La Vie de Jésus-Christ

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Chapitre 28 — Jésus marchant sur les eaux

Pendant ce temps, les disciples étaient dans la détresse. Une tempête s'était élevée,1 et la mer était furieusement agitée. Toute la nuit ils n'avaient cessé de ramer, étant entraînés tantôt ci, tantôt là, par l'irrésistible puissance des vagues. La distance entre les deux rives n'était que de six milles, et en temps ordinaire, du lieu qu'ils avaient quitté, on pouvait atteindre le bord opposé en peu de temps; mais leur frêle embarcation, devenue le jouet de la tempête, était emportée toujours plus loin du port qu'ils cherchaient. VJC 273.1

Ils avaient quitté Jésus avec un certain mécontentement, et ils s'étaient embarqués en murmurant de ce que le vœu qu'ils avaient formé de voir leur Seigneur proclamé roi d'Israël, ne s'était pas réalisé. Ils se reprochaient de s'être laissés si facilement détourner de leur dessein en cédant si promptement aux ordres de Jésus. Ils pensaient en eux-mêmes que s'ils étaient restés et avaient persisté dans leur intention, ils auraient fini par l'emporter. VJC 273.2

Lorsque la tempête s'éleva, ils regrettèrent encore plus d'avoir quitté Jésus. Fussent-ils restés, le péril aurait été évité. C'était une grande épreuve pour leur foi. Dans les ténèbres de cette nuit orageuse, ils cherchaient à gagner le lieu où il leur avait promis de les rejoindre, mais le vent contraire les détournait de leur voie et rendait tous leurs efforts inutiles. C'étaient des hommes robustes et accoutumés à la mer; mais alors leurs cœurs étaient pleins d'effroi; ils désiraient ardemment la présence calme et imposante de leur Maître, et ils sentaient que s'il était avec eux, ils seraient en sûreté. VJC 273.3

L'incrédulité et l'amour de la gloire avaient obscurci l'intelligence des disciples. Ils savaient que les pharisiens méprisaient et haïssaient Jésus et leur ardent désir était de voir leur Maître occuper la position élevée qui lui était due. Etre associé à un Maître qui pouvait accomplir de si grands miracles, même ressusciter les morts, et pourtant le voir en butte aux moqueries et accusé d'être un séducteur, tout cela était une épreuve qu'ils avaient de la peine à endurer. Devrait-on toujours les regarder comme les disciples d'un faux prophète? Christ ne déclarerait-il donc point son autorité comme roi temporel? Pourquoi celui qui possédait une telle puissance ne pouvait-il point se révéler tel qu'il était et rendre leur vie moins pénible et moins embarrassante? C'est ainsi que les disciples déçus avaient raisonné en eux-mêmes jusqu'à être remplis de découragement. Ils étaient tombés dans les piéges de Satan, et étaient alors remplis de doutes et de perplexités concernant Jésus. Etait-ce un imposteur comme le prétendaient les pharisiens? Les disciples couraient un sérieux danger. Dans leur anxiété concernant leur propre avenir, ils avaient oublié les leçons que Jésus leur avait répétées si souvent que son royaume n'était pas de ce monde. VJC 274.1

Mais au milieu de cette nuit d'obscurité et de tempête, le lac enseigne à ces disciples effrayés quelle est leur propre impuissance, et leurs cœurs sont remplis de l'ardent désir de revoir la présence de Jésus. Dans ce moment ils peuvent plus que jamais apprécier son pouvoir et son amour, et ils soupirent après celui dont la main avait puissance sur les éléments. VJC 274.2

Le Sauveur n'avait point oublié ses disciples. De la côte éloignée, son œil perçait les ténèbres, voyait leur danger et lisait leurs pensées. Il ne voulait pas en laisser périr aucun. Comme une tendre mère veille avec bonté sur l'enfant qu'elle a corrigé, ainsi le Maître compatissant veillait sur ses disciples, et quand leurs cœurs furent soumis, que leur ambition non sanctifiée se fut dissipée et qu'ils eurent humblement prié, il leur fut donné le secours qu'ils demandaient. Au moment même où ils se croyaient perdus, un éclair leur révéla la forme d'un homme qui s'approchait d'eux sur les eaux. Une terreur indescriptible les saisit. Les bras aux muscles de fer qui tenaient les rames tombèrent impuissants à leurs côtés. Le bateau voguait au gré des vagues, pendant que les yeux des disciples étaient fixés sur l'homme qu'ils avaient vu marchant fermement sur les vagues écumantes. VJC 274.3

Ils pensaient que c'était un esprit qui annonçait leur perte immédiate. “Et de la frayeur qu'ils eurent, ils s'écrièrent.” Jésus passait avec calme, comme s'il voulait les devancer; mais ils le reconnaissent, et sentent qu'il ne veut pas les abandonner dans leur détresse. Ils poussent un cri, le suppliant de leur aider. Il se détourne. C'est leur Maître bien-aimé, dont la voix bien connue apaise leurs craintes: “Rassurez-vous; c'est moi, n'ayez point de peur.” Y eut-il jamais paroles mieux accueillies, aussi rassurantes que celles-ci? Les apôtres sont muets de joie. Leurs craintes se sont dissipées. La tempête était oubliée. Ils acclament Jésus comme leur Libérateur. VJC 275.1

