La Vie de Jésus-Christ

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Chapitre 20 — Le Sabbat

L'institution du Sabbat était ce qui distinguait particulièrement les Juifs des nations dont ils étaient entourés. C'était ce qui les désignait comme vrais adorateurs du Créateur. L'observance de ce jour était un signe continuel et visible de leur relation avec Dieu, et de leur séparation des autres peuples. Tout travail ordinaire pour un gain terrestre était interdit le septième jour. Selon le quatrième commandement, le Sabbat était consacré au repos et au culte religieux. Tout travail ordinaire devait être interrompu, mais les œuvres de miséricorde et de bienfaisance étaient en harmonie avec la pensée de l'Eternel. Elles ne devaient pas être limitées par le temps, ou le lieu. Soulager les malades, consoler les affligés est une œuvre d'amour qui honore le saint jour de Dieu. VJC 198.1

Le service des sacrificateurs se rapportant aux offrandes et aux sacrifices était augmenté le jour du Sabbat; toutefois en accomplissant leur œuvre sacrée pour le service de Dieu, ils ne violaient pas le quatrième commandement du décalogue. A mesure qu'Israël se séparait de Dieu, le véritable but de l'institution du Sabbat devenait moins distinct dans leurs esprits. Ils devinrent négligents dans l'observance de ce jour, et inattentifs à ses ordonnances. Les prophètes leur rendirent témoignage du déplaisir de Dieu à cause de leur transgression de son Sabbat Néhémie dit: “En ces jours-là je vis quelques personnes en Juda qui foulaient aux pressoirs le jour du Sabbat, et d'autres qui apportaient des gerbes, et qui en chargeaient des ânes; qui les chargeaient de vin, de raisins, de figues et de toutes sortes de charges, et qui les apportaient à Jérusalem le jour du Sabbat Et je les sommai, le jour qu'ils vendaient les provisions, de ne plus le faire.”1 VJC 198.2

Et Jérémie leur fait ce commandement: “Ainsi a dit l'Eternel: Prenez garde à vos âmes, et ne portez aucun fardeau au jour du Sabbat, et n'en faites point passer par les portes de Jérusalem; et ne tirez hors de vos maisons aucun fardeau au jour du Sabbat, et ne faites aucune œuvre; mais sanctifiez le jour du Sabbat, comme j'ai commandé à vos pères.”2 VJC 199.1

Mais ils ne firent nulle attention aux avertissements des prophètes inspirés, et ils s'éloignèrent de plus en plus de la religion de leurs pères. A la fin les calamités, la persécution et l'esclavage tombèrent sur eux, à cause de leur mépris des ordres de Dieu. VJC 199.2

Alarmés par ces visitations des jugements divins ils retournèrent à la stricte observance de toutes les formes extérieures enjointes par la loi sacrée; non contents de cela, ils ajoutèrent à ces ordonnances des cérémonies, gênantes. Leur orgueil et leur bigoterie les conduisaient à une interprétation des plus étroites des ordres divins. Avec le temps, ils s'entourèrent graduellement des traditions et des coutumes de leurs ancêtres, jusqu'à ce qu'ils les considérassent comme ayant toute la sainteté de la loi originelle. Cette confiance en eux-mêmes et en leurs propres règlements, jointe à tous leurs préjugés contre les autres nations, les portaient à résister à l'Esprit de Dieu, et à se séparer toujours plus de sa faveur. VJC 199.3

Leurs exactions et leurs restrictions étaient si fatigantes que Jésus fit cette déclaration: “Car ils lient des fardeaux pesants et insupportables, et les mettent sur les épaules des hommes.”3 Leur fausse opinion du devoir, leur idée superficielle de la piété, obscurcissaient des ordres divins, positifs et réels. Le service du cœur était négligé dans l'accomplissement rigide de cérémonies extérieures. Les Juifs avaient tellement perverti les commandements divins en les surchargeant de traditions, qu'aux jours de Christ, ils étaient prêts à l'accuser de transgresser le Sabbat, parce qu'il accomplissait des actes de miséricorde ce jour-là. VJC 199.4

