La Vie de Jésus-Christ

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Chapitre 41 — Dans le parvis extérieur

“Or, quelques Grecs de ceux qui étaient montés pour adorer pendant la fête, vinrent vers Philippe, qui était de Bethsaïda en Galilée, et ils lui dirent, en le priant: Seigneur, nous voudrions bien voir Jésus. Philippe vint, et le dit à André, et André et Philippe le dirent à Jésus.”1 VJC 419.1

Les gentils étaient exclus du parvis où Jésus était assis en face du tronc. Ils avaient beaucoup entendu parler pour et contre Jésus, et souhaitaient de le voir et de l'entendre eux-mêmes. Ils ne pouvaient approcher de lui, mais devaient l'attendre dans la cour des gentils. Les disciples lui firent part du désir des Grecs, et attendirent sa réponse; Jésus parut réfléchir profondément, puis il répondit: “L'heure est venue que le Fils de l'homme doit être glorifié. En vérité, en vérité je vous le dis: Si le grain de froment ne meurt après qu'on l'a jeté dans la terre, il demeure seul; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruits.” Le désir que les Grecs manifestaient de voir Jésus, lui fit penser à l'avenir. Les Juifs avaient rejeté celui qui seul pouvait les sauver; ils allaient bientôt tremper leurs mains dans son sang, et le mettre au rang des malfaiteurs. Le Sauveur, rejeté par la maison d'Israël, devait être reçu par les gentils. Il considérait avec joie le moment où la muraille de séparation entre Juifs et gentils serait renversée, et où le champ de la moisson allait être le monde. VJC 419.2

Jésus regardait ces Grecs comme les représentants des gentils en général. Il voyait en eux les prémices de cette abondante moisson, qui aurait lieu lorsque tous les peuples, nations et langues, qui sont sur la face de la terre, entendraient la bonne nouvelle du salut par Christ. Il voyait que la vocation des gentils suivrait sa mort prochaine. Il représenta donc l'image du blé à ses disciples et à la foule qui l'écoutait, pour leur montrer la grande moisson que sa mort devait produire. S'il reculait devant le sacrifice de sa vie, il “demeurerait seul”, comme le grain de froment qui ne meurt pas; mais s'il donnait sa vie, de même que le grain qui tombe en terre, il ressusciterait comme prémice de la grande moisson; et lui, qui seul donne la vie, appellerait ceux qui lui auraient été unis par la foi hors de leurs tombeaux, et il y aurait une glorieuse moisson pour les greniers célestes. Dans l'Evangile, où il nous est parlé de la mort et de la résurrection de Christ, de la résurrection des morts, la vie et l'immortalité sont mises en évidence, et la royaume des cieux est ouvert à tout croyant. VJC 419.3

Après avoir parlé de ses propres souffrances et de sa mort, Jésus dit: “Celui qui aime sa vie, la perdra; et celui qui hait sa vie en ce monde, la conservera pour la vie éternelle. Si quelqu'un me sert, qu'il me suive; et où je serai, celui qui me sert y sera aussi; et si quelqu'un me sert, mon Père l'honorera.” Le Sauveur ne requiert pas de ses disciples de marcher dans un sentier qu'il n'a pas foulé lui-même. De la crèche au Calvaire, Jésus endura l'opprobre, l'insulte et les privations. Pourtant, au delà de son agonie, dans le jardin, au delà de sa trahison et des coups de fouet, de la honte d'être mis au rang des malfaiteurs et de mourir des souffrances de la croix, il voyait le but glorieux de sa mission, et l'honneur qu'il en recevrait à la droite de son Père où ses vrais disciples seraient finalement élevés avec lui. Tous ceux qui auraient aimé la croix de Christ et auraient partagé ses souffrances, renonçant à eux-mêmes et obéissant à Dieu, devaient participer à sa gloire. Ceux qui, pour l'amour de Christ, auraient perdu leur vie en ce monde, la sauveraient pour la vie éternelle. Dans son humiliation et ses souffrances, c'était une joie pour Christ de penser que tous ses vrais disciples seraient glorifiés avec lui dans le ciel. VJC 420.1

Plusieurs d'entre les principaux du peuple étaient convaincus que Jésus était le Messie; mais en face des sacrificateurs et des pharisiens irrités, ils n'osaient confesser leur foi, de peur d'être chassés de la synagogue. Ils préféraient la louange des hommes à l'approbation de Dieu; et pour échapper à l'opprobre et à l'ignominie, ils reniaient Christ, et perdaient ainsi leur seul espoir de la vie éternelle. C'est à eux que s'appliquaient spécialement ces paroles de Christ: “Celui qui aime sa vie, la perdra.” VJC 421.1

