La Vie de Jésus-Christ

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Chapitre 44 — Jésus devant le Sanhédrin

La bande armée parcourut avec son prisonnier les rues sombres et étroites de Jérusalem, éclairée par des torches et des lanternes, car il était encore de grand matin, et il faisait très sombre. Au milieu des insultes et des moqueries, le Sauveur fut conduit jusqu'au palais de Caïphe, le souverain sacrificateur. Là il fut grossièrement accusé par ses persécuteurs, interrogé sur un ton narquois par le sacrificateur, puis outragé par toute l'assemblée; mais pendant que Jésus subissait cet examen moqueur, son âme fut transpercée par une douleur plus cuisante que celles que ses ennemis pouvaient lui causer. Ce fut lorsqu'il entendit son disciple aimé le renier avec imprécations.1 VJC 448.1

Après avoir déserté leur Maître dans le jardin, deux des disciples avaient repris leur présence d'esprit, et essayé de suivre à distance la troupe qui s'était emparée de Jésus. Ces disciples étaient Pierre et Jean. Le sacrificateur reconnut Jean, qui était connu comme disciple de Jésus, et l'admit dans la cour où le Sauveur devait subir son interrogatoire, parce qu'il espérait que Jean, étant témoin de l'humiliation de son chef, serait affecté des mêmes sentiments que ses ennemis, et repousserait l'idée qu'un homme qui se soumettait à un tel opprobre fût le Fils de Dieu. Jean ayant obtenu l'autorisation d'entrer, parla en faveur de Pierre, son compagnon, et obtint le même privilége pour lui. VJC 448.2

C'était à l'heure la plus froide de la nuit, celle qui précède le lever du jour, et on avait fait du feu dans la cour. Une troupe de gens se groupèrent autour du feu, et Pierre y prit aussi place, pour se chauffer. Il désirait ne pas être reconnu comme l'un des disciples de Jésus, et il pensait, en se mêlant indifféremment avec la troupe, être pris pour un de ceux qui avaient amené Jésus. VJC 448.3

Mais la lumière du feu ayant éclairé le visage de Pierre, la portière lui jeta un regard interrogateur; elle avait remarqué qu'il était entré avec Jean, et en conclut qu'il devait être un des disciples de Christ. Elle l'interrogea d'un ton railleur: “N'estu pas aussi des disciples de cet homme?” Pierre fut surpris et confus, car tous les yeux s'étaient arrêtés sur lui. Il prétendit ne pas la comprendre; mais elle persista à dire à ceux qui étaient présents que cet homme était avec Jésus. Pierre, obligé de répondre, dit avec irritation: “Femme, je ne le connais point.” C'était le premier reniement et immédiatement le coq chanta. O Pierre! as-tu si tôt honte de ton Maître! si tôt renié lâchement ton Seigneur! Dans son humiliation, le Sauveur est déshonoré et abandonné par le plus zélé de ses disciples. VJC 449.1

D'abord, Pierre avait désiré ne point être reconnu; et, prenant un air d'indifférence, il s'était placé sur le terrain de l'ennemi, et avait bientôt succombé à la tentation de Satan. Il avait l'air de ne point se soucier du jugement de son Maître, tandis qu'en réalité son cœur était brisé de douleur à l'ouïe des moqueries et des insultes cruelles, et à la vue des mauvais traitements que son Maître souffrait. En outre, il était surpris et irrité de ce que Jésus humiliât ses disciples et lui-même, au point de subir passivement de tels traitements. Toutes ces émotions l'agitant, il lui fut difficile de conserver son air d'indifférence. Il y avait en lui quelque chose de contraint, de gêné, lorsqu'il essaya, pour cacher ses vrais sentiments, de se joindre aux persécuteurs de Jésus dans leurs plaisanteries malséantes. VJC 449.2

Il commettait un acte mensonger; et tout en essayant de parler d'une manière indifférente, il ne pouvait retenir ses expressions d'indignation à la vue des mauvais traitements dont on abreuvait son Maître. C'est pourquoi l'attention se porta sur lui, et il fut de nouveau accusé d'être un disciple de Jésus. Il s'écria alors avec serment: “Je ne connais pas cet homme.” VJC 449.3

Un des serviteurs du souverain sacrificateur, qui était parent de l'homme auquel Pierre avait coupé l'oreille, lui demanda: “Ne t'ai-je pas vu dans le jardin avec lui?” “Tu es assurément de ces gens-là, car tu es Galiléen, et ton langage est semblable au leur.” “Alors il commença à faire des imprécations et à jurer, disant: Je ne connais point cet homme, dont tu parles. Et le coq chanta pour la seconde fois; et Pierre se ressouvint de la parole que Jésus lui avait dite: Avant que le coq ait chanté deux fois, tu me renieras trois fois. Et étant sorti promptement, il pleura.”1 Pendant que les honteux serments étaient encore sur les lèvres du disciple, que la voix du coq résonnait encore à ses oreilles, le Sauveur se détourna de ses juges menaçants pour jeter un regard sur son pauvre disciple. En ce même moment, les yeux de Pierre se fixaient involontairement sur son Maître. Il lut sur son aimable visage une pitié et un chagrin profonds; mais aucune trace de colère. VJC 449.4

