé un grand réconfort, au milieu de toutes ses souffrances, dans l’assurance de la faveur divine ; mais, maintenant, le remords et les doutes torturaient son âme. Il savait qu’avant d’être en paix avec Rome, il devrait lui faire de nouvelles concessions. Le sentier sur lequel il avait posé le pied ne pouvait le mener qu’à une apostasie totale. Il prit alors la résolution de ne pas renier son Seigneur pour échapper à une brève période de souffrance. GE3 88.2

Il fut bientôt conduit de nouveau devant le Concile. Sa soumission n’avait pas encore satisfait ses juges. Leur soif de sang, attisée par la mort de Jean Hus, réclamait de nouvelles victimes. Ce n’était que par un abandon sans réserve de la vérité que Jérôme pouvait sauver sa vie. Mais il avait décidé de confesser sa foi et de suivre son frère dans le martyre et dans les flammes du bûcher. GE3 88.3

Il revint sur sa précédente rétractation et, en tant que condamné à mort, sollicita avec ferveur la possibilité de présenter sa défense. Craignant les effets de ses paroles, les prélats insistèrent pour qu’il se contente d’affirmer ou de nier la véracité des accusations portées contre lui. Jérôme protesta contre une telle cruauté et une telle injustice: « Vous m’avez tenu enfermé pendant trois cent quarante jours dans une horrible prison, leur dit-il, au milieu de la saleté, de la fétidité et de la puanteur, totalement dénué de tout; puis, vous m’amenez au milieu de vous, et, tout en prêtant l’oreille à mes ennemis mortels, vous refusez de m’écouter. [...] Si vous êtes réellement des hommes sages, et les lumières de ce monde, veillez à ne pas pécher contre la justice. Quant à moi, je ne suis qu’un faible mortel; ma vie a peu d’importance; lorsque je vous exhorte à ne pas prononcer une sentence injuste, je parle moins pour moi-même que pour vous 24. ” GE3 88.4

Sa requête fut finalement accordée. En présence de ses juges, Jérôme s’agenouilla et pria pour que l’Esprit divin dirige ses pensées et ses paroles et pour qu’il ne dise rien qui soit contraire à la vérité ou indigne de son Maître. Ce jour-là s’accomplit pour lui la promesse de Jésus aux premiers disciples: «Vous serez menés, à cause de moi, devant des gouverneurs et devant des rois. [...] Quand on vous livrera, ne vous inquiétez ni de la manière dont vous parlerez ni de ce que vous direz; ce que vous direz vous sera donné à ce moment même ; car ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous 25. ” GE3 88.5

Les paroles de Jérôme produisirent l’étonnement et l’admiration de ses ennemis eux-mêmes. Il avait été emmuré dans un cachot pendant toute une année, dans l’incapacité de lire, ou même de voir, en proie à de grandes souffrances physiques et à une grande angoisse morale. Cependant, ses arguments furent présentés avec autant de clarté et de puissance que s’il avait eu la possibilité d’étudier sa défense sans être dérangé. Il mentionna à ses auditeurs la longue lignée de saints hommes qui avaient été condamnés par d’injustes juges. Presque à chaque génération, il y avait eu des hommes qui, en cherchant à élever les gens de leur époque, avaient subi des reproches et été rejetés, puis reconnus ultérieurement comme dignes des plus grands honneurs. Le Christ lui-même avait été condamné comme malfaiteur par un tribunal injuste. GE3 89.1

Lors de sa rétractation, Jérôme avait reconnu la justice de la sentence qui avait condamné Jean Hus; il déclara maintenant s’en repentir et rendit témoignage à l’innocence et à la sainteté du martyr. «Je le connais depuis l’enfance, dit-il. C’était un excellent homme, juste et saint; il a été condamné malgré son innocence. [...] Moi aussi, je suis prêt à mourir; je ne reculerai pas devant les tourments que mes ennemis et de faux témoins me préparent. Ils devront un jour rendre compte de leurs impostures devant le grand Dieu que rien ne peut tromper 26.” GE3 89.2