La requête des Grecs, qui indiquait la rupture du mur de séparation entre Juifs et gentils, rappela à Jésus sa mission tout entière, depuis le temps où il fut d'abord décidé dans le ciel qu'il viendrait sur la terre comme Rédempteur de l'homme, jusqu'à sa mort, qu'il savait l'attendre dans un avenir immédiat. Un nuage mystérieux semblait envelopper le Fils de Dieu. C'était une tristesse que ressentaient tous ceux qui entraient en contact avec lui. Il était absorbé dans ses pensées. Il rompit enfin le silence en disant d'une voix triste: “Maintenant mon âme est troublée; et que dirai-je? Mon Père! délivre-moi de cette heure; mais c'est pour cela que je suis venu à cette heure.” Un avant-goût de sa lutte prochaine avec les puissances des ténèbres, en raison de la situation dans laquelle il s'était volontairement placé en consentant à porter la culpabilité de l'homme déchu, et à prendre sur lui-même la colère de son Père à cause du péché, faisait défaillir l'esprit de Jésus; et la pâleur de la mort se répandait sur son visage. VJC 421.2

Il se souvenait de l'opiniâtreté et de la malice de Satan, qui avait hardiment disputé avec les anges du ciel, soutenant que sa sentence était injuste; que Dieu n'avait jamais fait preuve de renoncement, et que lui, Satan, en s'efforçant d'exécuter ses desseins et de suivre ses propres inclinations, n'avait fait qu'imiter l'exemple de Dieu. Si Dieu suivait parfaitement et continuellement sa volonté, pourquoi les premiers fils créés à son image ne le feraient-ils pas? Par ce raisonnement, Satan avait séduit un grand nombre de saints anges. Il se plaignait continuellement de la sévérité de Dieu, précisément comme des enfants se plaignent parfois de la sévérité de leurs parents, qui les empêchent de mettre à exécution des projets qui auraient pour tendance de compromettre l'ordre dans la direction de la famille. Plutôt que de se soumettre à la volonté de Dieu, il se détournait des lumières de la raison, et s'opposait aux plans divins. VJC 421.3

Dans la lutte qui avait suivi, Satan avait semblé avoir l'avantage. Il pouvait mentir, mais Dieu ne le pouvait. Il pouvait se mouvoir en mille voies tortueuses et trompeuses pour arriver à son but; Dieu devait suivre le chemin direct de la vérité et de la droiture. Pendant quelque temps, Satan avait remporté une victoire apparente. Mais Dieu allait démasquer l'ennemi, et le montrer sous son vrai caractère. Christ, en prenant la nature de l'homme, était la divinité revêtue de notre humanité. Il vint pour être la lumière du monde, pour dissiper les ténèbres épaisses des séductions de Satan, et révéler ses œuvres aux enfants des hommes. Christ montra le renoncement le plus austère en résistant aux tentations multiples de l'adversaire. Il vainquit Satan dans son long jeûne au désert, et lorsqu'il vint à lui comme un ange de lumière, lui offrant le royaume de ce monde en échange de son culte, il fit des sacrifices que jamais homme ne sera appelé à faire; car jamais l'homme n'atteindra à la hauteur de son auguste caractère. Toute sa vie terrestre fut une démonstration de parfaite obéissance à la volonté de son Père. La conduite de Christ et celle de Satan présentent un parfait contraste de la vie d'un fils obéissant avec celle d'un fils déloyal. VJC 422.1

Le triomphe final de Christ sur Satan ne pouvait être complet que par la mort du premier. Il ouvrit ainsi à l'homme une porte de salut, prenant sur lui le stigmate de la malédiction; en donnant sa propre vie, il arracha des mains de Satan la dernière arme par laquelle il pût gagner les royaumes de ce monde. L'homme peut donc être délivré de la puissance du monde par son Sauveur Jésus-Christ. VJC 422.2

Comme le Fils de Dieu méditait sur ces choses, et que tout le poids de sa mission se dévoilait devant ses yeux, il leva la tête et dit: “Mon Père! glorifie ton nom.” Il ne pensait point que ce fût une usurpation d'être égal à Dieu, et il lui demandait de se glorifier en son Fils. Une réponse sortit de la nuée qui s'était amoncelée au-dessus de la tête de Jésus: “Et je l'ai glorifié, et je le glorifierai encore.” VJC 423.1

Comme on entendait la voix, une lumière jaillit de la nuée, et enveloppa Christ, comme si les bras de la Puissance Infinie, semblables à une muraille de feu, l'eussent entouré. Le peuple considérait cette scène avec épouvante. Personne n'osait ouvrir la bouche. Tous fixaient les yeux sur Jésus sans prononcer une parole, et osant à peine respirer. Le témoignage du Dieu tout-puissant une fois donné, la nuée s'éleva et se dissipa dans l'étendue. La manifestation de la communion visible qui existait entre le Père et le Fils était achevée pour cette fois. VJC 423.2