Pierre fut repris dans sa conscience; la mémoire lui revint, et il se rappela la promesse qu'il avait faite quelques heures auparavant, qu'il suivrait son Maître en prison et même à la mort. Il se souvint de l'impression douloureuse que lui avait fait éprouver, dans la chambre haute, la déclaration du Sauveur qu'en cette même nuit il renierait trois fois son Maître. Pierre venait de déclarer qu'il ne connaissait pas Jésus, mais il comprenait maintenant plein d'un amer chagrin combien son Seigneur le connaissait, et avec quelle sagacité il avait lu son cœur, dont il ne connaissait pas lui-même la fausseté. Il gémit dans son esprit lorsqu'il comprit que non seulement son Maître endurait l'amertume de l'humiliation dont ses ennemis l'abreuvaient; mais qu'il souffrait encore d'être déshonoré par un de ses disciples qui l'avait abandonné et renié à l'heure de l'épreuve. VJC 450.1

Le regard de Christ renfermait des volumes pour son disciple repentant. Celui-ci y lisait le chagrin, l'amour et le pardon. Un flot de choses lui revenaient en mémoire. Il se rappela la tendre miséricorde du Sauveur; sa bonté et son support; la patience avec laquelle il avait traité ses disciples. Il se souvint de l'avertissement que Jésus lui avait donné: “Simon! Simon! voici, Satan a demandé à vous cribler comme on crible le blé; mais j'ai prié pour toi que ta foi ne défaille point.”1 Il réfléchit avec horreur à sa basse ingratitude, à son manque de droiture et à son parjure. Il regarda de nouveau son Maître, et vit une main sacrilége levée pour le frapper au visage. Incapable de supporter plus longtemps cette vue, il s'élança hors de la cour le cœur brisé. VJC 450.2

Il s'enfuit dans la solitude et les ténèbres sans s'inquiéter où il allait. A la fin, il se trouva dans le jardin de Gethsémané, où, peu d'instants auparavant, il avait dormi, tandis que le Sauveur luttait contre les puissances des ténèbres. Le visage de son Seigneur souffrant, taché de sueur de sang, comprimé par la douleur, se présenta à lui. Il se souvint avec de cuisants remords que Jésus avait pleuré et avait prié seul dans l'angoisse pendant que ceux qui auraient dû le soutenir pendant cette heure d'épreuve, dormaient. Il se rappela cette recommandation solennelle: “Veillez et priez, de peur que vous ne tombiez dans la tentation.” La scène qui s'était passée quelques heures auparavant se présenta vivement à son esprit. Il était de nouveau témoin des pleurs et des gémissements de Jésus. Son cœur saignait, et était torturé à la pensée d'avoir ajouté le plus lourd fardeau à l'humiliation et aux souffrances du Sauveur. Il tomba prosterné à la place même où son Seigneur avait fléchi sous le poids inexprimable de la malédiction. VJC 451.1

La première faute de Pierre avait été de dormir lorsque Christ lui avait commandé de veiller et de prier. Au moment le plus critique, lorsque le Fils de Dieu avait eu besoin de sa sympathie et de ses prières ardentes, il avait été incapable de les lui accorder. Ce fut une grande perte pour les disciples d'avoir dormi; car Jésus désirait les fortifier pour le moment où leur foi serait soumise à une si rude épreuve. S'ils avaient passé ce triste moment dans le jardin à veiller avec leur cher Sauveur, et à prier Dieu, Pierre n'aurait point été abandonné à ses propres forces, et n'aurait point renié son Seigneur. VJC 451.2

Cette veille importante aurait dû être employée par les disciples à lutter noblement, et à prier; ce qui leur eût donné la force d'être témoins de la terrible agonie du Fils de Dieu. Comme ils devaient voir ses souffrances sur la croix, cela les eût préparés à comprendre en quelque sorte la nature de l'angoisse excessive qu'il endurait. Ils auraient pu mieux se rappeler les paroles qu'il leur avait dites concernant ses souffrances, sa mort et sa résurrection; et au milieu de la tristesse de cette heure d'épreuve, quelques rayons de lumière eussent éclairé les ténèbres et soutenu leur foi. Christ leur avait dit ces choses avant qu'elles arrivassent. Il savait quelle puissance le prince des ténèbres mettrait en jeu pour paralyser les sens de ses disciples au moment où ils devraient veiller et prier. VJC 451.3