Se reprochant son reniement de la vérité, Jérôme continua : « De tous les péchés que j’ai commis depuis ma jeunesse, aucun ne pèse si lourdement sur mon esprit et ne me cause d’aussi poignants remords que celui que j’ai commis en cet endroit fatal, lorsque j’ai approuvé la sentence inique prononcée contre Wycliffe et contre ce saint martyr, Jean Hus, mon maître et mon ami. Oui ! Je le confesse de tout mon cœur et déclare avec horreur que j’ai honteusement failli lorsque, par crainte de la mort, j’ai condamné leurs doctrines. Je supplie donc [...] le Dieu tout-puissant de daigner me pardonner mes péchés, et particulièrement celui-ci, le plus odieux de tous.” Pointant du doigt ses juges, il leur dit fermement: «Vous avez condamné Wycliffe et Jean Hus non pour avoir ébranlé la doctrine de l’Église, mais simplement parce qu’ils signalaient avec réprobation les scandales au sein du clergé: la pompe, l’orgueil et tous les vices des prélats et des prêtres. Ce qu’ils ont affirmé est irréfutable, je pense et parle comme eux.” GE3 89.3

Ses paroles furent interrompues. Les prélats, tremblant de rage, s’écrièrent: « Quel besoin avons-nous encore de preuves supplémentaires ? Nous contemplons de nos propres yeux le plus obstiné des hérétiques ! » GE3 89.4

Sans se laisser démonter par cette tempête, Jérôme répondit : « Quoi ! Supposez-vous que j’ai peur de mourir ? Vous m’avez tenu enfermé pendant toute une année dans un redoutable cachot, plus horrible que la mort elle-même. Vous m’avez traité plus cruellement qu’un Turc, qu’un Juif ou qu’un païen, et ma chair a littéralement pourri vivante sur mes os. Cependant, je ne me plains pas; car les lamentations ne conviennent pas à un homme de cœur et d’esprit. Mais je ne peux m’empêcher d’exprimer mon étonnement devant une si grande barbarie infligée à un chrétien 27. ” GE3 89.5

Une furieuse clameur éclata de nouveau, et Jérôme fut ramené en hâte dans sa prison. Il y eut néanmoins quelques personnes, dans cette assemblée, sur lesquelles ses paroles avaient produit une profonde impression, et qui souhaitaient lui sauver la vie. Des dignitaires de l’Église lui rendirent visite et l’exhortèrent à se soumettre au Concile. On fit miroiter à ses yeux les perspectives les plis brillantes comme récompense de sa renonciation à son opposition à Rome. Mais, comme son Maître lorsque Satan lui offrit la gloire de ce monde, Jérôme demeura ferme. GE3 90.1

« Prouvez-moi par les Saintes Écritures que je suis dans l’erreur, dit-il, et j’abjurerai. » GE3 90.2

« Les Saintes Écritures! s’exclama l’un de ses tentateurs. Doit-on donc tout juger par elles? GE3 90.3

Qui peut les comprendre jusqu’à ce que l’Église les ait interprétées?» GE3 90.4

« Les traditions des hommes sont-elles plus dignes de foi que l’Évangile de notre Sauveur ? répondit Jérôme. Paul n’a pas exhorté ceux auxquels il écrivait d’écouter les traditions des hommes, mais a dit : Sondez les Écritures. » GE3 90.5

« Hérétique! fut la réponse. Je me repens d’avoir plaidé si longtemps avec vous. Je vois que vous êtes poussé par le démon! 28 GE3 90.6

Peu de temps après, sa condamnation fut prononcée. Il fut conduit à l’endroit même où Jean Hus avait donné sa vie. Il chanta tout le long du chemin, le visage rayonnant de joie et de paix. Son regard était fixé sur le Christ. Pour lui, la mort avait perdu toute terreur. Lorsque le bourreau, au moment d’allumer le bûcher, passa derrière lui, il s’exclama: « Viens devant sans crainte! Allume le feu devant moi ! Si j’avais eu peur, je ne serais pas ici !” GE3 90.7

