La Vie de Jésus-Christ

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Chapitre 14 — Le fils du seigneur de la cour

Après avoir travaillé deux jours parmi les Samaritains, Jésus partit pour continuer son voyage en Galilée. Il ne séjourna pas à Nazareth où il avait été élevé, et où il avait passé sa jeunesse. La réception qu'on lui avait faite dans la synagogue à Nazareth, lorsqu'il s'était présenté comme l'Oint, le Messie, avait été si défavorable qu'il se décida à chercher ailleurs des auditeurs plus disposés à écouter, et plus désireux de recevoir son message. Il déclara à ses disciples qu'un prophète n'est point honoré dans son pays. Cette parole montre la répugnance naturelle qu'éprouvent beaucoup de gens lorsqu'il s'agit de reconnaître quelque qualité admirable dans le caractère de quelqu'un qui a vécu sans ostentation au milieu d'eux, et qui a été intimement connu d'eux dès son enfance. En même temps, ces mêmes personnes peuvent s'extasier sur les prétendues qualités d'un étranger et d'un aventurier. VJC 147.1

Le miracle que Jésus avait accompli à Cana disposa les habitants de ce lieu à le recevoir cordialement. En s'en retournant de la fête de Pâques, le peuple avait raconté de quelle manière merveilleuse il avait purifié le temple en chassant ceux qui le souillaient. Ils s'entretenaient des miracles de Jésus: comment il avait guéri les malades, rendu la vue aux aveugles et l'ouïe aux sourds. Le jugement que les dignitaires du temple avaient prononcé sur ses actes lui prépara le chemin dans la Galilée; car un grand nombre de gens déploraient l'usage profane que l'on faisait du temple et l'arrogance superbe des sacrificateurs, et ils espéraient que cet homme, qui avait le pouvoir de mettre en fuite ces principaux, pourrait être en vérité le Libérateur qu'ils attendaient. VJC 147.2

On apprit bientôt par toute la Galilée et la région d'alentour que Jésus était retourné de la Judée à Cana. Ces nouvelles parvinrent aux oreilles d'un seigneur de Capernaüm,1 Juif très considéré de ceux de sa nation. Il était profondément intéressé aux récits qu'il entendait concernant la puissance de Jésus à guérir les malades, car lui-même avait un fils frappé de maladie. Le père avait consulté les médecins les plus savants parmi les Juifs, et ceux-ci avaient déclaré que le jeune garçon était incurable et lui avaient dit que son fils devait mourir prochainement. VJC 148.1

Mais quand le père eut appris que Jésus était en Galilée, son cœur s'ouvrit à l'espérance; car il croyait que celui qui avait miraculeusement changé l'eau en vin, et chassé les profanateurs du temple pouvait rendre la santé à son fils, fut-il déjà sur le bord de la tombe. Capernaüm se trouvait à une assez grande distance de Cana, et le seigneur craignait que, s'il quittait sa demeure pour chercher Jésus et lui présenter sa supplication, l'enfant, qui était déjà très mal, ne mourût en son absence. Toutefois il n'osa pas confier ce message à un serviteur; car il espérait que les prières d'un père aimant toucheraient de compassion le cœur du souverain Médecin, et le décideraient à venir avec lui vers le lit de son fils mourant. VJC 148.2

Il s'en alla donc à Cana en toute hâte, de crainte d'arriver trop tard. Se frayant un passage au travers de la foule qui entourait Jésus, il se trouva enfin devant lui. Mais sa foi chancela lorsqu'il vit un homme simplement vêtu, couvert de poussière et fatigué du voyage. Il doutait que cet homme pût faire ce qu'il était venu lui demander; toutefois il se décida à l'éprouver. Ayant obtenu le privilége de parler à Jésus, il lui fit part du but de sa démarche, et le supplia de venir avec lui dans sa maison pour guérir son fils. Mais Jésus connaissait déjà sa douleur. Même avant que le seigneur fût sorti de sa maison, le Sauveur compatissant avait vu l'angoisse du père, et son cœur aimant était rempli de sympathie pour l'enfant souffrant. VJC 148.3

Mais il n'ignorait pas non plus que le père avait fait dans son cœur des conditions concernant sa foi au Sauveur. A moins que sa requête ne lui fût accordée, il ne croirait point en lui comme Messie. Tandis que le père attendait avec une profonde anxiété une réponse à sa requête, Jésus lui dit: “Si vous ne voyez des signes et des miracles, vous ne croyez point.” Par ces paroles, il mettait à découvert la foi superficielle du seigneur, laquelle le conduirait à accepter ou à rejeter Christ, suivant qu'il accomplirait ou non ce qu'il venait lui demander. VJC 148.4