Lorsque Jean entra dans le palais de Caïphe, il n'essaya point de cacher qu'il était un des disciples de Jésus. Il ne se mêla point aux hommes grossiers qui abreuvaient son Maître d'insultes et de moqueries. On ne lui adressa point de questions, car il n'essaya pas de se faire passer pour ce qu'il n'était pas, s'exposant à être soupçonné. Il s'efforça de se retirer dans un lieu où la foule ne l'observerait point, mais tout en étant aussi près de Jésus qu'il lui fût possible de l'être. De ce lieu, il pouvait entendre et voir tout ce qui se passait concernant le jugement de son Seigneur. VJC 452.1

Si Pierre avait eu à combattre pour son Maître, il se serait montré un hardi et courageux soldat; mais il perdit tout courage lorsqu'un regard moqueur se tourna vers lui. Il est bien des gens qui n'hésiteraient point à s'engager dans une lutte active pour leur Seigneur, et qui renieront leur foi s'ils sont exposés au ridicule de leurs ennemis. Ils se placent sur le chemin de la tentation lorsqu'ils se joignent à ceux qu'ils devraient éviter. Ils invitent ainsi l'ennemi à les tenter, et sont poussés à faire et à dire ce dont ils ne se seraient jamais rendus coupables dans d'autres circonstances. Le disciple de Christ qui, de nos jours, cache sa foi par crainte des souffrances et des moqueries, renie tout autant son Maître que le fit Pierre dans la maison de Caïphe. Il y a toujours des gens qui se vantent de leur liberté de pensées et d'actions, et qui rient des scrupules de conscience de celui qui craint de mal agir. Pourtant, si ces personnes justes renoncent à leur foi, elles sont méprisées par ceux-là même qui ont été les agents de Satan pour les tenter et les perdre. VJC 452.2

Pierre, aussi bien que Jean, vit une grande partie du faux semblant de jugement que l'on faisait subir à Jésus. Il était nécessaire de donner un air de légalité à ce jugement; mais on l'entourait d'un grand secret, de crainte que le peuple ne fût informé de ce qui se passait, et ne vînt défendre Jésus, en rendant témoignage aux miracles qu'il avait faits. Cela eût attiré l'indignation du peuple sur le Sanhédrin; leurs actes eussent été condamnés et annulés; et Jésus eût été libéré pour recevoir de nouveau les hommages du peuple. VJC 453.1

Pendant qu'on réunissait les membres du Sanhédrin, Anne, et Caïphe, le souverain sacrificateur, questionnaient Jésus dans le but d'obtenir de lui quelque parole dont ils pussent se servir contre lui. Ils présentèrent deux accusations par lesquelles ils espéraient le condamner. La première accusation était qu'il troublait la paix, et était à la tête d'une rébellion. Si cette accusation pouvait être reconnue vraie, il serait condamné par les autorités romaines. L'autre accusation portait que Jésus était un blasphémateur. Si cette dernière était prouvée, cela assurerait sa condamnation par les Juifs. VJC 453.2

Le souverain sacrificateur questionna Jésus concernant sa doctrine, et les disciples qui croyaient en lui. Jésus répondit brièvement: “J'ai parlé ouvertement à tout le monde; j'ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, où les Juifs s'assemblent de toutes parts, et je n'ai rien dit en cachette. Pourquoi m'interroges-tu? Interroge ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit; ces gens-là savent ce que j'ai dit.”1 VJC 453.3

Jésus savait très bien que celui qui le questionnait désirait obtenir de lui quelques paroles qui éveillassent les craintes des autorités romaines, en leur faisant croire que Jésus cherchait à former une société secrète dans le but d'établir finalement un nouveau royaume. C'est pourquoi Jésus lui déclare positivement qu'il n'avait jamais eu de secret concernant son but ou ses doctrines. Se tournant vers celui qui l'interrogeait, il lui dit d'un ton et d'une manière qui le surprirent: “Pourquoi m'interroges-tu?” Les sacrificateurs et les gouverneurs n'avaient-ils pas envoyé des espions pour surveiller tous ses mouvements, et rapporter chacune de ses paroles? N'avaientils pas été présents à chaque rassemblement du peuple, et n'avaient-ils pas informé les sacrificateurs de tout ce qu'il avait dit et de tout ce qu'il avait fait? “Interroge ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit”; ces paroles étaient un reproche pour Anne, qui l'avait poursuivi pendant des mois, cherchant à le faire tomber dans un piége, et à l'amener devant un tribunal secret où le peuple n'aurait aucun accès, afin d'obtenir par le parjure ce qu'il lui était impossible de gagner par adresse. VJC 453.4