Ses dernières paroles, prononcées pendant que les flammes s’élevaient autour de lui, furent une prière : « Seigneur, Père tout-puissant, s’écria-t-il, aie pitié de moi et pardonne mes péchés ; car tu sais que j’ai toujours aimé ta vérité 29. » Sa voix cessa de se faire entendre, mais ses lèvres continuèrent à murmurer sa prière. Lorsque le feu eut fait son œuvre, les cendres du martyr, avec la terre sur laquelle elles reposaient, furent rassemblées et, comme celles de Jean Hus, jetées dans le Rhin. GE3 90.8

Ainsi périrent les fidèles porte-flambeaux de Dieu. Mais la lumière des vérités qu’ils avaient proclamées, ainsi que l’éclat de leur héroïque exemple, ne pouvaient pas être éteintes. Autant essayer de faire tourner le soleil en sens inverse de sa course que d’empêcher de poindre l’aurore de ce jour qui commençait à se lever sur le monde. GE3 90.9

L’exécution de Jean Hus avait soulevé en Bohême une tempête d’indignation et d’horreur. Toute la nation eut le sentiment qu’il avait été victime de la malice des prêtres et de la trahison de l’empereur. On déclara qu’il avait été un fidèle docteur de la vérité, et on accusa de meurtre le Concile qui l’avait condamné à mort. Ses doctrines attirèrent maintenant plus d’attention que jamais auparavant. Les édits papaux avaient jeté aux flammes les écrits de Wycliffe; mais ceux qui avaient échappé à la destruction furent maintenant retirés de leurs cachettes et étudiés en rapport avec la Bible ou avec les passages bibliques qu’il était possible de se procurer. De nombreuses personnes furent ainsi amenées à accepter la foi réformée. GE3 90.10

Les meurtriers de Jean Hus ne restèrent pas les bras croisés à contempler le triomphe de sa cause. Le pape et l’empereur s’unirent pour détruire ce mouvement, et les armées de Sigismond déferlèrent sur la Bohême. GE3 91.1

Mais un libérateur fut suscité. Peu de temps après le début de la guerre, Ziska perdit complètement la vue, mais il était cependant l’un des généraux les plus compétents de son siècle. Il devint alors le chef des Bohémiens. Se confiant dans l’aide de Dieu et dans la justice de sa cause, ce peuple résista aux plus puissantes armées envoyées contre lui. À plusieurs reprises, l’empereur, levant de nouvelles troupes, envahit la Bohême, mais fut chaque fois honteusement repoussé. Les Hussites avaient surmonté la crainte de la mort. Rien ne pouvait leur résister. Quelques années après le début de la guerre, le brave Ziska mourut. Il fut remplacé par Prokop, un général tout aussi brave et tout aussi habile, et, qui dans certains domaines, se montra un chef plus compétent. GE3 91.2

Les ennemis des Bohémiens, sachant que le guerrier aveugle était mort, jugèrent le moment propice pour récupérer tout ce qu’ils avaient perdu. Le pape proclama alors une croisade contre les Hussites. De nouveau, une immense armée se précipita sur la Bohême, mais ce ne fut que pour subir une terrible défaite. Une autre croisade fut proclamée. Dans tous les pays d’Europe soumis à la papauté, on rassembla des hommes, de l’argent et des munitions pour la guerre. Des multitudes se rangèrent sous la bannière papale, assurées qu’enfin on allait exterminer les Hussites hérétiques. Confiante en sa victoire, cette immense armée pénétra en Bohême. Le peuple se rassembla pour la repousser. Les deux armées s’avancèrent l’une vers l’autre, jusqu’à ce que seule une rivière les séparât. « Les Croisés étaient de beaucoup supérieurs en nombre ; mais, au lieu de traverser la rivière et de livrer bataille aux Hussites qu’ils étaient venus de si loin pour combattre, ils restèrent à regarder en silence ces guerriers 30. » Soudain, une mystérieuse panique s’empara d’eux. Sans frapper un seul coup, leur puissante armée se débanda et se dispersa comme si un pouvoir invisible l’avait dissipée. L’armée hussite massacra un grand nombre de fuyards en poursuivant les fugitifs. Un immense butin tomba entre les mains des vainqueurs, de sorte que cette guerre, au lieu d’appauvrir les Bohémiens, les enrichit. GE3 91.3