Jésus avait pour but, non seulement de guérir l'enfant, mais encore d'éclairer l'esprit obscurci du père. Il voyait l'incrédulité lutter contre sa foi. Il savait que cet homme avait recherché son aide comme dernier et seul espoir. Jésus voyait dans la condition de cet homme celle d'un grand nombre de gens de sa nation. C'étaient des motifs égoïstes qui portaient la plupart des Juifs à rechercher Jésus; ils désiraient obtenir de sa puissance quelque bienfait spécial, mais ils étaient dans l'ignorance quant à leur état spirituel, et ne voyaient point le besoin urgent qu'ils avaient de la grâce divine. Leur foi dépendait de concessions avantageuses de la part de Jésus. Jésus traita ce cas comme représentant la position d'un grand nombre de Juifs. Il mettait en contraste cette incrédulité raisonneuse avec la foi des Samaritains qui étaient prêts à le recevoir comme un docteur envoyé de Dieu et à l'accepter comme le Messie promis, sans qu'il leur donnât aucun signe ou aucun miracle pour prouver sa divinité. VJC 149.1

Le cœur du père fut remué jusqu'au fond par la pensée que ses doutes pourraient causer la mort de son fils. Les paroles de Jésus produisirent l'effet désiré: le seigneur comprit que ses motifs, en cherchant le Sauveur, étaient purement égoïstes; sa foi chancelante lui apparut sous son vrai jour; il sentit qu'il était véritablement en la présence de celui qui pouvait lire dans les cœurs, et auquel toutes choses étaient possibles. Cette pensée lui rappelle avec une force nouvelle son enfant souffrant, et dans son angoisse, il jette ce cri où toute son âme se répand: “Seigneur! descends avant que mon fils meure.” VJC 149.2

Il craint que la mort n'ait rendu sa démarche inutile pendant qu'il a laissé les doutes et l'incrédulité prendre possession de son cœur. C'était assez. Le père, dans cette extrémité, se saisit des mérites de Jésus comme son Sauveur. En le suppliant de descendre avant que son fils meure, il se cramponne à la force seule de Jésus comme à son unique espérance. Sa foi est aussi impérative que celle de Jacob, lorsque, luttant avec l'ange, il s'écria: “Je ne te laisserai point, que tu ne m'aies béni!”1 VJC 149.3

Jésus répond à la supplication du seigneur en lui disant: “Va, ton fils se porte bien.” Ces paroles simples et concises font tressaillir le cœur du père. Les accents de la voix de Jésus lui font éprouver sa divine puissance. Au lieu d'aller à Capernaüm, Jésus, avec la rapidité de l'éclair, envoie à travers l'espace le divin message de la guéríson jusqu'au lit de souffrances de cet enfant. Il renvoie le suppliant, qui, le cœur rempli d'une gratitude inexprimable et d'une foi parfaite dans les paroles du Sauveur, reprend, paisible et joyeux, le chemin de sa demeure. VJC 150.1

Au même moment, les gardes veillaient l'enfant mourant dans la demeure éloignée de l'officier du roi. Ce corps, naguère si fort et si bien proportionné dans toute la beauté de la jeunesse, était maintenant consumé et amaigri. Ses joues creuses brûlaient d'un feu ardent. Soudain, la fièvre le quitte, l'intelligence rayonne dans ses yeux, son esprit s'éclaircit, la santé et la force lui reviennent. La fièvre l'a quitté dans la chaleur même du jour. Les assistants contemplent avec étonnement ce changement merveilleux, la famille se rassemble et se livre à une grande joie. L'enfant ne conserve aucune trace de sa maladie; sa peau, brûlante naguère, est devenue souple et humide, et il tombe dans le paisible sommeil de l'enfance. VJC 150.2

En même temps, le père plein d'espoir se hâte de rentrer en sa maison. Il était allé vers Jésus affligé et craintif. Il le quitte joyeux et confiant. Il éprouve l'assurance solennelle que Celui avec qui il s'est entretenu possède une puissance illimitée. Il ne doute nullement que Jésus n'ait réellement guéri son fils à Capernaüm. Pendant qu'il est encore à quelque distance de la maison, ses serviteurs accourent au-devant de lui en lui annonçant la bonne nouvelle de la guérison de son fils. Le cœur léger, il presse le pas, et en arrivant il trouve son enfant plein de santé et de beauté. Il le serre contre son cœur, comme s'il l'avait retrouvé d'entre les morts, et il rend constamment grâces à Dieu du fond de son cœur pour cette miraculeuse guérison. VJC 150.3

L'officier de la cour et toute sa famille devinrent des disciples de Jésus. Leur affliction fut ainsi le moyen de la conversion de la famille entière. Ils publièrent ce miracle par tout Capernaüm, et préparèrent ainsi la voie pour les travaux futurs de Jésus dans cette ville. Un grand nombre de ses miracles furent accomplis en ce lieu. VJC 151.1

Le cas de ce seigneur juif devrait être une leçon pour tous les disciples de Christ. Il veut que ses disciples aient en lui une foi implicite comme en leur Rédempteur, lequel est prêt et désireux de sauver tous ceux qui viennent à lui. Mais si quelquefois il diffère de répandre sur nous ses dons précieux, c'est afin de pénétrer nos cœurs du sentiment de notre réel besoin de cette vraie piété qui nous donne droit à lui demander tout ce qui nous est nécessaire. Nous devons mettre de côté l'égoïsme qui est fréquemment la principale cause pour laquelle nous le recherchons, et lui confesser notre impuissance et notre amer dénûment, nous confiant en ses promesses. Il invite à venir à lui tous ceux qui sont fatigués et chargés, et il leur donnera du repos. VJC 151.2