Les paroles de Jésus étaient si pénétrantes que le souvevain sacrificateur comprit que son prisonnier lisait jusqu'au fond de son âme. Quoique Anne fût rempli de haine en entendant les paroles de Jésus, il déguisa sa pensée jusqu'à ce qu'il eût une meilleure occasion de donner lieu à sa méchanceté et à sa jalousie. Mais un des serviteurs du souverain sacrificateur, prétendant que son maître n'était point traité avec le respect qui lui était dû, frappa Jésus au visage en lui disant: “Est-ce ainsi que tu réponds au souverain sacrificateur?” A cette insultante question et à ce soufflet, Jésus répondit doucement: “Si j'ai mal parlé, fais voir ce que j'ai dit de mal; et si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu?” VJC 454.1

La Majesté du ciel aurait pu appeler à son aide des légions d'anges pour la protéger contre la malignité de ses ennemis; mais c'était sa mission, comme substitut de l'homme, de supporter avec douceur les coups et les fouets, laissant aux enfants des hommes un exemple de support et de patience. Ceux en la puissance desquels Jésus était tombé, n'avaient aucun respect de sa sublime patience. Le voyant ainsi supporter passivement leurs outrages, ils l'abreuvèrent des insultes les plus viles que leurs cœurs corrompus pussent inventer. VJC 454.2

Lorsque tout le conseil fut assemblé dans la cour du jugement, Caïphe prit sa place comme président de l'assemblée. Cet homme avait toujours regardé Jésus comme son rival. La simplicité du Sauveur, unie à son éloquence, avaient attiré de grandes foules, qui avaient écouté ses enseignements empreints d'une sagesse qu'on n'avait jamais entendu sortir des lèvres des souverains sacrificateurs ou des scribes. L'ardent désir du peuple d'entendre Jésus, et sa disposition à accepter ses doctrines, avaient provoqué l'amère jalousie du souverain sacrificateur. VJC 454.3

Jésus était debout, calme et tranquille, devant le souverain sacrificateur, pendant que les yeux de la foule étaient arrêtés sur lui, et que la plus grande excitation régnait autour de lui. Pendant un moment, Caïphe regarda son captif, frappé d'une admiration soudaine à la vue de la dignité de sa contenance. Il se sentit convaincu que cet homme était en rapport avec Dieu; mais aussitôt il bannit cette pensée en se moquant des suggestions de son esprit. Immédiatement, sa voix s'éleva, et s'adressant à Jésus d'un ton moqueur et hautain, il lui demanda d'accomplir devant lui un de ces puissants miracles qui lui avaient donné une telle réputation parmi le peuple; mais ces paroles ne firent pas plus d'effet sur le Sauveur que s'il ne les avait pas entendues. VJC 455.1

Le peuple comparait involontairement l'excitation et la malice que manifestaient Anne et Caïphe, avec le port calme et majestueux de Jésus. Une sainte influence semblait émaner du Sauveur, et pénétrer l'atmosphère qui l'entourait. La question s'éleva même dans les esprits de la multitude endurcie qui était présente, si cet homme, qui était semblable à un Dieu, devait être jugé comme un criminel ordinaire. Caïphe, s'apercevant de l'influence qu'exerçait Jésus, précipita le jugement. Il était assis sur sa chaise judiciaire pendant que Jésus se tenait à ses pieds. De chaque côté, se tenaient les juges et ceux qui étaient spécialement intéressés au jugement. Les soldats romains étaient rangés sur la plate-forme, en dessous de la chaise judiciaire. VJC 455.2

Le souverain sacrificateur dans ses pompeux vêtements, avec sa tiare étincelante et son précieux pectoral, sur lequel la lumière de la gloire de Dieu avait autrefois souvent réfléchi se leva. Les vêtements grossiers de Jésus contrastaient étrangement avec cette pompe. Et pourtant, celui qui était ainsi pauvrement vêtu, avait régné à la cour du ciel, couronné et revêtu de magnificence, au milieu des saints anges. Dans ce moment, il était au pied d'un trône, siége judiciaire terrestre, pour y être jugé. VJC 455.3