Les épis étaient prêts pour la faucille quand Jésus et ses disciples passèrent par les blés un jour de Sabbat. Les disciples avaient faim, car leur Maître avait prolongé son œuvre d'enseignement et de guérison jusqu'à une heure avancée, et depuis longtemps il n'avaient point pris de nourriture. En conséquence, ils se mirent à arracher des épis de blé et à les manger, après les avoir froissés entre leurs mains selon ce que dit la loi de Moïse: “Quand tu entreras dans les blés de ton prochain, tu pourras bien arracher des épis avec ta main, mais tu ne mettras point la faucille dans les blés de ton prochain.”1 VJC 200.1

Mais Jésus était continuellement suivi par des espions qui cherchaient quelque occasion de l'accuser et de le condamner. Quand ils virent cet acte des disciples, ils firent aussitôt leurs plaintes à Jésus en disant: “Regarde, pourquoi font-ils ce qui n'est pas permis dans les jours de Sabbat?” Par ces paroles ils exprimaient leurs vues étroites sur la loi. Mais Jésus prit la défense de ses disciples, en disant: “N'avez-vous jamais lu ce que fit David, quand il fut dans la nécessité, et qu'il eut faim, lui et ceux qui étaient avec lui; comment il entra dans la maison de Dieu, du temps d'Abiathar, souverain sacrificateur, et mangea les pains de proposition, qu'il n'était permis de manger qu'aux sacrificateurs, et en donna même à ceux qui étaient avec lui? Puis il leur dit: Le Sabbat a été fait pour l'homme, et non pas l'homme pour le Sabbat. Ainsi le Fils de l'homme est maître même du Sabbat.”2 VJC 200.2

Si une faim excessive excusait David d'avoir violé la sainteté même du Sanctuaire, et dégageait son action de toute culpabilité, à combien plus forte raison la simple action des disciples arrachant des épis le jour du Sabbat, et en mangeant, n'était-elle pas excusable! Jésus voulait enseigner à ses disciples et à ses ennemis que le service de Dieu devait tenir la première place; et que si la fatigue et la faim étaient inséparables de ce service, il était juste et droit de satisfaire les besoins de l'humanité, même le jour du Sabbat. Cette sainte institution ne fut pas donnée pour que nous fussions empêchés de satisfaire les besoins de notre être, ni pour nous causer des souffrances et du malaise, mais pour nous apporter des bénédictions. “Le Sabbat a été fait pour l'homme”, pour lui donner du repos et de la paix, et lui rappeler l'œuvre de son Créateur, et non pas pour être un joug pesant. VJC 200.3

L'œuvre que faisaient les sacrificateurs dans le temple le jour du Sabbat, était en harmonie avec la loi; toutefois le même travail pour des affaires temporelles aurait été la violation de cette loi. L'acte d'arracher des épis et d'en manger pour soutenir le corps, afin d'employer ses forces dans le service de Dieu était juste et légitime. Ensuite Jésus couronne son argument en se déclarant le “Maître du Sabbat”, c'est-à-dire quelqu'un qui était au-dessus de toute question et de toute loi. Ce Juge Infini décharge les disciples de blâme, en faisant appel aux statuts mêmes qu'ils étaient accusés de violer. VJC 201.1

Mais Jésus ne laissa pas tomber cette affaire sans adresser des reproches à ses ennemis. Il déclara que, dans leur aveuglement, ils s'étaient trompés sur le but du Sabbat. Il dit: “Que si vous saviez ce que signifie ceci: Je veux la miséricorde, et non pas le sacrifice, vous n'auriez pas condamné ceux qui ne sont point coupables.”1 Puis il mit en contraste les nombreux rites auxquels le cœur était étranger, avec l'intégrité véridique et l'amour qui doivent caractériser les vrais adorateurs de Dieu: “Car je veux la miséricorde plutôt que le sacrifice, et la connaissance de Dieu plutôt que les holocaustes. Mais ils ont transgressé l'alliance, comme si elle eût été d'un homme; en quoi ils ont péché contre moi”.2 VJC 201.2