L'ardent Pierre est ravi de joie. Il voit son Maître fouler sans crainte les vagues écumantes pour venir sauver ses disciples, et il l'aime comme jamais auparavant. Il désire ardemment l'embrasser et l'adorer. Il brûle du désir d'aller à sa rencontre et de marcher à son côté sur les vagues impétueuses. Il s'écrie: “Seigneur! si c'est toi, ordonne que j'aille vers toi en marchant sur les eaux.” Jésus accéda à sa requête; mais Pierre avait à peine fait un pas sur la surface de la mer en tourmente, qu'il jeta un regard orgueilleux sur ses compagnons derrière lui. VJC 275.2

En détournant ses yeux de Jésus, il remarqua les vagues impétueuses qui semblaient menacer de l'engloutir; leur mugissement remplit ses oreilles; la tête lui tourna, et le cœur lui manqua. VJC 275.3

Comme il s'enfonce, il recouvre juste assez de présence d'esprit pour se rappeler qu'il en était Un près de lui qui pouvait le délivrer. Il tend les bras vers lui en s'écriant: “Seigneur! sauve-moi, ou je péris!” Le Sauveur compatissant saisit les mains tremblantes qui lui sont tendues et ramène Pierre auprès de lui. Jamais ce visage aimable et ce bras puissant ne se détourne des mains suppliantes qui sont tendues vers lui pour obtenir miséricorde. Pierre se penche vers son Sauveur avec une humble confiance pendant que Jésus lui reproche doucement d'avoir manqué de foi. “Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté?” VJC 275.4

Le disciple tremblant, tient alors fermement la main du Maître, jusqu'à ce qu'ils soient tous deux assis sains et saufs dans la barque, parmi leurs compagnons remplis de joie. Mais Pierre était humilié et silencieux; il n'avait aucune raison de se glorifier et de s'élever au-dessus de ses condisciples, car il venait presque de perdre la vie par son orgueil et son incrédulité. Lorsqu'il avait détourné ses yeux de Jésus afin de voir l'admiration des autres, il avait perdu de vue son guide et le doute et la peur s'étaient saisis de lui. Il en est ainsi dans la vie chrétienne. Seul celui dont l'œil est fixé fermement sur le Sauveur peut être capable de fouler les vagues impétueuses du monde. Immédiatement après que Jésus fut entré dans le bateau ils abordèrent à la côte. La tempête avait cessé, et à cette nuit d'horreur avait succédé la lumière de l'aube. Les disciples et d'autres qui étaient aussi dans la nacelle, se jetèrent aux pieds de Jésus le cœur plein de reconnaissance en disant: “Tu es véritablement le Fils de Dieu!” VJC 276.1

La multitude qui avait été nourrie le jour précédent avait laissé Jésus sur la rive déserte, et ils savaient qu'on n'avait laissé aucune barque avec laquelle il aurait pu partir. Ils revinrent donc le lendemain matin à l'endroit où ils l'avaient vu, la veille, contemplant leur départ d'un regard plein de compassion. La nouvelle de l'étonnant miracle de la multiplication des pains s'était répandue au loin, et de bonne heure, le peuple commença à arriver en grand nombre par eau et par terre. Mais ils cherchèrent vainement le Maître, et finalement ils retournèrent à Capernaüm, le cherchant toujours. VJC 276.2

Pendant ce temps, Christ, accompagné de ses disciples, avait trouvé la retraite qu'il cherchait le jour précédent. Il sentait qu'il était nécessaire de leur donner quelque instruction spéciale, mais il était suivi de si près par la foule, qu'il était extrêmement difficile de trouver un moment de tranquillité. Il ne pouvait obtenir de temps pour prier pendant le jour, mais il consacrait souvent la nuit entière en communion avec son Père céleste, luttant par-ses supplications en faveur des hommes égarés. Le Sauveur affligé par l'incrédulité des hommes, portant le fardeau de l'iniquité du monde, était certainement un homme de douleur et connaissant la langueur. VJC 276.3

Jésus employa les quelques heures où il était seul avec ses disciples à prier avec eux, et à leur enseigner d'une manière plus définie la nature de son royaume. Il voyait que dans leur faiblesse humaine ils étaient enclins à désirer que son royaume fût temporel. Leur ambition terrestre avait jeté de la confusion dans leurs esprits concernant la mission réelle de Christ. Il les reprend de leur fausse conception, et leur apprend qu'au lieu d'honneurs mondains c'était l'opprobre qui l'attendait, et au lieu d'un trône, la croix impitoyable. Il leur enseigna que, pour l'amour de lui, et pour obtenir le salut, ils devraient aussi être prêts à souffrir l'opprobre et l'ignominie. VJC 277.1

Le temps approchait où Jésus devait être mis à mort, et laisser ses disciples affronter seuls le monde froid et cruel. Il savait combien la haine amère et l'incrédulité les persécuteraient, et il désirait les encourager, les fortifier pour le temps d'épreuve. Il s'en alla donc seul à l'écart, et pria pour eux, intercédant auprès de son Père, afin que dans le temps de la terrible épreuve qui les attendait, leur foi demeurât ferme et que ses souffrances et sa mort ne les jetassent pas dans le désespoir. Quel tendre amour n'était-ce pas que celui du Sauveur qui, voyant sa mort approcher, ne pensait qu'à mettre ses compagnons à l'abri du danger! VJC 277.2