Les sacrificateurs et les gouverneurs réunis en conseil avaient décidé de condamner Jésus, qu'ils pussent fournir ou non des preuves de culpabilité. Il était nécessaire de présenter contre lui des accusations qui le fissent regarder comme criminel par le pouvoir romain, faute de quoi il leur était impossible d'agir légalement contre lui. Ses accusateurs pouvaient trouver assez de gens qui témoigneraient qu'il avait censuré les sacrificateurs et les scribes, qu'il les avait appelés hypocrites et meurtriers; mais cela n'aurait eu aucun poids auprès des Romains, qui dédaignaient eux-mêmes les prétentions des pharisiens. Une telle accusation n'aurait également eu aucun poids auprès des sadducéens; car dans leurs vives disputes avec les pharisiens, ils s'étaient eux-mêmes servis de paroles tout aussi fortes. Ses accusateurs eurent soin de ne pas soulever l'opposition des pharisiens contre les sadducéens; car si les deux partis étaient entrés en contestation l'un avec l'autre, Jésus eût sans doute échappé de leurs mains. VJC 456.1

Ils pouvaient produire d'abondantes preuves que Jésus avait méprisé leurs traditions et avait parlé sans respect de maintes ordonnances qu'ils observaient; mais une telle accusation aurait été sans valeur et sans poids auprès des Romains et des sadducéens. Ils n'osèrent l'accuser d'avoir violé le Sabbat, de crainte qu'un examen ne révélât quelle sorte d'œuvres il avait faites en ce jour. Dans ce cas, les miracles qu'il avait accomplis pour guérir les malades, eussent été mis en lumière, et leur dessein eût été renversé. VJC 456.2

Christ avait dit, concernant le temple de son corps, qu'il pouvait le détruire et le relever de nouveau en trois jours. Ses auditeurs avaient compris que ses paroles se rapportaient au temple de Jérusalem. Et sauf ces paroles, les sacrificateurs ne pouvaient rien trouver, dans tout ce que Jésus avait dit, de quoi l'accuser. Les Romains s'étaient occupés de rebâtir, d'embellir le temple. Ils le regardaient avec orgueil, comme un monument de la science et des arts; et les sacrificateurs comptaient sur leur indignation, lorsqu'il serait prouvé que Jésus, qui n'était qu'un simple homme, avait déclaré pouvoir le reconstruire en t ois jours, si jamais il était détruit. Sur ce terrain, Juifs et Romains, pharisiens et sadducéens, pouvaient se rencontrer; car tous avaient une grande vénération pour le temple. VJC 456.3

Ils avaient en outre de faux témoins pour témoigner que Jésus était coupable d'incitation à la révolte, et cherchait à établir un gouvernement séparé. Ils espéraient que ceci exciterait assez les appréhensions des Romains pour arriver au but désiré. Mais lorsque ces témoins furent appelés, leur témoignage était si vague et si contradictoire qu'on n'en put rien faire. Lorsqu'on les confronta, ils furent entraînés à fausser leurs propres dépositions. Il était de plus en plus clair pour le peuple qu'on ne pouvait soutenir les accusations portées contre Jésus. La vie du Sauveur avait été tellement exempte de fautes, sa doctrine si pure, que l'envie et la méchanceté avaient peine à trouver quoi que ce fût qui pût être dénaturé. VJC 457.1

A la fin, on trouva deux témoins dont les dépositions n'étaient point aussi contradictoires que l'avaient été celles des autres. L'un deux, homme corrompu, qui avait vendu son honneur pour une somme d'argent, parla de Christ comme s'il eût été semblable à lui: “Cet homme a dit: Je puis détruire le temple de Dieu, et le rebâtir dans trois jours.”1 Dans le langage figuré de la prophétie, Jésus avait ainsi prédit sa propre mort et sa résurrection, sa lutte et sa victoire; mais ses ennemis, pour arriver à leur fin, avaient fait une fausse interprétation de ses paroles. Les paroles de Jésus étaient esprit et vérité; l'accusation était fausse et malicieuse. Si les paroles de Jésus avaient été rapportées exactement comme il les avait prononcées, elles n'auraient rien eu d'offensant. S'il eût été un simple homme, comme ils le prétendaient, sa déclaration n'aurait fait qu'indiquer un esprit orgueilleux et déraisonnable; mais on n'aurait pu en faire un blasphème. VJC 457.2

Caïphe somma Jésus de répondre à l'accusation qui était faite contre lui; mais le Sauveur, sachant que sa condamnation était déjà résolue, ne lui répondit rien. L'accusation faite par les deux derniers témoins ne prouvait rien contre lui qui fût digne de mort; et Jésus lui-même demeura calme et silencieux. Les sacrificateurs et les gouverneurs commencèrent à craindre de ne pouvoir, en fin de compte, atteindre leur but. Ils étaient déçus et embarrassés de voir qu'ils avaient échoué à faire condamner le prisonnier par le moyen des faux témoins. Leur seule espérance était de faire parler Jésus, et de lui faire dire quelque chose qui le condamnerait devant le peuple. VJC 458.1