Alors les spectateurs de cette scène commencèrent à respirer plus librement, et se mirent à commenter sur ce qu'ils venaient de voir et d'entendre. Quelques-uns déclarèrent solennellement leur foi au Fils de Dieu, tandis que d'autres s'efforçaient d'expliquer la scène remarquable dont ils venaient d'être témoins: “Et la troupe qui était là, et qui avait entendu cette voix, disait qu'il s'était fait un tonnerre; d'autres disaient: Un ange lui a parlé.” Mais les Grecs, à la recherche de la vérité, virent la nuée, entendirent la voix, en comprirent les paroles, et reconnurent Christ qui leur était révélé comme le Messie. VJC 423.3

La voix de Dieu avait été entendue au baptême de Jésus, au commencement de son ministère; elle l'avait également été à la transfiguration, sur la montagne; et maintenant, à la fin de son ministère, elle se fait entendre pour la troisième fois, et cela par un plus grand nombre de personnes et dans des circonstances bien particulières. Jésus venait de prononcer des vérités solennelles concernant la condition des Juifs. Il leur avait adressé son dernier appel, et avait déclaré le sort qui les attendait La muraille de séparation entre les Juifs et les gentils chancelait, et allait tomber à la mort de Christ. VJC 423.4

Les pensées du Sauveur se détournèrent alors de la contemplation du passé et de l'avenir. Pendant que le peuple essayait d'expliquer ce qu'ils avaient vu et entendu suivant les impressions faites sur les divers esprits, et suivant la connaissance qu'ils avaient, “Jésus prit la parole, et dit: Cette voix n'est pas pour moi, mais elle est pour vous.” Ce signe du Père achevait la preuve de son caractère messianique; il annonçait que Jésus avait dit la vérité, et qu'il était le Fils de Dieu. Les Juifs se détourneraient-ils de ce témoignage descendu du ciel? Durant tout le ministère de Christ, d'innombrables signes avaient été donnés; néanmoins, ils avaient fermé leurs yeux, et avaient endurci leur cœur de crainte d'être convaincus. Le miracle si grand de la résurrection de Lazare n'avait point dissipé leur incrédulité, mais n'avait fait qu'augmenter leur méchanceté. Et maintenant que le Père avait parlé, et qu'ils ne pouvaient plus demander d'autre signe, leurs cœurs n'étaient point touchés, et ils refusaient encore de croire. VJC 424.1

Jésus continua: “C'est maintenant que se fait le jugement de ce monde; c'est maintenant que le prince de ce monde va être chassé. Et moi, quand j'aurai été élevé de la terre, j'attirerai tous les hommes à moi. Or, il disait cela pour marquer de quelle mort il devait mourir.” En étant élevé sur une croix pour y mourir, Christ ouvrit le chemin de la vie à tous peuples, nations et langues. Mais le plan de la rédemption a un but plus vaste encore que d'arracher la race humaine à la puissance de Satan. Non seulement la mort de Christ pour le salut des pécheurs rendit-elle le ciel accessible aux hommes, mais les voies de Dieu à l'égard de la rébellion de Satan furent justifiées devant l'univers. Ce ne sont point seulement ceux qui sont lavés par le sang de Christ, ce sont aussi les saints anges qui sont attirés au Sauveur par la mort qui couronna sa vie d'abnégation, et qui fit l'expiation des péchés du monde. Cette mort revendiqua pleinement la justice et la miséricorde de Dieu, de telle sorte que de toute éternité la rébellion ne pourra plus jamais se produire. VJC 424.2

Le peuple qui l'écoutait ne comprit pas un mot des paroles du Sauveur. “Nous avons appris par la loi,” lui dirent les Juifs, “que le Christ demeure éternellement; comment donc dis-tu qu'il faut que le Fils de l'homme soit élevé? Qui est ce Fils de l'homme?”1 VJC 425.1

Jésus leur répondit: “La lumière est encore avec vous pour un peu de temps; marchez pendant que vous avez la lumière, de peur que les ténèbres ne vous surprennent; car celui qui marche dans les ténèbres, ne sait où il va. Pendant que vous avez la lumière, croyez en la lumière, afin que vous soyez enfants de lumière..... Et quoiqu'il eût fait tant de miracles devant eux, ils ne crurent point en lui.”1 VJC 425.2

Hélas! les Juifs orgueilleux ne connurent point le temps de leur visitation! Lentement, le cœur plein de regrets, Jésus, accompagné de ses disciples, quitta les parvis du temple. VJC 425.3