Quelques années plus tard, sur l’ordre d’un nouveau pape, une autre croisade fut encore organisée. Comme auparavant, tous les pays d’Europe soumis à la papauté fournirent des hommes et des moyens matériels. On promettait de magnifiques récompenses à ceux qui s’engageraient dans cette périlleuse entreprise. On assurait à chacun des Croisés le plein pardon de tous les délits, même les plus odieux. On promettait une belle récompense dans le ciel à ceux qui tomberaient pendant cette guerre, et les survivants devaient récolter honneur et richesses sur le champ de bataille. De nouveau, une immense armée fut rassemblée, et, fran-chissant la frontière, pénétra en Bohême. Les troupes hussites se replièrent devant elle, attirant ainsi les envahisseurs de plus en plus profondément à l’intérieur du pays, leur laissant croire que la victoire leur appartenait déjà. L’armée de Prokop s’arrêta enfin et, se tournant contre l’ennemi, s’avança pour lui livrer bataille. Les Croisés, découvrant maintenant leur erreur, se tinrent dans leur camp, attendant l’assaut. Lorsqu’ils entendirent le bruit de l’armée hussite qui approchait, avant même qu’elle soit en vue, la panique s’empara d’eux de nouveau. Princes, généraux et simples soldats, jetant leur armure, s’enfuirent dans toutes les directions. C’est en vain que le légat du pape, qui dirigeait cette expédition, s’efforça de rallier ses troupes terrifiées et désorganisées. Malgré tous ses efforts, il fut lui-même entraîné dans le flot des fugitifs. La déroute fut totale et un énorme butin tomba de nouveau entre les mains des vainqueurs. GE3 91.4

Ainsi, pour la seconde fois, une vaste armée, envoyée par les plus puissantes nations d’Europe, composée d’hommes courageux et aguerris, entraînés et équipés pour la bataille, s’enfuit sans frapper un seul coup devant les défenseurs d’une petite nation qui avait été faible jusqu’à ce moment. C’était là une manifestation de la puissance divine. Les envahisseurs avaient été frappés par une terreur surnaturelle. Celui qui renversa les armées de Pharaon dans la mer Rouge, qui mit en fuite les armées de Madian devant Gédéon et ses trois cents hommes, qui, en une nuit, détruisit les armées du fier Assyrien avait de nouveau étendu la main pour abattre la puissance de l’oppresseur. « C’est là qu’ils seront saisis de frayeur, sans motif de frayeur ; Dieu dispersera les ossements de celui qui dresse son camp contre toi ; tu les rendras honteux, car Dieu les a rejetés 31. ” GE3 92.1

Les dirigeants papaux, désespérant de pouvoir conquérir par la force, eurent recours enfin à la diplomatie. Un compromis fut signé. Tout en concédant apparemment aux Bohémiens la liberté de conscience, celui-ci les livrait en réalité au pouvoir de Rome. Les Bohémiens avaient posé quatre conditions à la paix avec Rome: la libre prédication de la Bible; le droit pour tous les membres de l’Église de participer à la fois au pain et au vin de la communion et l’usage de la langue du pays dans le culte ; l’exclusion du clergé de toute fonction et autorité séculières ; et, en cas de délit, la juridiction des tribunaux civils devait s’appliquer au clergé comme aux laïcs. Enfin, les autorités papales, « acceptèrent de souscrire aux quatre conditions des Hussites, mais précisèrent que le droit de les expliquer, c’est-à-dire de déterminer leur sens exact, appartiendrait au Concile; en d’autres termes, au pape et à l’Empereur 32.” C’est sur cette base qu’un traité fut conclu. Rome obtenait par la ruse et la fraude ce qu’elle n’avait pas réussi à obtenir par le conflit. En effet, en donnant sa propre interprétation des conditions des Hussites, et de la Bible, elle pouvait pervertir leur sens pour arriver à ses fins. GE3 92.2