Le silence que Jésus garda dans cette occasion, avait déjà été décrit par le prophète Esaïe dans une vision prophétique: “On le presse et on l'accable, et il n'a point ouvert sa bouche; il a été mené à la tuerie comme un agneau, et comme une brebis muette devant celui qui la tond; et il n'a point ouvert sa bouche.”1 VJC 458.2

Alors, le souverain sacrificateur levant la main droite vers le ciel de la manière la plus imposante, et s'adressant à Jésus d'un ton solennel, lui dit: “Je t'adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu.”2 A cet appel fait par la plus haute autorité reconnue dans la nation, et au nom du Très-Haut, Jésus, pour montrer lé respect qu'il avait de la loi, répondit: “Tu l'as dit.” Toutes les oreilles étaient tendues pour l'écouter, et tous les yeux étaient fixés sur lui, lorsque, d'une voix calme et digne, il fit cette réponse. La lumière céleste sembla illuminer son pâle visage, lorsqu'il ajouta: “Et même je vous dis que vous verrez ci-après le Fils de l'homme assis à la droite de la puissance de Dieu, et venant sur les nuées du ciel.” VJC 458.3

Pendant un instant, la divinité de Christ perça à travers son humanité; et le souverain sacrificateur faiblit sous le regard pénétrant du Sauveur. Ce regard semblait lire ses pensées les plus secrètes, et brûler au fond de son cœur; jamais il ne put oublier ce coup d'œil pénétrant du Fils de Dieu persécuté. Jésus avait fait cette confession volontaire, se réclamant du titre de Fils de Dieu, publiquement, et sous le serment le plus solennel. Il présenta aux esprits de ceux qui étaient présents le revers de la scène qui se passait devant eux, lorsque, Seigneur de la vie et de la gloire, il serait assis à la droite de Dieu, le juge suprême des cieux et de la terre, et dont les jugements sont sans appel. Il leur représenta ce jour où, au lieu d'être entouré d'une populace tumultueuse qui l'outrageait, à la tête de laquelle se trouvaient les sacrificateurs et les juges du pays, il viendrait sur les nuées du ciel avec puissance et grande gloire, escorté de ses légions d'anges, pour prononcer le jugement de ses ennemis. VJC 458.4

Jésus savait quel serait le résultat de ses paroles; il savait qu'elles entraîneraient sa condamnation. Les sacrificateurs avaient maintenant atteint leur but, Jésus avait lui-même déclaré être le Christ. Le souverain sacrificateur, pour faire supposer à ceux qui étaient présents qu'il était jaloux pour la Majesté divine insultée, déchira ses vêtements; et, levant ses mains vers le ciel comme plein d'une sainte indignation, il dit d'une voix propre à exciter le peuple à la violence: “Il a blasphémé; qu'avons-nous plus besoin de témoins? Vous venez d'entendre son blasphème. Que vous en semble?” La réponse des juges fut: “Il a mérité la mort.” VJC 459.1

Les sacrificateurs et les juges, remplis de joie de l'avantage qu'ils pouvaient tirer des paroles de Jésus, mais cachant soigneusement leur satisfaction malicieuse, se pressèrent alors autour de lui; et comme s'ils ne pouvaient croire qu'ils avaient bien entendu, ils lui demandèrent tous ensemble: “Si tu es le Christ, dis-le nous.”1 Jésus regardant avec calme ceux qui le questionnaient si hypocritement, répondit: “Si je vous le dis, vous ne le croirez point; et si je vous interroge aussi, vous ne me répondrez point, ni ne me laisserez point aller.” Jésus aurait pu repasser les prophéties, et donner à ses accusateurs des preuves que les choses mêmes qui se passaient alors avaient été prédites du Messie. Il aurait ainsi pu les réduire au silence; mais ils n'auraient point cru quand même. Il aurait pu leur rappeler ses puissants miracles; mais ils avaient fermé leurs cœurs à la lumière céleste, et aucune puissance ne pouvait les changer. VJC 459.2

Il y eut dans cette assemblée quelques hommes qui prirent garde aux paroles de Jésus, et qui remarquèrent son attitude divine, ses traits exempts de crainte, devant ses juges irrités. En ce jour-là, la semence de l'Evangile pénétra dans des cœurs où elle devait croître et rapporter une abondante moisson. Le respect et la crainte que ces paroles inspirèrent dans les cœurs de beaucoup de ceux qui les entendirent, devaient augmenter et développer une foi parfaite en Jésus, comme Rédempteur du monde. Quelques-uns des témoins de cette scène se trouvèrent plus tard dans la même position que Jésus en présence du Sanhédrin, et virent leurs vies exposées à la mort, parce qu'ils étaient les disciples de Jésus. VJC 460.1