Jésus avait été élevé parmi ce peuple, si entaché de sa bigoterie et de ses préjugés; et par conséquent il savait qu'en guérissant des malades le jour du Sabbat, il serait considéré comme un transgresseur de la loi. Il n'ignorait pas que les pharisiens se saisiraient de ses actes avec une grande indignation, et chercheraient par là à influencer le peuple contre lui. Il savait qu'ils se serviraient de ses œuvres de miséricorde comme de forts arguments pour agir sur l'esprit des masses qui avaient toute leur vie été liées par les restrictions et les exactions judaïques. Néanmoins, la connaissance de ces choses ne l'empêcha point d'abattre le mur insensé de superstitions qui emprisonnait le Sabbat, et d'enseigner aux hommes que des actes de charité et de bienfaisance sont légitimes tous les jours. VJC 201.3

Il entra dans la synagogue, et y vit un homme qui avait une main sèche.1 Les pharisiens l'observaient, désireux de voir ce qu'il ferait concernant ce cas, et s'il guérirait cet homme le jour du Sabbat, ou s'il ne le guérirait pas. Leur seul but était de trouver un sujet d'accusation contre lui. Jésus regarda l'homme qui avait la main sèche, et lui demanda de se lever et de se tenir debout là au milieu. Puis il dit: “Est-il permis de faire du bien dans les jours de Sabbat, ou de faire du mal? de sauver une personne, ou de la laisser périr? Et ils se turent. Alors, les regardant tous avec indignation, et étant affligé de l'endurcissement de leurs cœurs, il dit à cet homme: Etends ta main. Et il l'étendit, et sa main devint saine comme l'autre.” VJC 202.1

Il justifia cette miraculeuse guérison du paralytique comme étant en parfaite harmonie avec le quatrième commandement. Mais ils lui firent cette question: “Est-il permis de guérir dans les jours de Sabbat?” Et Jésus leur fit cette réponse claire et forte: “Qui sera celui d'entre vous, qui, ayant une brebis, si elle tombe au jour du Sabbat dans une fosse, ne la prenne et ne l'en retire? Et combien un homme ne vaut-il pas mieux qu'une brebis! Il est donc permis de faire du bien dans les jours de Sabbat.” VJC 202.2

Sur ces paroles de notre Sauveur, les espions n'osèrent pas, en présence de la multitude, répondre à cette question, de crainte de s'engager dans quelque difficulté. Ils savaient qu'ils laisseraient leurs semblables souffrir et mourir plutôt que de violer leurs traditions en les soulageant le jour de l'Eternel, mais que si une bête tombait dans quelque danger, elle en serait aussitôt retirée, à cause de la perte qui en résulterait pour le propriétaire, si ce devoir était négligé. Ainsi la brute était élevée au-dessus de l'homme créé à l'image de Dieu. VJC 202.3

Jésus désirait corriger les faux enseignements des Juifs concernant le Sabbat, et aussi pénétrer l'esprit de ses disciples du fait que des actes de miséricorde étaient légitimes ce jour-là. Dans le cas de la guérison de la main sèche, il renversa les coutumes des Juifs, et laissa subsister le quatrième commandement, tel que Dieu l'avait donné au monde. Par cet acte, il exalta le Sabbat, anéantissant les restrictions sans signification dont il était entravé. Son acte miséricordieux honora ce jour, tandis que ceux qui se plaignaient de lui, déshonoraient eux-mêmes le Sabbat par leurs rites et leurs cérémonies inutiles. VJC 203.1

De nos jours, il y a des ministres qui enseignent que le Fils de Dieu transgressa le Sabbat et justifia ses disciples dans cette action. Ils se placent sur le même terrain que ces Juifs quoique ostensiblement dans un autre but, puisqu'ils enseignent que Christ abolit le Sabbat. VJC 203.2

Par cette question adressée aux pharisiens: Est-il permis de faire du bien dans les jours de Sabbat ou de faire du mal? de sauver une personne ou de la laisser périr? Jésus les attaquait par leurs propres desseins de méchanceté. Ils l'épiaient pour trouver une occasion de l'accuser faussement; ils cherchaient sa vie avec une malice et une haine implacables, pendant qu'il cherchait à les sauver, et à apporter la joie à bien des cœurs. Etait-ce mieux de tuer un homme le jour du Sabbat, comme ils cherchaient à le faire, que de guérir les malades comme Jésus le faisait? Etait-ce plus juste de garder dans son cœur des pensées de meurtre le saint jour de Dieu, que de nourrir des pensées d'amour envers tous les hommes, pensées qui se traduisent en actes de miséricorde et d'amour? VJC 203.3