Une grande partie des Bohémiens, se rendant compte que ce compromis trahissait leurs libertés, ne purent consentir à cet accord. Des dissensions et des divisions apparurent, menant à des conflits armés et à des effusions de sang. Dans ce conflit, le noble Prokop tomba, et les libertés de la Bohême périrent avec lui. GE3 92.3

L’empereur Sigismond, qui avait trahi Jean Hus et Jérôme, devint alors roi de Bohême. Sans tenir compte du serment qui l’engageait à protéger les droits des Bohémiens, il travailla à consolider le pouvoir de la papauté. Mais sa soumission à Rome ne lui fut guère profitable. Pendant vingt ans, il avait mené une vie de labeurs et de dangers. Ses armées avaient été dévastées et son trésor vidé par une lutte longue et stérile. Après avoir régné une seule année, il mourut, laissant son royaume au bord de la guerre civile et léguant à la postérité un nom marqué par l’infamie. GE3 92.4

Les troubles, les conflits et les effusions de sang se prolongèrent. De nouveau, des armées étrangères envahirent la Bohême, et des dissensions internes continue- rent à bouleverser cette nation. Ceux qui restèrent fidèles à l’Évangile furent en butte à une sanglante persécution. GE3 92.5

Tandis que les anciens frères, qui avaient accepté le compromis avec Rome, intégraient les erreurs de celle-ci, ceux qui adhéraient encore à l’ancienne foi se constituèrent en Église distincte, qui prit le nom de « Frères unis ». Cet acte attira sur eux la malédiction venant de tous les horizons. Cependant, ils demeurèrent fermes et inébranlables. Forcés de chercher refuge dans les bois et les cavernes, ils continuèrent à s’assembler pour lire la Bible et adorer Dieu. GE3 93.1

Par des messagers envoyés secrètement dans différents pays, ils apprirent que, ici et là, dans différentes villes se trouvaient « des confesseurs de la vérité isolés, objets de la persécution comme eux-mêmes ; et que, dans les montagnes des Alpes, existait une ancienne Église, bâtie sur le fondement des Écritures et protestant contre les corruptions idolâtres de Rome 33 ». Ils accueillirent cette nouvelle avec une grande joie et entrèrent en correspondance avec les chrétiens vaudois. GE3 93.2

Fermement attachés à l’Évangile, les Bohémiens continuèrent, pendant la nuit de leur persécution, à tourner les yeux vers l’horizon, dans leur heure la plus sombre, comme des hommes qui attendent le matin. « Ils vivaient à une malheureuse époque; mais [...] ils se souvenaient des paroles prononcées d’abord par Jean Hus, puis répétées par Jérôme, disant qu’il faudrait voir s’écouler encore un siècle avant que le jour puisse poindre. Ces paroles furent pour les Taborites [Hussites] ce que furent les paroles de Joseph pour les tribus dans la maison de servitude: “Je vais mourir. Mais Dieu interviendra en votre faveur; il vous fera monter” 34. » « La fin du XVe siècle vit la croissance lente, mais sûre, des Églises des Frères. Bien qu’ils fussent loin de pouvoir vivre en paix, ils jouirent cependant d’une tranquillité relative. Au début du XVIe siècle, leurs Églises en Bohême et en Moravie étaient au nombre de deux cents 35. » « Il y eut un reste considérable qui échappa à la fureur destructrice du feu et de l’épée, et qui put voir poindre l’aurore du jour prédit par Jean Hus 36 » GE3 93.3