Lorsque la condamnation de Jésus eut été prononcée par les juges, une fureur satanique s'empara de la populace. Le bruit des voix était semblable aux cris de bêtes sauvages. Ils se précipitèrent vers Jésus, criant qu'il était coupable, qu'on devait le mettre à mort; et sans les soldats romains, Jésus n'aurait pas vécu jusqu'au moment où il fut cloué à la croix du Calvaire. Il aurait été mis en pièces devant ses juges, si l'autorité romaine ne s'était point interposée pour arrêter par la force des armes les violences de la populace. VJC 460.2

Quoique Jésus fût lié, il fut pourtant gardé et tenu par deux hommes, de crainte qu'il n'échappât des mains de ses persécuteurs. Alors les juges et les gouverneurs oublièrent entièrement la dignité de leur office, et accablèrent le Fils de Dieu d'épithètes grossières, le raillant de sa parenté, et déclarant que sa prétention au titre de Messie, malgré sa basse extraction, lui méritait la mort la plus ignominieuse. Les hommes les plus dégradés prirent part aux traitements infâmes que subissait le Sauveur. On lui jeta sur la tête un vieux vêtement, et ses persécuteurs le frappaient à la face, en se moquant et en criant: “Christ! devine qui est celui qui t'a frappé.”1 Lorsqu'on lui enleva le vêtement de dessus sa tête, un pauvre misérable lui cracha au visage; mais le Sauveur n'adressa ni parole ni regard de représailles aux âmes corrompues qui l'environnaient, et qui avaient mis de côté toute retenue, ayant vu que les sacrificateurs et les gouverneurs encourageaient leurs actes. VJC 460.3

Jésus sentait que les armées du ciel étaient témoins de son humiliation, et que s'il eût invité le dernier des anges à venir à son aide, ce dernier eût instantanément dispersé cette populace outrageante et l'eût délivré de leur pouvoir. Par un regard ou une parole de sa divinité, Jésus lui-même eût pu renverser à terre cette multitude irritée, ou la chasser de sa présence comme il avait chassé ceux qui profanaient le temple. Mais il rentrait dans le plan de la rédemption qu'il souffrît les moqueries et les mauvais traitements des méchants; et il consentit à tout cela, lorsqu'il devint le Rédempteur de l'homme. Les anges de Dieu notaient fidèlement tout regard, toute parole et tout acte insultant dirigés contre leur bien-aimé Chef; et les hommes vils qui se moquèrent de lui et crachèrent sur le visage calme et pâle de Christ, devront un jour le regarder dans sa gloire plus éclatante que le soleil. Dans ce terrible moment, ils adresseront leur prière aux rochers des montagnes: “Tombez sur nous, et cachez-nous de devant la face de celui qui est assis sur le trône, et de devant la colère de l'Agneau.”2 VJC 461.1

Jésus était poussé çà et là, et tellement insulté et maltraité, qu'à la fin les officiers romains furent honteux et irrités de ce qu'un homme contre lequel rien n'avait encore été prouvé jusque-là, fût soumis aux traitements brutaux des hommes les plus vils. Par conséquent, ils accusèrent les autorités juives de s'arroger l'exercice d'un pouvoir qui ne leur appartenait pas, en jugeant un homme et en le condamnant à mort. Ils déclarèrent qu'en faisant cela, ils empiétaient sur le pouvoir romain, et que c'était même contre la loi juive de condamner un homme à mort sans l'avoir entendu. Cette intervention de l'autorité romaine, calma un peu cette violente excitation. VJC 461.2

Dans ce moment même, une voix rauque se fit entendre dans la cour, voix qui fit passer un frisson de terreur dans les cœurs de tous ceux qui étaient présents: Il est innocent! Epargne-le, Caïphe! il n'a rien fait qui soit digne de mort. On aperçut la haute taille de Judas, qui se frayait un chemin à travers la foule effrayée. Son visage était pâle et ses yeux hagards, son front était baigné de grosses gouttes de sueur. Il s'approcha de la chaise judiciaire, et jeta devant le souverain sacrificateur les pièces d'argent qu'il avait reçues comme prix de la trahison de son Seigneur. Saisissant avec énergie la robe de Caïphe, il le supplie de relâcher Jésus, déclarant qu'il était innocent de tout crime. Caïphe le repoussa avec colère, mais il était confus, et ne savait que dire. La perfidie des sacrificateurs était ainsi révélée devant le peuple. Tous voyaient évidemment que Judas avait été débauché pour livrer Jésus entre les mains de ceux qui cherchaient sa vie. VJC 462.1

Judas continuait de supplier Caïphe de ne rien faire contre Jésus, déclarant qu'il était certainement le Fils de Dieu, et se maudissant d'avoir trahi le sang innocent. Mais le souverain sacrificateur, reprenant possession de lui-même, répondit d'un ton hautain et méprisant: “Que nous importe? tu y pourvoiras.”1 Puis il représenta au peuple que Judas était un pauvre maniaque, un des disciples insensés de Jésus, recommandant de ne se laisser influencer par rien à relâcher le prisonnier, qui était un vil imposteur. VJC 462.2

Voyant que ses prières étaient vaines, Judas tomba aux pieds de Jésus, le reconnaissant comme Fils de Dieu, implorant le pardon de son péché, et le priant d'exercer sa puissance divine pour se délivrer de ses ennemis. Le Sauveur n'adressa pas un regard, pas une parole de reproche à celui qui l'avait trahi. Il savait qu'il souffrait le remords le plus amer à la pensée de son crime. Il le regarda avec compassion, et déclara que c'était pour cette heure qu'il était venu dans le monde. VJC 462.3

Un murmure de surprise parcourut l'assemblée à la vue de la patience divine que Jésus manifestait. La pensée que cet homme était plus qu'un mortel s'empara de nouveau de leur esprit. Mais ils se posèrent cette question: Pourquoi, s'il est véritablement le Fils de Dieu, ne rompt-il point ses liens, et n'échappe-t-il point triomphant à ses accusateurs? VJC 463.1

L'amour de l'argent avait perverti ce qu'il y avait de plus noble en Judas, faisant de lui un agent que Satan pût convenablement employer dans la trahison de Christ. Lorsque Judas avait été mécontent de la réprimande indirecte que Jésus avait adressée à son esprit d'avarice, quand Marie oignit le Seigneur d'un parfum de grand prix, il avait cédé au tentateur, et Satan avait eu un libre accès dans son esprit. Mais lorsqu'il s'était décidé à vendre son Maître aux sacrificateurs et aux gouverneurs meurtriers, il n'avait pas la moindre idée que son Maître se laisserait prendre. Il pensait que les sacrificateurs qui avaient voulu le suborner perdraient leur argent, que lui, le traître l'employerait selon son désir; et que ce ne serait qu'une nouvelle occasion pour Jésus de déployer sa puissance divine en échappant aux artifices de ses ennemis. VJC 463.2

Depuis le moment de sa trahison dans le jardin, Judas n'avait pas perdu de vue le Sauveur. Il s'était impatiemment attendu à le voir surprendre ses ennemis en paraissant devant eux comme Fils de Dieu, et en réduisant à néant leurs complots et leur puissance. Mais lorsqu'il le vit se soumettre avec douceur à leurs mauvais traitements, se laissant juger et condamner à mort, son cœur fut rempli de remords, et il comprit toute l'étendue de son crime: il avait vendu son Maître à l'ignominie et à la mort. Il se souvint combien Jésus avait été bon envers lui, et combien il lui avait témoigné d'égards; et les remords de sa conscience le remplirent d'angoisse. Il méprisa alors l'avarice que Jésus avait réprouvée en lui, et qui l'avait poussé à vendre le Sauveur pour quelques pièces d'argent. VJC 463.3

Voyant que ses supplications auprès du souverain sacrificateur ne pouvaient point sauver la vie de Jésus, il sortit de la cour plein de désespoir, en s'écriant: Il est trop tard! il est trop tard! Il se sentait incapable de vivre pour voir la crucifixion de son Maître; et, plein d'angoisse et de remords, il sortit et alla se pendre. VJC 464.1

L'argent que Judas avait jeté aux pieds du souverain sacrificateur fut ensuite employé pour l'achat d'un champ qui servit à la sépulture des étrangers. “Et les principaux sacrificateurs, ayant pris les pièces d'argent, dirent: Il n'est pas permis de les mettre dans le trésor sacré; car c'est le prix du sang. Et ayant délibéré, ils en achetèrent le champ d'un potier, pour la sépulture des étrangers. C'est pourquoi ce champ-là a été appelé, jusqu'à aujourd'hui, le champ du sang.” VJC 464.2

Si l'on avait eu besoin d'un témoignage pour prouver l'innocence de Jésus, il se serait trouvé dans la confession de Judas. C'était non seulement une preuve de l'innocence du Sauveur, mais cet événement était un accomplissement direct de la prophétie. Le prophète Zacharie, dans une vision prophétique, avait contemplé et vu à travers les âges le jugement du Fils de Dieu. Voici de quelle manière l'acte de Judas est décrit: “Et je leur dis: S'il vous semble bon, donnez-moi mon salaire; sinon, ne me le donnez pas. Alors ils pesèrent mon salaire, trente pièces d'argent. Et l'Eternel me dit: Jette-les pour un potier, c'est le prix honorable auquel je suis taxé par eux. Alors je pris les trente pièces d'argent, et je les jetai dans la maison de l'Eternel pour un potier.”1 VJC 464.3